Les paysans cambodgiens accusant Bolloré de spoliation invités à produire des preuves

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Le 8 novembre, le tribunal a rejeté toutes les demandes les paignants au motif que les Bunongs « ne produisent aucun élément de preuve portant sur le pouvoir opérationnel invoqué entre les sociétés Terres Rouges Consultant, Bolloré et Compagnie du Cambodge, pas plus qu’ils ne produisent d’élément établissant leur qualité de propriétaire des terres et partant, l’existence du préjudice allégué ». (Photo : GRAIN)
Le Monde | 11 novembre 2019 [EN]

Les paysans cambodgiens accusant Bolloré de spoliation invités à produire des preuves

Quatre-vingts paysans Bunongs estiment avoir été spoliés de leur forêt ancestrale, remplacée par des plantations d’hévéas.

Par Patricia Jolly

Quatre-vingts Bunongs – des paysans du Mondol Kiri, province de l’est du Cambodge – qui accusent le groupe de l’industriel français Vincent Bolloré d’avoir accaparé leurs terres, en 2008, pour en faire des plantations de caoutchouc, devront faire la preuve de leur identité et fournir leurs titres de propriétés, d’ici au 20 janvier 2020.

Dans une ordonnance rendue le 8 novembre, le tribunal « invite » chacun d’entre eux à communiquer avant cette date – à laquelle se tiendra une audience de mise en état du dossier – « tout document officiel établissant l’existence, la nature, la localisation, la surface exacte et le référencement de la ou des terres dont il est demandé la restitution », « tout document notarié, individualisé et officiel établissant la propriété de chacun sur la ou les terres revendiquées » et « tout document justifiant de l’état civil de chacun ».

Le juge souligne que seules « 53 copies de pièces d’identité de qualité souvent médiocre et ne permettant pas la lecture des quelques mentions y figurant en caractères latins » sont actuellement en la possession du tribunal, que ces documents « mentionnent », pour certains, « des noms différents de ceux portés sur l’acte introductif d’instance » et que certaines attestations « comportent des incohérences et n’apportent pas d’information sur la localité concernée par les terres litigieuses ».

Pouvoir opérationnel

A l’été 2015, Me Fiodor Rilov a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre au nom de ces agriculteurs itinérants et animistes dans le cadre d’une action en reconnaissance de responsabilité civile délictuelle contre le groupe Bolloré. Ses clients l’accusent de les avoir spoliés de plusieurs milliers d’hectares de leurs forêts ancestrales afin de les transformer en plantations d’hévéas, arbres à caoutchouc, sur la commune de Bousra, au Cambodge.

Cette opération aurait été réalisée, avec l’aval du gouvernement cambodgien, par l’entremise de la Socfin-KDC, joint-venture entre la holding Socfinasia, une société luxembourgeoise dont le groupe Bolloré est actionnaire à près de 39 %, et la Khao Chuly, une entreprise de construction cambodgienne, proche du pouvoir central.

Selon les Bunongs, qui réclament la restitution de leurs terres ainsi que des dommages et intérêts, mais qui peinent à réunir les documents réclamés par la justice pour démontrer le préjudice allégué, le groupe Bolloré aurait exercé sur leurs terres, depuis la France, un pouvoir opérationnel à travers la structure Terres Rouges Consultant (TRC), une société dissoute en 2012, dont le siège se trouvait jusqu’alors dans la tour Bolloré, à Puteaux (Hauts-de-Seine).

Neuf des 80 requérants ont effectué le déplacement en France, le 1er octobre, pour demander, lors d’une audience de mise en état, la communication des baux, du registre du personnel, de la liste des dirigeants et des principaux clients et des contrats de TRC qui leur auraient permis, disent-ils, de faire la preuve de leurs allégations. Ils avaient en outre requis la désignation d’un expert ayant pour mission d’examiner les conséquences, pour chacun d’eux, de la création et de l’exploitation des plantations litigieuses.

« Instrumentalisés »

Le 8 novembre, le tribunal a rejeté toutes ces demandes au motif que les Bunongs « ne produisent aucun élément de preuve portant sur le pouvoir opérationnel invoqué entre les sociétés Terres Rouges Consultant, Bolloré et Compagnie du Cambodge, pas plus qu’ils ne produisent d’élément établissant leur qualité de propriétaire des terres et partant, l’existence du préjudice allégué ». Et qu’« aucune mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve ».

Le groupe Bolloré a toujours affirmé n’avoir « strictement aucun lien avec cette procédure » qui relèverait d’un « problème strictement cambodgien ». Contacté par Le Monde, Me Olivier Baratelli, un de ses avocats, s’est déclaré « halluciné » de voir « ces gens [les neuf requérants Bunongs présents à l’audience du 1er octobre assistés d’interprètes], qui ne comprennent rien à rien, instrumentalisés et exposés médiatiquement pour attirer la compassion de l’opinion publique ».

« Me Rilov a engagé, avec témérité, une action sans même savoir si ces gens existent, a poursuivi Me Baratelli. Le 20 janvier 2020, nous verrons si ses clients ont répondu à l’invite du tribunal, mais nous leur demandons leurs pièces d’identité depuis quatre ans, aussi, je ne vois pas comment elles pourraient miraculeusement apparaître. »

« Nous ne sommes pas du tout découragés, a assuré au Monde Me Rilov, qui dit toujours tabler sur un examen du dossier au fond d’ici à la fin de l’année 2020. Les paysans cambodgiens sont conscients qu’il s’agit d’une étape dans leur longue marche. Nous produirons les pièces d’identité dont celles qui manquent sont en cours d’obtention et les documents que le tribunal nous a refusés peuvent très bien nous arriver par une autre voie. »
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