Objectif terre

Le Courier | le Mardi 09 Novembre 2010

BENITO PEREZ

Si nous avions 2000 dollars à dépenser, peut-être serions-nous avisés de nous rendre ce jour et demain à l'hôtel Intercontinental. Délestés de cette modique contribution, nous aurions droit à deux pleines journées de conférences, panels et autres networking lunches pour tout apprendre sur «les risques et les bénéfices des investissements agricoles». Une opportunité en or, nous dit l'organisatrice Soyatech, puisque c'est la première fois que cette société de conseil organise son «Global AgInvesting[1]» en Europe.

L'arrivée de ce raout étasunien sur le Vieux Continent est symptomatique. Alors que la plupart des secteurs productifs sont durablement déprimés, les opportunités de profit explosent dans l'agriculture. Pour part, c'est là un effet de rattrapage. La financiarisation de l'agro-industrie s'inscrit dans le sillage des autres secteurs déjà soumis.

Longtemps, le rempart paysan à la marchandisation de la terre a retardé cette évolution. Aujourd'hui, il craque de partout. Aux deux tiers rurale en 1970, la population mondiale est désormais majoritairement urbaine. En quatre décennies, l'alimentation est devenue un marché comme les autres, avec ses exclus aux deux bouts de la chaîne –consommateurs et producteurs.

A côté des habituelles spéculations financières sur les marges des cours du grain se sont ajoutés des phénomènes d'accaparement des denrées dignes de 1789. A la différence qu'ils sont maintenant planétaires. La crise alimentaire de 2008 et ses émeutes de la faim l'ont révélé aux yeux du monde, faisant bondir les cours mondiaux au-delà de toute raison.

Mais plus que la spéculation, d'autres phénomènes concomitants ont encouragé la ruée des investisseurs sur la terre. Les accords de libre-échange mais aussi la garantie des brevets et le développement des OGM ont rendu ces placements plus sûrs. A la sécurité du droit s'ajoute le développement exponentiel et stratégique du soja comme agrocarburant ou comme fourrage pour le bétail des pays riches. Deux eldorados à court et moyen terme.

Depuis le krach financier, l'afflux de fonds vers le secteur agraire a provoqué le rachat de dizaines de millions d'hectares par les nouvelles transnationales agricoles, dont les deux tiers en Afrique. Des pays hébergeant une bonne part du milliard d'humains qui souffre de la faim ont cédé –ou sont sur le point de le faire– leurs meilleures terres aux agroinvestisseurs.

Chaque fois, la promesse de développement local est contredite par le caractère destructeur d'emploi de l'agro-industrie en comparaison avec l'agriculture paysanne. De même, il est démontré que cette dernière est bien plus productive que l'exploitation extensive des terres. Mais rien n'y fait. La moissonneuse-batteuse paraît impossible à arrêter.

Genève, capitale du négoce agricole et de la finance bien davantage que des droits humains, ne pouvait que faire bon accueil au Global AgInvesting de Soyatech. Une vingtaine d'organisations sociales et politiques ont toutefois appelé à manifester dès 11h30 en faveur de la souveraineté alimentaire, sous les fenêtres de l'Intercontinental. L'occasion d'économiser 2000 francs?

Note : [1] http://events.soyatech.com

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