La ruée vers les terres agricoles : une arme à double tranchant

PleinChamp.com | 29/10/09

La crise alimentaire, puis financière, a déclenché un nouvel «accaparement des terres» au niveau mondial, non sans risque pour les populations rurales les plus pauvres. Faut-il pour autant condamner ces investissements ? Paul Mathieu expert à la FAO des questions foncières, estime que la mise en place de règles, au niveau international, pourrait permettre de minimiser ces risques.

L'ONU s'inquiète de la ruée des investisseurs étrangers vers les terres agricoles des pays en développement. Quelle est l'ampleur du phénomène et les raisons de son accélération ?

Paul Mathieu : Un rapport, paru ce printemps, a cité le chiffre global de 25 à 30 millions d'hectares concernés par ces investissements étrangers, mais ce chiffre est très fortement sous estimé. En réalité, il est difficile de donner un ordre de grandeur crédible car beaucoup d'affaires sont en cours. Au Congo Brazzaville, par exemple, on a parlé longtemps d'un accord sur des millions d'hectares avec un groupe de fermiers sud-africains, mais l'accord récent (et confirmé) portait sur 200.000 hectares. Les demandes varient de 5 à10.000 hectares à des centaines de milliers d'hectares, comme ce qui a été annoncé pour Madagascar l'an passé.

Les pays les plus concernés par l'achat de foncier sont ceux du Golfe, du fait de leurs faibles réserves en terre mais et en eau, mais aussi les grands pays très peuplés comme l'Inde ou la Chine. La Corée du Sud ou le Japon ont également fait le choix de compter sur les importations pour nourrir leurs populations.

Du côté des pays fournisseurs de terres, qui font l'objet de demandes d'investissements, il y a les pays d'Asie à faible densité de population mais riches en terres fertiles, comme le Laos et le Cambodge. En Afrique, on peut citer le Soudan, l'Éthiopie, l'Angola, la Tanzanie, les deux Congo, le Ghana, le Mali... En Amérique latine, l'Argentine ou le Brésil sont concernés.

Les raisons de cette accélération ?

Ce phénomène d'accaparement des terres s'est accéléré récemment car trois nouvelles demandes se conjuguent au même moment :

Les pays investisseurs sont à la recherche de terres pour produire leurs biens alimentaires ailleurs. Ils veulent sécuriser leur approvisionnement et ne plus être tributaires du seul marché mondial qui réserve parfois des surprises. Ils se mettent ainsi à l'abri de l'instabilité des marchés mondiaux, marqués par de fortes fluctuations de prix.

Ensuite, il y a la demande de terres pour la production d'agrocarburants. Ce phénomène a certainement diminué suite à la baisse du prix du pétrole, mais dans le moyen et long terme, la demande sera encore forte.

Enfin, il y a les terres agricoles vues comme une opportunité en terme de placement spéculatif et de nouvelles sources de profits. Après les crises alimentaires et financières, des fonds d'investissements internationaux ont pris conscience de la valeur de la terre agricole. Elles sont devenues un nouvel actif stratégique.

Faut-il y voir un accaparement des terres ou une opportunité de développement pour ces pays ?

P.M. : Sur la vague récente d'investissement, nous n'avons pas assez de recul et d'études approfondies pour porter un jugement définitif sur l'impact de ces investissements sur les populations rurales. Tout dépend comment sont réalisées les transactions. L'impact sera négatif si les transactions se sont faites de façon sommaire, sans tenir compte des populations locales et de la nécessité que ces investissements débouchent aussi sur une amélioration de la vie rurale.

Le principal risque est que les paysans soient déplacés, sans contreparties et perdent l'accès à leurs terres. Cela entraîne davantage d'insécurité alimentaire pour les paysans privés de leurs terres et des risques de conflits fonciers et sociaux.

Pour que ces investissements soient une opportunité pour les populations, il faut qu'ils permettent un réel développement rural, notamment l'amélioration de la productivité agricole (y compris pour les paysans), des revenus ; des garanties de débouchés ; une diversification des sources de revenus en milieu rural... Ces investissements peuvent, indirectement, induire des activités non agricoles et procurer des emplois dans des structures de commercialisation, de transformation...

Ils peuvent aussi être une opportunité pour financer des nouvelles infrastructures comme des routes ou des ports, qui sont des facteurs de développement économique pour les pays. Des investisseurs asiatiques ont ainsi proposé la création d'un port en eau profonde le long de la côte du Kenya. Créer des infrastructures est une bonne chose si elles permettent à tous un meilleur accès au marché.

On ne peut donc pas exclure, s'ils sont bien négociés, que les investissements étrangers servent au développement local mais ce n'est, malheureusement, pas systématique.

On évoque la mise en place d'un code de bonne conduite. Quelles sont les mesures à prendre pour éviter les impacts négatifs de ce phénomène ?

P.M. : Il y a aujourd'hui un consensus de tous les pays de l'OCDE, mais aussi des pays en voie de développement, sur la nécessité de mettre en place des règles pour l'achat de terres à l'étranger. Il est trop tôt pour en préciser les détails mais ce code devra répondre à de grands principes.

D'abord que le droit des populations sur les terres qu'elles entretiennent, soit reconnu, même si elles n'ont pas de titre de propriété légal. En Afrique, 80 % des populations sont dépourvus de titres pour des terres qu'elles cultivent parfois depuis des siècles. Reconnaître ce droit, c'est les protéger des expropriations et, s'il y a transfert de droits, leur permettre d'exiger des compensations justes.

Il faut également s'assurer que les investissements ne mettent pas en danger la sécurité alimentaire des pays. Produire pour l'exportation ne doit pas aggraver la situation, souvent déjà précaire, des populations.

Autre nécessité : qu'il y ait de la transparence dans les négociations. C'est à dire s'assurer que les revenus des contrats, gérés et obtenus par les États, sont réinvestis dans le développement rural. Qu'il y ait participation et concertation avec les paysans, que soient inclus des mécanismes de suivi pour s'assurer que les promesses des investisseurs sont respectées...

Quand il s'agira de mettre en oeuvre ces règles, il faudra que les différentes institutions publiques concernées (et d'abord celles des pays eux-mêmes) soient assez fortes et «bien gouvernées» pour garantir que le bien public prévaut sur les intérêts particuliers ou individuels. D'où l'importance de mettre en place des mécanismes de contrôle pour minimiser les risques de corruption et de détournement, à des fins de bénéfices privés.

Il faudra, pour cela, travailler en étroite collaboration avec la société civile et les investisseurs privés. Des codes de bonne conduite ont déjà été mis en place, avec un succès variable suivant les cas. C'est le cas dans le domaine de l'exploitation des mines, notamment de diamants. Des codes ont été élaborés par les investisseurs eux-mêmes pour se surveiller entre eux.

Diverses organisations des Nations-Unies (FAO, FIDA, Banque Mondiale et autres) vont travailler sur ces mesures dans les mois qui viennent et ce sera sans doute un des thèmes évoqués dans les débats du sommet mondial de la FAO, qui se tiendra du 16 au 18 novembre prochain.

Propos recueillis par Sophie Caron

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