Bradage des terres arables en Côte d'Ivoire : Le régime Ouattara «cadeaute» une multinationale véreu

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Le Nouveau Courrier | 15 Octobre 2014 

Bradage des terres arables en Côte d'Ivoire : Le régime Ouattara «cadeaute» une multinationale véreu

Alors qu'un de ses promoteurs est précédé d'une réputation pour le moins sulfureuse de spécialiste de l'accaparement des terres et de la fraude, et qu'elle a déjà montré des signes tendant à laisser penser qu'elle veut flouer les propriétaires fonciers et les services des Impôts, une joint-venture indo-israélienne spécialisée dans l'huile de palme vient de bénéficier d'une incroyable exemption fiscale de la part du pouvoir. Une ONG internationale vient de lever le lièvr

C'est une passionnante enquête de fond publiée hier par l'ONG Grain, qui s'est donnée pour mission de défendre les paysans et le mouvement social dans ce qui est en réalité une « lutte à mort » contre les puissants intérêts financiers qui veulent s'accaparer les terres arables et les circuits de production des denrées agricoles. Elle s'attache à mettre en lumière l'influence croissante du milliardaire indien Chinnakannan Sivasankaran, dont la firme, le Siva Group, notamment à travers ses filiales, a des intérêts dans à peu près un million d'hectares de terres arables dans le monde – près de 40% de la superficie globale d'un pays comme le Rwanda – qu'il transforme en plantations de palmier à huile. « Sur le papier, le groupe est désormais l'un des plus gros propriétaires de terres agricoles au monde », écrit l'ONG sur son site Internet. Avant de préciser : Mais Sivasankaran est également un accapareur de terres et un habitué de la fraude fiscale. Comme avec la majorité des investisseurs transnationaux dans le domaine agricole, les investissements passent à travers tout un réseau de sociétés-écrans établies dans des paradis fiscaux offshore. Les entreprises dont il détient les parts sont impliquées dans des transactions foncières douteuses et des systèmes de pots-de-vin, et semblent avoir pour but de remplir les poches de leurs directeurs plutôt que de produire de la nourriture ». Parmi les pays dans lesquels ce gros bonnet du « land grabbing » (accaparement des terres) agit, la Côte d'Ivoire est en « joint-venture » avec des intérêts qui connaissent mieux le terrain local. Il s'agit de Dekel Oil, une entreprise spécialisée dans l'huile de palme basée à Chypre et qui se trouve avoir été créée par Youval Rasin, un businessman israélien qui contrôle déjà Starten Technologies Côte d'Ivoire, qui avait bénéficié du marché de « pré-enregistrement du permis de conduire » en 2002, et qui avait défrayé la chronique sur fond de batailles d'intérêts entre deux ministres membres du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) : Mabri Toikeusse (allié de Starten) et Anaky Kobena (allié de l'opérateur suisse Interflex, rival de Starten, qui avait gagné le marché de l'édition des permis de conduire format carte de crédit).

Une mystérieuse compagnie dénommée IVAD 

Le groupe indien Siva et l'Israélien Dekel Oil ont mis en place CS DekelOil Siva Ltd. Le premier partenaire cité détient 49% des parts de l'entreprise et le second 51%. C'est le second qui contrôle les terres pour le compte des deux compagnies. Mais il y a un troisième larron ! Une mystérieuse compagnie, dénommée IVAD, que l'ONG Grain n'a pas réussi à joindre en dépit de ses efforts, et qui est enregistrée sous une adresse qui ne correspond pas à la localisation d'une quelconque entreprise. IVAD (Ivoire Agro Développement) est une société à responsabilité limitée (SARL) au capital de 5 000 000 FCFA (rien à voir avec la puissance des deux multinationales partenaires, donc) qui a été créée en février 2010 par un certain Ibrahima Diarrassouba, si l'on en croit les annonces légales publiées par le portail Abidjan.net. En réalité, IVAD est le rouage par lequel le code foncier rural ivoirien, qui stipule que la terre doit appartenir à des personnes physiques ou morales ivoiriennes et ne peut qu'être louée à des intérêts étrangers, doit être « apprivoisé ». Le travail d'IVAD est d'obtenir des droits de bail des propriétaires fonciers d'Ayenouan (27 000 hectares de terres) et de Guitry (24 000 hectares). « Les accords fonciers en Côte d'Ivoire diffèrent des concessions que Sivasankaran a obtenues dans d’autres pays. Conformément aux accords passés avec les coopératives d’Ayenouan, Dekel Oil aide les membres des coopératives concernées à obtenir des titres de pro - priété individuels ; ceux-ci louent ensuite leurs terres à DekelOil et cèdent à l’entreprise les droits exclusifs à la production de l’huile de palme. En échange, DekelOil s’engage à leur payer un pourcentage des bénéfices nets dérivés de l’huile produite sur leurs terres », écrit Grain. 

Les propriétaires terriens contestent ! 

Opération win win ? Seulement en apparence. En réalité, tout est fait pour flouer les paysans. « [DekelOil] prétend s’être déjà assuré les droits d’exploitation de plus de 24 000 ha, sur des terres convenant au développement de la production d’huile de palme dans la région. Selon Lincoln Moore, le PDG de DekelOil, ces droits sont fondés sur un accord d’avril 2011 avec une entreprise locale, Ivoire Agro Développement (IVAD). DekelOil soutient qu’IVAD avait signé au début de 2011 un accord avec deux familles propriétaires de ces terres et que selon l’accord, « IVAD était censé trouver un investisseur pour développer les terres en question sur 2 000 hectares » et avait obtenu « le droit de proposer l’usage des terres à des tiers. » IVAD et DekelOil ont ensuite signé des accords donnant à DekelOil un bail de 50 ans sur les terres, y compris les 2 000 ha d’IVAD, contre une série de paiements à IVAD se montant à un total de 1,5 million d’euros [1 milliard de FCFA, ndlr]. » Le hic, c'est que les familles en question contestent cette version des faits. « Aucun document officiel quel qu’il soit, et qui pourrait donner à DekelOil les droits sur nos terres n’a jamais été signé avec IVAD, » affirme ainsi M. Titikpeu, du village de Tiegba, où DekelOil prétend avoir le droit d’exploiter les terres. « Notre famille réfute toute allégation par DekelOil ou IVAD quant à leur droit de se servir de nos terres. » Palabres homériques en perspective. En tout cas, l'effet d'annonce, même s'il ne correspond pas à la réalité, a permis à DekelOil de lever des fonds sur les marchés financiers ! 

Des millions pompés dans les caisses 

Il y a plus grave. Dans le type de contrats qu'elle signe avec les propriétaires fonciers, notamment à Ayénouan, où les opérations ont commencé, la multinationale propose un partage des bénéfices. Et pourtant, si l'on se fie aux investigations de l'ONG Grain, sa comptabilité est plus que douteuse. L'hypothèse la plus probable est que DekelOil maquille ses bénéfices locaux ou exagèrent ses pertes pour ne pas avoir à payer des dividendes aux paysans. « Les propriétaires d’IVAD ne sont pas les seuls à pomper les millions dans les caisses de DekelOil. Les directeurs de l’entreprise, les cadres, et nombre de consultants, de responsables des relations publiques et de conseillers financiers engloutissent la plus grande part des dépenses annuelles de l’entreprise. En 2010, les dépenses d’administration dépassaient les dépenses de fonctionnement : chose stupéfiante, elles représentaient dix fois plus, soit 2,3 millions d’euros contre 242 000 euros. Youval Rasin, PDG et actionnaire principal de DekelOil, a droit à un bonus de 50 000 euros et un salaire annuel de 240 000 euros maintenant que la première usine est en fonctionnement. Les entreprises qu’il contrôle avec le Rina Group reçoivent aussi plus de 150 000 euros par an de DekelOil pour des bureaux à Abidjan et en Israël. Une autre filiale du Rina Group, Starten Ltd, reçoit régulièrement des paiements de DekelOil qui ne sont pas clairement justifiés dans les déclarations financières de l’entreprise : 50 000 euros en 2010, 141 000 en 2011 et 80 000 en 2012 », révèle Grain. « Quand tout l’argent de l’entreprise disparaît dans les poches de ses directeurs et des consultants étrangers, on peut difficilement imaginer que DekelOil puisse un jour réaliser des bénéfices en Côte d’Ivoire », ajoute-t-elle. Or, pas de bénéfices officiels, pas de bénéfices pour les propriétaires fonciers ! 

L'étrange « cadeau » du pouvoir à une firme peu scrupuleuse 

Alors qu'il fait subir aux PME locales une pression fiscale inédite et multiplie les redressements fiscaux brutaux, le régime Ouattara a les yeux de l'amour pour DekelOil, en dépit des bizarreries qui figurent dans sa comptabilité. « En mars 2014, le gouvernement ivoirien a accordé à l'entreprise une exemption fiscale de 13 ans sur les bénéfices provenant de son usine d'huile de palme », écrit Grain. Le communiqué de la firme est plus précis. De janvier 2014 à décembre 2026, l'exemption sera de 100%. Durant l'année 2027, elle sera de 50%. Et en 2028, elle sera de 25%. Bien entendu, les mauvaises langues mettront en parallèle les très floues « dépenses de fonctionnement » de la multinationale et le cadeau princier qui lui a été fait par le pouvoir. Mais ce ne sont que des mauvaises langues... Au fait, qui défendra les paysans et les propriétaires terriens ivoiriens ?   

Par Théophile Kouamouo

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