Accaparement des terres au Cambodge : l’UE face à ses responsabilités

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Après des années de déni, le gouvernement cambodgien a décidé de s’emparer du sujet. Le 10 février dernier, il convoquait une réunion extraordinaire au ministère du Commerce.
Novethic | 18 mars 2014

Accaparement des terres au Cambodge : l’Union Européenne face à ses responsabilités

En 2001, l’Europe lançait « tout sauf les armes ». Ce programme permet à une cinquantaine de pays pauvres d’exporter vers l’Europe sans s’acquitter de droit de douanes. Mais Bruxelles n’avait pas mesuré les effets pervers de ce dispositif, en particulier dans le secteur sucrier. Au Cambodge, de petits exploitants se font exproprier depuis des années par de grandes entreprises sucrières. Sous la pression de plusieurs Organisations Non-Gouvernementales, le gouvernement cambodgien s’intéresse enfin à la question.

Les liens entre production sucrière et expropriations paysannes sont désormais établis. Le phénomène touche de nombreux pays pauvres ou émergents. C’est en particulier le cas du Cambodge. Depuis une dizaine d'années, la culture de la canne à sucre s'est fortement développée dans le pays. L’une des raisons principales de cet essor, c’est le dispositif « Tout sauf les armes ». Un accord commercial en vigueur depuis 13 ans qui permet à une cinquantaine de pays pauvres d’accéder au marché européen sans taxes douanières.

Depuis 2001, ce sont 100 000 hectares de plantations qui ont été créées dans le pays. Le sucre produit, massivement exporté (+270% entre 2009 et 2011 pour un total de 13 millions de dollars en 2011), l’est à 90% vers l'Union européenne. Mais le coût social de cette culture est élevé. Ces dernières années, l’accaparement des terres et le déplacement de villageois sont devenus fréquents. Le non-respect du droit de ces paysans a été décrit dans le détail il y a un an dans deux rapports chocs publiés par Oxfam et la Clean Sugar Campaign (deux ONG, Organisations Non Gouvernementales).

Vers la fin du déni ?

Après des années de déni, le gouvernement cambodgien a décidé de s’emparer du sujet. Le 10 février dernier, il convoquait une réunion extraordinaire au ministère du Commerce.

Plusieurs ministres et représentants provinciaux ont rencontré des entreprises de l'industrie sucrière, en présence de l'ambassadeur de l'Union Européenne (l’UE) à Phnom Penh. L'ordre du jour : ce que les ONG appellent ʺl'accaparement de terre ʺ (ou « land grabbing »). « Les participants ont discuté activement du sort des familles affectées par les concessions de canne à sucre », indique un communiqué  du ministère, publié sur Facebook. Un communiqué dans lequel les autorités cambodgiennes affichent clairement leur objectif : ne pas perdre le bénéfice de l'accord « Tout sauf les armes ».

A Phnom Penh, l'épisode marque indubitablement un tournant dans le respect des droits des paysans. Car Jusqu'à présent, les entreprises et l'Etat affirmaient que les paysans, expropriés entre 2006 et 2012, avaient été indemnisés, ce que contestent les ONG.

L’Union Européenne tarde à réagir

La question des conséquences sociales de l’accord « Tout sauf les armes » est désormais sur la table. « Le problème est réel. Les paysans ont été expropriés parfois très violemment, avec des compensations insuffisantes. Il n'est pas du tout normal que les bénéficiaires de l'accord ne soient pas les paysans», estime l’eurodéputé Patrice Tirolien, de retour d'une mission au Cambodge effectuée en janvier, à l'invitation de l'ONG Peuples Solidaires. Après avoir recueilli les témoignages de villageois, l’élu socialiste demande à l’exécutif de l'UE (la Commission Européenne) de se saisir du sujet. Une demande qui est pour l’instant restée sans réponse. A ce jour, aucune enquête officielle n’a été lancée sur la question. Quant à l'ONG Peuples Solidaires, elle demande  à l'UE d’inscrire sur une liste noire les entreprises complices d'accaparement ou de violation des droits paysans.

Les producteurs sucriers sous pression

Parmi les entreprises incriminées figure le groupe thaïlandais Mitr Phol. Le géant du sucre en Asie et cinquième producteur mondial est en effet titulaire de 20 000 hectares de concession sucrière dont la moitié via des prête-noms , selon la presse et les ONG. En 2012, le président de Mitr Phol avait annoncé des projets de culture de canne à sucre au Cambodge en lien avec les facilités d'exportation vers l'Europe. Mais l'entreprise affirme aujourd'hui ne pas produire de sucre dans le royaume Khmer.

Faut-il y voir l'influence de Coca-Cola, l’un de ses plus gros clients ? C’est probable, même si aucune information n’a pour l’instant filtrée. Car la firme américaine a débuté une évaluation des risques d'accaparement des terres auprès de ses fournisseurs thaïlandais, conformément à sa politique de tolérance zéro en la matière, lancée en novembre 2013. « Contrairement à la Thaïlande (deuxième exportateur mondial de sucre, ndlr) le Cambodge ne fait pas partie de nos pays d’approvisionnement. Mais si un de nos fournisseurs a des activités dans ce pays, l'accaparement des terres au Cambodge sera abordé lors de notre évaluation », précise Coca-Cola Europe.

Autre bête noire des ONG, Phnom Penh Sugar (PP Sugar), qui détient – en direct et via des prête-noms - 23 000 hectares de plantations et une raffinerie de sucre dans la province de Kampong Speu, située à proximité de la capitale du pays. PPSugar est accusé d’avoir fait évacuer près de 1 500 familles, dont une partie sans indemnisation. Le patron de cette entreprise, le sénateur et magnat des affaires cambodgien Ly Yong Phat, s’est jusqu’à présent refusé à traiter le problème. Mais il doit depuis peu rendre des comptes à l’un de ses financeurs, la banque australienne ANZ. Depuis que la presse cambodgienne a dévoilé, en janvier 2013, qu'ANZ avait financé PP Sugar sans se préoccuper du sort des villageois, la banque est effectivement victime d’une campagne de communication négative. Conséquence ? Des réunions entre la banque, PP Sugar et les paysans ont eu lieu à la fin du mois de janvier. Elles pourraient aboutir à l’indemnisation des paysans.

Thibault Lescuyer
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