L’accaparement des terres recolonise l’Afrique : Le Togo s’y enfonce à petits coups !

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Des traces du début d’accaparement des terres à Tové (Togo) - Photo : Edem Gadegbeku/AfriScoop

AfriSCOOP | lundi 30 mai 2011

par Edem GADEGBEKU, La Rédaction AfriSCOOP à Lomé

(AfriSCOOP Reportage) — L’Afrique fait face ces dernières années à une nouvelle forme de colonisation à travers le phénomène d’accaparement des terres. L’accaparement, c’est l’achat ou la location, à très long terme, de grandes superficies de terres agricoles par des Etats, des multinationales et parfois des opérateurs économiques privés nationaux. Plus de 15 à 20 millions d’hectares de terres agricoles ont déjà fait l’objet de transactions foncières sur le continent noir. Le Togo n’échappe pas à ce phénomène. Des cas d’accaparement ont déjà été constatés ici et là dans certaines localités togolaises. Le dernier en date, et qui est loin d’être le moins inquiétant, est celui du canton de Tové, à Yotokopé ; un village situé dans la préfecture de Yoto (Sud-Togo). Tové a été acheté en totalité par un seul homme. Soit un total de 4.090 hectares “envolés” et près de 4.000 habitants susceptibles de devenir des sans domicile.

Situé à 22 kilomètres d’Ahépé, dans la préfecture de Yoto, le village de Yotokopé vit un problème terrien qui est une nouveauté ici : l’accaparement des terres. Jadis « zone de chasse » (une forêt classée y est prévue, sur décision officielle en 1990), Yotokopé s’étire sur 18.000 hectares. Les activités champêtres dominent quotidiennement les occupations des habitants de ce “coin du Togo”. A partir de 1983, ceux qui s’y sont installés ont bâti des exploitations agricoles (palmiers à huile, tecks, vivriers) très florissantes et économiquement viables. Du coup, les populations locales ont construit des infrastructures scolaires et sanitaires dans cette zone d’habitation. « Nos parents ont occupé ces espaces sur consigne des autorités qui les ont légués aux fils de la localité à des fins agricoles. C’était une manière de résorber le chômage des jeunes dans cette zone d’habitation. Après la mort de nos parents, il est tout à fait normal que, nous les enfants, nous continuions leurs œuvres. C’est ce à quoi nous nous attelons à travers des groupements agricoles. Aujourd’hui, quand vous arrivez à Yotokopé, vous trouverez des exploitations agricoles très prospères », décrit le responsable local d’un groupement agricole qui a hérité de son défunt père quelques hectares de terres qu’il met en valeur avec d’autres membres de sa collectivité.

En réalité, la population de Yotokopé s’était installée sur les lieux bien avant les années 60. Elle a toujours vécu dans la quiétude sus-décrite quand, un beau matin de novembre 2008, un monsieur originaire du Bénin, surgit et se présenta comme le propriétaire d’une grande superficie de terres de Yotokopé : l’équivalent du canton de Tové, une superficie évaluable à 4.090 hectares ! Cet étranger a circulé de champ en champ, obligeant les populations à partager avec lui les fruits de leurs récoltes, leur bétail, et faisant valoir ses droits de propriétaire sur les terres sus-décrites, témoignent les populations. Tout en ajoutant que le même étranger a blessé à l’aide de flèches et a intimidé les autochtones qui osaient aller à l’encontre de ses injonctions. Devant le front uni des paysans qui se sont subitement mobilisés pour brûler ses équipements topographiques et l’arrêter, l’étranger a pris la fuite. Non sans avoir entrepris des travaux de traçage de voies. Des travaux qui ont provoqué la destruction de plusieurs champs de tecks et d’une quantité importante de palmiers à huile.

Un mal venait de prendre racine…

Après une période de léthargie et sur instruction du tribunal de première instance de Tabligbo (chef-lieu de la préfecture de Yoto), l’étranger sus-cité a arrêté les travaux entamés et est retourné chez lui au Bénin. Mais il reviendra quelques mois plus tard pour détruire une trentaine de pieds de teck appartenant à Togbui Sossou Assignon III (actuel chef du canton d’Ahépé) et une bonne partie d’une plantation appartenant à l’archidiocèse d’Aného.

Selon nos recoupements auprès des populations et des autorités locales, le monsieur se réclamant propriétaire du domaine de 4.090 hectares, en aurait déjà vendu 2.000 à un acheteur qui à son tour les a cédés à un expatrié !! Ce domaine au centre du différend de Tové correspondrait à la superficie de six quartiers (de ce canton) où vivent près de 4.000 habitants. Un domaine, qui, selon des explications officielles, appartient géographiquement à la préfecture de Yoto. Où iront alors les populations de Tové si la raison du plus fort venait à triompher ? Autrement dit, que vont devenir ces 4.000 âmes qui ont investi depuis des années temps et force de travail pour que ces terres soient ce qu’elles sont aujourd’hui ?

Qu’est devenue alors la loi N° 60-26 du 05 août 1960 complétée par celle N° 61-02 du 11 janvier 1961, relatives à la propriété foncière du citoyen togolais qui protège le foncier au Togo et oblige tout étranger voulant devenir propriétaire terrien à avoir l’autorisation du président de la République avant tout achat ?

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Quand la terre n’est pas déblayée en prévision de l’accaparement, ce sont des plantations qui sont sacrifiées. Photo prise à Tové (Togo)

L’accaparement des terres : un fléau aux conséquences graves en Afrique

Le différend foncier que vit Yotokopé repose le problème de l’accaparement des terres au Togo et dans plusieurs autres pays africains. Dans bon nombre de localités togolaises et ailleurs sur le continent noir, des milliers d’hectares de terres cultivables sont bradées ou baillées à des Etats tels que l’Arabie Saoudite, la Chine, l’Inde, etc. ; à des multinationales comme Godman Sachs, Morgan Stanley et Louis Dreyfus. Et même parfois à des opérateurs économiques privés nationaux.

Ces terres servent, dans 37 % des cas, à produire des biens alimentaires destinés aux pays acquéreurs et pour 35% à la production de biocarburants. Les pays africains comme le Bénin, le Ghana, le Mali, le Sénégal, le Rwanda, la Tanzanie, la Rdc et le Congo, etc., sont déjà victimes de ce phénomène d’accaparement. Le plus clair du temps, ces multinationales opèrent dans un environnement où la terre agricole et fertile est disponible, et la gouvernance foncière, médiocre. Selon un rapport de la Banque Mondiale, l’Afrique est particulièrement ciblée pour l’accaparement des terres ; d’autant plus qu’environ 201 des 445 millions d’hectares de terres convenables à l’agriculture dans le monde, se trouvent sur le continent noir. Ces terres, pour la plupart, sont destinées à des transactions industrielles qui vont crescendo ces dernières années. De 2008 à 2009, on a, à titre d’exemple, constaté une augmentation moyenne annuelle de ces activités commerciales : de 4 millions d’hectares de terres agricoles cédées, l’on est passé à 45 millions d’hectares !

Ces transferts massifs de terres portent un coup dur à l’agriculture familiale dont dépend la production vivrière et menacent gravement la souveraineté alimentaire de nombreux pays en développement ; tout particulièrement ceux d’Afrique. De plus, l’accaparement des terres entraîne des perturbations de la vie sociale, économique et culturelle des populations victimes. De ce fait, les paysans et paysannes, petits producteurs dessaisis de leurs terres, entrent de facto dans une situation de précarité qui conduirait bon nombre d’entre eux à l’exode rural ! Ceux qui choisiront de ne pas migrer, courent le risque de devenir des ouvriers agricoles sur leurs propres terres ou de sombrer dans l’indigence !!!

Quelles solutions contre le géant drame à l’horizon ?

Des Ong dont « Inades-Formation Togo », à travers la Copagen (Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain), font un travail d’information et de plaidoyer auprès des autorités pour arrêter ce phénomène d’accaparement des terres. A cet effet, la Copagen a sorti une déclaration intitulée « touche pas à ma terre, c’est ma vie » lors de son forum régional tenu à Ouagadougou, au Burkina Faso, du 22 au 25 décembre 2010.

Par ailleurs, lors de son Assemblée Générale tenue à Abidjan (Côte d’Ivoire) du 22 au 25 novembre 2009, le réseau « Inades-Formation », avait pris position sur ce phénomène et publié à cet effet une déclaration dans laquelle elle réaffirmait son engagement à défendre la cause des paysans et paysannes. Tout en interpellant les dirigeants à qui il demande de prendre ce phénomène au sérieux, pour éviter des explosions sociales.

A leur tour, les paysans et paysannes du village de Yotokopé lancent un appel aux autorités togolaises afin « qu’elles prennent des mesures idoines pour protéger leur patrimoine qu’est la terre et qui leur permet de nourrir leurs familles », résume un habitant. Au regard de l’accroissement de la population africaine en général et togolaise en particulier (majoritairement jeune), il est probable que les générations futures acceptent mal cette situation. L’Etat togolais est interpellé face à cette situation qui est à même de faire naître des conflits sociaux durables et même des guerres civiles…

Reportage réalisé par Edem Gadegbeku 

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