L’accaparement des terres sévit aussi en Hongrie

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Le moratoire obtenu par la Hongrie au moment de son entrée dans l’Union européenne pour protéger ses terres des spéculateurs – et maintes fois reconduit depuis – prendra fin le 1er mai 2014.
Reporterre - 5 juin 2012

L’accaparement des terres sévit aussi en Hongrie

La grande et fertile plaine hongroise attire les spéculateurs étrangers. Mais le premier ministre Viktor Orbán privilégie ses amis, en leur permettant d’acquérir de très grandes propriétés

Corentin Léotard

Budapest -"Les 20 années de la transition ont été douloureuses et ont débouché sur un système oligarchique. La politique n’a pas servi les intérêts publics mais les intérêts privés. Cela nous pourri et nous détruit", analysait très justement Viktor Orbán alors qu’il venait d’être élu triomphalement au poste de Premier ministre, en avril 2010. Ce pourfendeur de la gauche néolibérale et corrompue n’allait œuvrer, promettait-t-il, que pour son peuple. Mais deux ans plus tard, à mi-mandat, il ne se trouve plus grand monde, même parmi ses propres électeurs, pour croire à cette rhétorique, pourtant précautionneusement drapée dans les couleurs nationales, rouge, blanc, vert.

Les oppositions (de gauche et d’extrême-droite) se déchaînent depuis plusieurs semaines contre la mise en place de ce qu’elles considèrent être une oligarchie liée au parti d’Orbán, la Fidesz. Les critiques les plus dures viennent du parti écologiste LMP qui a soumis le mois dernier au parlement, sans succès, une proposition en faveur d’une plus grande transparence de la propriété d’entreprises dans le cadre de contrats d’Etat. Cela après que le quotidien de gauche Népszabadság ait signalé les succès économiques fulgurants d’un certain Lajos Simicska, ancien directeur de l’APEH (l’équivalent du fisc en France), à la tête d’une société holding, « Kozgep Zrt », ayant remporté plusieurs importants contrats gouvernementaux depuis l’accession au pouvoir de Viktor Orbán. "Nous percevons de mieux en mieux ce qu’est la vision de la Fidesz pour l’avenir de la Hongrie : un Etat faible et des oligarques forts", a par exemple déclaré le député Gábor Vágó.

Un système féodal

Le favoritisme du parti au pouvoir se manifeste dans un domaine particulièrement sensible : l’agriculture. Un portfolio de 65.000 hectares de terre arable appartenant à l’Etat a été débloqué à destination des petits exploitants pour les aider à vivre de leur production agricole. Viktor Orbán ayant affirmé à plusieurs reprises vouloir favoriser les petits producteurs évoluant dans des structures familiales plutôt que les grands propriétaires terriens. Tout agriculteur peut donc répondre à un appel d’offre et obtenir plusieurs dizaines d’hectares à louer à un prix inférieur au cours normal du marché - environ 25.000 forints par ha (80 €) – et pour une durée de 5 à 20 ans.

Une véritable aubaine avec l’alignement des subventions agricoles européennes à destination des exploitants hongrois sur celles octroyées aux agriculteurs d’Europe de l’Ouest.

Sauf que le système d’attribution des terres - supervisé par une cellule du ministère de l’agriculture et du développement rural (NFA) - est biaisé et repose pour moitié sur des critères subjectifs donnant lieu à des décisions sur mesure et arbitraires. Les contrats de location ont été passés au crible dans deux départements, Fejér et Borsod, et chaque jour apporte un nouveau scandale et de nouvelles preuves de l’accaparement des terres par un petit nombre de personnes liées de près ou de loin à la Fidesz, au détriment des petits exploitants locaux.

Un exemple parmi beaucoup d’autres : dans le département de Borsod, dans le nord-est du pays, un premier contrat de location négocié avec l’ensemble des agriculteurs locaux a été annulé pour finalement attribuer la moitié des terres à seulement trois propriétaires, recevant chacun 500 hectares.

Le cas le plus emblématique, à ce jour, est celui de Lörinc Mészaros, désormais affublé dans la presse du titre d’"oligarque du système Orbán". Le parti écologiste LMP a révélé que sa société louait 1.250 hectares de terres appartenant à l’Etat, dont 460 lui avaient été octroyés au cours des dernières semaines. Difficile de ne pas voir le lien avec le fait que ceci se passe à Felcsút, une petite commune de l’ouest de la Hongrie dont M. Mészaros est le maire, où Viktor Orbán a passé son enfance et où il développe actuellement une académie de football. Le quotidien de gauche Népszabadság estime que le parti Fidesz est en train de bâtir un « système féodal », favorisant l’émergence d’une nouvelle caste, se comportant en petits seigneurs locaux, fidèles au pouvoir central en échange de ses largesses, vivant souvent dans de confortables villas des collines de Budapest tout en assurant leur assise dans un fief rural en distribuant des petits emplois aux paysans locaux privés de terre.

Les "barons verts"

C’est le député de la Fidesz József Ángyán qui a tiré la sonnette d’alarme en constatant ces dérives. Cet ingénieur agricole et professeur d’université a démissionné au début de l’année du poste de secrétaire d’état au développement rural après avoir compris que son plan de développement - pourtant salué par le Premier ministre lui-même - ne serait jamais mis en application : un projet extrêmement ambitieux de relocalisation des économies à travers la mise en place d’une agriculture paysanne de proximité, une revitalisation des campagnes et la création d’emplois locaux verts soutenables. Ce projet restera dans les cartons du ministère de l’agriculture, victime vraisemblablement du lobbying des grands propriétaires terriens représentant une coalition de "groupes économiques cupides, de familles mafieuses, d’oligarques spéculateurs, d’anciens directeurs de fermes collectives et de « barons verts » qui ont réussi à faire main-basse sur les fermes d’Etat au moment de leur privatisation", selon les propres mots de M. Ángyán. 18 associations écologistes l’ont soutenu, déclarant conjointement dans une lettre publique adressée au 1er ministre que « le gouvernement ne devrait pas suivre la politique néolibérale qui considère la protection environnementale, la préservation des ressources naturelles et le soutien aux petits agriculteurs comme des obstacles au développement économique ».

Jugeant que le système d’appel d’offres de bail foncier est « inacceptable et indéfendable », József Ángyán vient d’appeler le gouvernement à stopper ce processus et à annuler les baux déjà signés. "Cette direction nous mène à l’Amérique du Sud, et sape fondamentalement notre alliance avec le peuple ! Nous devons donner la terre aux résidents locaux, aux familles exploitantes, aux jeunes couples, pas aux rentiers oligarques spéculateurs et aux barons verts ! C’est la seul façon de créer des emplois et de maintenir nos terres dans un cadre national", écrit-il sur un site internet créé récemment avec pour objectif de passer aux cribles ces contrats de location de terre.

Les étrangers guignent les fertiles terres hongroises

En réponse aux attaques du parti LMP accusant le gouvernement de représenter les intérêts des "oligarques proches de la Fidesz" avant ceux de son peuple , Viktor Orbán a assuré que "la Fidesz s’accrochera au pouvoir au nom des classes moyennes", indiquant aussi qu’il aimerait voir en Hongrie "plus de magnats et de personnes qui réussissent dans la classe moyenne et le moins possible de gens pauvres. Le système actuel ne laisse pas la place aux oligarques, mais la Hongrie a besoin de grands investisseurs, de millionnaires et de grandes compagnies hongroises, sans quoi "tout sera pris par les étrangers", a-t-il aussi affirmé. Car les « étrangers » aussi, lorgnent avec envie sur les très fertiles terres hongroises… Pour Viktor Orbán, "la guerre a commencé"

Les « oligarques » de Viktor Orbán ne sont pas les seules menaces qui pèsent sur le monde rural hongrois. Les terres arables - dont la quasi-totalité étaient exploitées par des fermes d’Etat et des coopératives – ont été privatisées au début des années 1990 par une « Loi sur la terre » excluant les étrangers. Le moratoire obtenu par la Hongrie au moment de son entrée dans l’Union européenne pour protéger ses terres des spéculateurs – et maintes fois reconduit depuis - prendra fin le 1er mai 2014.

Avec un prix moyen de 1.500 euros par hectare (440.000 HUF) contre près de 5.000 euros en France, les terres arables hongroises, très fertiles, aiguisent les appétits. Dans un contexte de crise alimentaire mondiale où un nombre croissant d’Etats et d’investisseurs privés cherchent à s’accaparer des terres pour assurer leur propre sécurité alimentaire ou pour réaliser des investissements purement spéculatifs - selon le constat dressé par la FAO elle-même – il ne fait aucun doute que les terres hongroises vont faire l’objet d’une âpre lutte.

Le branle-bas de combat est général en Hongrie. Les prochaines guerres se feront pour l’acquisition de terres agricoles et de l’eau, a déclaré Viktor Orbán au mois de février. "Cette guerre a déjà commencé, pas avec des armes, mais avec d’autres moyens […], nous devons donc être sur nos gardes". Le ministre de l’agriculture et du développement rural, Sándor Fazekas, se réjouit que le gouvernement ait "déclaré la guerre aux spéculateurs" en préparant une nouvelle loi sur la terre et rappelle que "Notre loi fondamentale proclame notre terre comme un trésor national et la base de l’existence de la nation. Nous devons être en mesure de créer des lois qui garantissent que les terres hongroises restent dans des mains hongroises".

Mais le combat n’est-il pas déjà perdu ? 1 million d’hectares auraient déjà été vendus en sous-main à des étrangers, selon le gouvernement, qui a promis il y a quelques jours des peines de prison ferme de 1 à 5 ans pour quiconque se trouverait impliqué dans ce type de transactions illicites. La bataille pour la terre ne fait que commencer.

Corentin Léotard est journaliste. Il vit à Budapest, où il anime le site d’actualité Hulala

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