Investissement étranger au Gabon : liaisons dangereuses ?

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Le parc industriel intégré de Nkok sera consacré aux opérateurs de la filière bois. (Desirey Minkoh pour J.A.)

Jeune Afrique | 01/06/2011

Par Georges Dougueli et Cécile Manciaux

Construction d’une zone d’activités, d’une usine d’engrais, plantation de palmiers à huile… En moins d’un an, le géant singapourien Olam est passé de l’approche tactique au grand jeu.

À Nkok, une bourgade forestière située à 27 km de Libreville, sur la nationale 1, on n’entend plus chanter les oiseaux. Depuis juin 2010, les volatiles effarouchés sont allés chercher la tranquillité ailleurs, loin des 220 engins lourds de travaux publics et du millier d’ouvriers venus de tous les continents. Ces derniers s’activent à repousser la forêt, raboter les collines caillouteuses, construire les bureaux et infrastructures de la Zone économique spéciale (ZES) plurisectorielle que l’État gabonais a décidé d’y implanter.

Ici, la langue de travail, c’est l’anglais, car le promoteur et partenaire technique du projet, Olam International, est anglophone. Sous la houlette de Gagan Gupta, le directeur général de Gabon Advance, sa filiale locale, le géant singapourien de l’agroalimentaire a conçu et financé la ZES et embauché neuf entreprises pour réaliser les travaux de cette enclave géographique destinée au développement des activités de traitement et de transformation du bois.

Respect !

Si ses homologues européens de la filière bois ont tendance à regarder de haut l’affable Gagan Gupta, ce dernier a su se faire apprécier des autorités locales. « Les Singapouriens sont différents ; ils n’ont pas l’arrogance des Occidentaux, explique un cadre gabonais de Gabon Advance. Ce sont des partenaires dont le sens du respect de l’autre est plus proche du nôtre », ajoute-t-il, enthousiaste.

Le site de Nkok a été choisi pour sa proximité avec les voies de communication. Il se situe à 12 km de la route nationale 1, à 14 km de la gare ferroviaire de Ntoum (Estuaire), il profitera aussi de la voie fluviale de l’Ikoy Komo, qui rejoint l’Océan atlantique au port d’Owendo. Autre avantage, le futur aéroport de Libreville sortira de terre à quelques encablures de la zone…

Les travaux de la première phase du projet couvrent une superficie de 400 hectares sur les 1 126 ha prévus, pour un investissement de 200 millions de dollars (143 millions d’euros). Cette ZES doit permettre aux opérateurs économiques de la filière bois de créer, à terme, 6 000 emplois directs et indirects. Logique, puisque la décision gouvernementale de la construire fait suite à l’interdiction d’exporter du bois en grumes (effective depuis le 15 mai 2010) de façon à favoriser l’émergence d’un tissu industriel local créateur d’emplois.

« Les ouvrages sont calibrés pour accueillir soixante-deux sociétés », explique-t-on chez Olam. Les investisseurs bénéficieront de mesures fiscales incitatives, notamment d’une exonération totale de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux pendant dix ans à compter de la première vente de l’entreprise. Après cette période initiale d’exonération, les entreprises admises au régime de la ZES seront assujetties à cette taxe au taux de 10 % (au lieu de 35 %) pour cinq ans. Elles pourront librement rapatrier leurs profits et bénéficier d’une plus grande flexibilité pour recruter du personnel non gabonais.

Plus et affinités

L’histoire d’amour entre Singapouriens et Gabonais ne s’arrête pas là. Un nouveau chapitre s’est ouvert en novembre dernier quand, au cours de sa tournée asiatique, le président gabonais Ali Bongo Ondimba a signé avec Olam International un contrat de près de 1,54 milliard de dollars pour le développement de la culture du palmier à huile. L’accord prévoit que 30 % des palmeraies plantées soient détenues par des agriculteurs locaux, afin de garantir l’emploi d’une majorité de Gabonais au sein des structures internationales présentes sur le territoire.

La première phase d’investissement du projet, piloté par Olam Palm Gabon, la nouvelle filiale du groupe, démarrera en octobre, avec la plantation de 50 000 ha de palmeraies dans la région de Lambaréné (Moyen-Ogooué) et de 8 000 ha dans la région de Kango (Estuaire), à une centaine de kilomètres de Libreville. C’est à Kango que le groupe va établir sa première usine d’huile de palme dans le pays. Elle sera opérationnelle dans trois ans et demi, en décembre 2014, le temps que les palmiers arrivent à maturité.

L’investissement global de cette première phase est estimé à près de 630 millions d’euros, pour une production, à terme, de 1 million de tonnes d’huile de palme par an (280 000 t pour commencer) et, selon Shyam Ponnappa, directeur d’Olam Palm Gabon, la création de 700 à 800 emplois. La deuxième phase d’investissement, estimée à 450 millions d’euros, devrait être engagée en 2013. Elle porte sur la plantation de 150 000 ha dans le Sud, à Tchibanga, Mayumba (dans le Nyanga) et Mouila (Ngounié).
 

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Gagan Gupta, DG de Gabon Advance, filiale d'Olam. (Desirey Minkoh pour J.A.)

"Clip" qualité

Si l’État lui a attribué 19 000 ha de forêt dans le département de Komo-Kango, Olam Palm Gabon a annoncé qu’il n’en utiliserait que 8 000 afin de limiter l’impact de ses activités sur la biodiversité du bloc forestier, riche en cours d’eau, zones de pêche artisanale et lieux de reproduction pour les oiseaux et les poissons. En attendant la saison des plantations, les dirigeants d’Olam Palm Gabon règlent les derniers détails de la concertation avec les populations riveraines sur les questions de propriété et de cogestion, afin de finaliser la procédure de Consentement libre informé préalable (Clip), qui fait partie de la démarche qualité d’Olam Palm Gabon et sans lequel aucun engin ne pourra entrer en forêt.

Étant donné que la production de sa future usine sera entièrement destinée à l’export, Olam n’a de toute façon guère d’autre choix que de respecter les normes sociales et environnementales si elle veut obtenir la certification internationale RSPO (Roundtable on Substainable Palm Oil, Table ronde sur l’huile de palme durable), désormais indispensable pour exporter.

La convention signée en novembre entre le gouvernement gabonais et Olam comprend également la construction d’une usine d’engrais ammoniac-urée dans la toute nouvelle zone franche de l’île Mandji, un projet auquel s’est associée, mi-avril, la branche chimie du conglomérat indien Tata.

La coentreprise, dotée de plus de 900 millions d’euros, est donc désormais détenue par Olam (62,9 %), Tata (25,1 %) et l’État gabonais (12 %). Le complexe de 120 ha, dont la construction démarre ce mois-ci, doit être livré dans le courant du premier semestre 2014. Il aura une capacité de production totale de 2 200 t d’ammoniac et 3 850 t d’urée par jour (soit une production totale de 1,3 million de tonnes d’urée par an). Le chantier de l’usine va employer 4 000 personnes et plus de 300 emplois directs seront créés lorsque l’unité sera opérationnelle.

En alerte

Cependant, les ONG et défenseurs de l’environnement sont en alerte. Les plantations de palmiers à huile étant très gourmandes en eau et en pesticides, les villages qui vivent à proximité ne vont-ils pas en souffrir ? Quant à l’implantation d’une unité ammoniac-urée à quelques encablures de Port-Gentil, de l’île Mandji, de ses oiseaux et tortues luth…

Bien que nouveau venu au Gabon, Olam y a de grandes ambitions. Et ne perd pas de temps pour passer à l’acte. À la mi-janvier, le groupe a en effet acquis un permis d’exploitation sur 300 000 ha de forêt en rachetant TT Timber International, filiale du danois Dalhoff Larsen & Horneman (DLH), pour 29,6 millions d’euros. Une opération qui fait du bruit dans les milieux forestiers de la région puisqu’elle permet au Singapourien d’acquérir du même coup 1,3 million d’hectares de forêt tropicale dans le nord du Congo voisin, ainsi que le numéro un de son secteur forestier, la Congolaise industrielle du bois (CIB).

Les premiers pas d’Olam dans le Bassin du Congo sont décidément des pas de géant… dont les militants écologistes ne vont pas manquer de suivre l’empreinte.

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