Conflits fonciers au Burkina Faso : vivement le « sur sceau » salvateur de l’Etat !

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LeFaso.net | samedi 17 janvier 2015

Conflits fonciers au Burkina Faso : vivement le « sur sceau » salvateur de l’Etat !

La récurrence des conflits fonciers est un fait au Burkina Faso à l’instar de nombreux pays africains. En effet, si les périodes qui ont suivi la crise des prix alimentaires en 2007 ont vu se produire une ruée vers les terres agricoles suscitant dans la foulée l’apparition du concept d’« accaparement des terres », il convient de souligner que les sources et la nature des conflits en matière foncière sont diverses. Des querelles entre agriculteurs et entre agriculteurs et éleveurs du fait de l’accès et de l’utilisation fortement compétitifs du foncier et des ressources naturelles en milieu rural aux profondes discordes liées aux lotissements et à l’habitat en milieu urbain et périurbain, ce sont autant de conflits liés au foncier. L’on en appelle à la responsabilité de l’Etat quant à la sécrétion concertée de mécanismes efficaces de gestion foncière avec l’ensemble des acteurs ; les « vrais » acteurs.

Il convient de noter que la question foncière, qui n’est d’ailleurs pas nouvelle, est de plus en plus au cœur de l’actualité, notamment depuis 2007 où l’acquisition de terres à grande échelle dans les pays en développement a considérablement évolué du fait de la crise des prix alimentaires. Elle mobilise des acteurs locaux, à savoir des agriculteurs, des éleveurs nomades mais aussi de nouveaux acteurs qui ont découvert en la terre un véritable moyen de sécurisation d’investissements. Les acquisitions privatives de l’espace par les nouveaux acteurs est, en cela, en nette progression. Les populations locales, en majorité rurales ou devenues urbaines du fait des remembrements, tirent également leurs moyens d’existence de la terre à travers l’agriculture et les ressources naturelles renouvelables tout en y déposant légitimement leurs habitats renforçant ainsi une certaine pression foncière.

Après les nombreux cas de conflits relayés par la presse notamment dans les régions de la boucle du Mouhoun, du centre ouest, du centre sud, c’est le cas de Nioko II dans l’arrondissement 19 de la ville de Ouagadougou qui défraie la chronique, notamment par sa flagrance, tout en se distinguant des autres par son caractère périurbain. Une grande superficie de cette localité aurait été vendue à la Société de Construction et de Gestion Immobilière au Burkina (SOCOGIB) au grand dam des populations locales, pis à l’insu des autorités coutumières locales comme révélé dans le journal télévisé de 20h de la RTB du 11 janvier dernier. Que faut-il retenir de cette situation ?

Notons que la forte demande sociale en matière d’accès à la terre, perceptible du fait de la croissance démographique ainsi que les conflits qui en découlent, suscitent des interventions de l’Etat dans la gestion du foncier au Burkina Faso. Des interventions qui paraissent parfois quasi conjoncturelles tant les conflits semblent ressurgir sous d’autres formes au fil des années. Des textes épars d’après les indépendances sur le foncier jusqu’à l’actuelle loi n° 034-2012/AN du 02 juillet 2012 portant Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) qui a justement abrogé la loi antérieure n° 14/96/ADP du 23 mai 1996 portant elle aussi RAF, ce sont autant de dispositifs juridiques qui ont régi ou continuent de régir la terre au Burkina Faso. Des conflits multiformes relatifs au foncier et aux ressources naturelles ont cependant de tout temps persisté sous des formes aiguës.

En août 2007 une Politique Nationale de Sécurisation Foncière en Milieu Rural (PNSFMR) est adoptée comme pour traduire la volonté de l’Etat de réguler définitivement l’accès au foncier et de sécuriser les droits fonciers en termes de prévention de conflits. En effet, cette politique s’est voulue participative (comme le veulent les standards internationaux) au regard des acteurs ayant pris part à son élaboration à savoir les organisations de producteurs, de femmes, les autorités coutumières et religieuses, les maires, l’administration déconcentrée et décentralisée, le secteur privé agricole. Elle a même suscité l’adoption des lois n°034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural et 034-2012 précitée. Cependant il faut craindre que l’implication de certains acteurs ne soit faite pour légitimer formellement, aux yeux de l’opinion nationale et internationale, l’adoption d’une politique foncière qui serve en réalité les intérêts du seul Etat ou du moins des intérêts inavoués se camouflant derrière l’institution étatique. Le piège de l’ethnocentrisme sont réels.

A l’analyse, cette intervention étatique a probablement, et ce serait dommage, écarté les droits fonciers endogènes de certaines populations autochtones. Au demeurant, le rapport de celles-ci à la terre en termes de droit est qualifié de « possession » comme il est clairement mentionné dans la loi sur le régime foncier rural. Cette intervention n’a visiblement pas tenu compte des spécificités locales au regard des diversités culturelles, notamment les droits fonciers existant, les modes de gestion foncière des populations locales, le terme « possession », dénotant une réserve face à une éventuelle reconnaissance des droits fonciers locaux. La possession foncière rurale étant, aux termes de l’article 6 alinéa 5 de la loi portant régime foncier rural, « le pouvoir de fait légitimement exercé sur une terre rurale en référence aux us et coutumes foncières locaux ». La « possession foncière » revêt ainsi une moindre valeur juridique eu égard au droit moderne, la référence à la notion de « pouvoir de fait » conduisant à ne considérer les « us et coutumes foncières locaux » que comme seulement des « commencements » de droit et donc non achevé ; ce qui implique pour les possesseurs légitimes de terres d’accomplir des démarches administratives pour jouir pleinement de la propriété de leurs terres. Le possesseur ne dispose pas de droit sur la terre reconnue par le droit positif, qui lui ne raisonne qu’en termes de droits de propriété, quand bien même il détiendrait sa terre d’une succession lignagère comme c’est généralement le cas chez les populations locales. Celles-ci « squattent », au regard des lois modernes, sur les terres dont elles ont hérité et pour lesquelles elles ne détiennent pas de titre formel justifiant leur titre de possesseurs légitimes. Manifestement le droit de l’Etat privilégie une logique occidentale. En effet, l’Etat du Burkina Faso intègre la forme républicaine de l’Etat qui fait peu de place aux droits endogènes dans sa sphère juridique. Il n’est donc guère surprenant que la loi portant RAF assure une réforme foncière sur la base du monopole foncier étatique et c’est ce « trop » de pouvoir étatique sur le foncier qui consacre l’ethnocentrisme qui a justement pour propriété de réduire à néant les droits endogènes et séculaires pour la plupart.

En outre, il n’est pas rare de constater sur le terrain un certain nombre de comportements susceptibles de créer des conflits sociaux. Il faut dire que certains invoquent la propriété étatique de la terre pour espérer un meilleur accès à la terre quand d’autres considèrent que si la terre appartient à l’État, c’est qu’elle appartient à tous. Les populations locales, elles, dénoncent naturellement le monopole foncier étatique au regard de la légitimité de leurs droits fonciers endogènes. Et que dire des collectivités locales qui mettent en avant leurs prérogatives de puissance publique pour disposer des terres au nom de « l’intérêt général » ? En témoigne le cas de Nioko II. Sur ce dernier aspect, il convient de souligner que la RAF définit les terres des collectivités territoriales à l’instar de celles de l’Etat central. Ces démembrements de l’Etat sont dotés de droits réels sur l’espace au niveau local de sorte qu’ils sont des relais de la gestion hégémonique du foncier par l’Etat. A l’image de l’Etat, celles-ci disposent légalement de grandes prérogatives sur les terres au détriment des populations locales et de leurs entités de gestion foncière.

En tout état de cause, la cohésion sociale et territoriale est confrontée à la réalité de l’existence de droits coutumiers qui ne doivent pas être ignorés par le législateur qui justifie son intervention dans la question foncière par la bonne gestion des demandes sociales et les conflits. La terre se veut dans nos sociétés lignagères un élément d’identité et de reproduction sociale. Elle permet ainsi de qualifier, d’identifier une communauté (la terre de telle ou telle famille ou clan, ou encore tribu). Elle est, somme toute, le patrimoine commun d’une communauté qui espère améliorer son quotidien à travers les diverses activités pouvant s’y mener et l’utilisation des ressources naturelles. Par ailleurs, la gestion du foncier au niveau local à une échelle nationale pose le problème de légitimité et surtout de capacité des acteurs locaux quant à une meilleure utilisation des espaces et même des ressources.

La RAF semble présenter des limites évidentes quant à la réelle implication des institutions locales de gestion du foncier comme indiquée par la PNSFMR. En tout état de cause, la concertation entre acteurs, par l’articulation des échelles de décision, sera une dimension indispensable de la mise en place d’outils politico-juridictionnels de gestion du foncier à tous les échelons territoriaux d’où l’idée du « sur sceau » salvateur de l’Etat. Oui, l’Etat doit sortir de son apparent ethnocentrisme pour aller au-delà du droit positif d’inspiration coloniale aux fins d’une prise en compte effective des aspirations réelles des populations. Il doit oser ce pas original, ce sursaut impératif qui se veut inclusif et qui tranchera avec les méthodes habituelles de gestion du foncier. Ce serait une révolution copernicienne qui rapprochera incontestablement les positions jadis figées pour une cohésion sociale défiant toute divergence liée à la terre. C’est cette approche collectiviste de gestion du foncier qui, se voulant véritablement participative eu égard à la prise en compte des droits endogènes, constituera vraisemblablement un signal fort de la part de l’Etat. Oui, un sceau qui sera la marque indélébile consacrant définitivement la gestion participative et consensuelle des terres, éléments d’identité sociale et d’enjeux fortement conflictuels, de sorte que la paix sociale s’en trouve sauvée.

L’intégration des pratiques locales dans un cadre légal est une condition de l’acceptabilité du dispositif juridique de gestion du foncier au niveau local. L’adoption de règles de gestion du foncier gagnerait à intégrer les pratiques locales qui survivent aux générations et aux individus. L’adoption en amont de coutumiers juridiques par exemple aurait probablement rendu plus efficiente la prise en compte des acteurs locaux du foncier dans l’adoption de la politique foncière. Une codification ou même une identification complète des systèmes endogènes de gestion foncière pourrait nous éviter d’autres conflits même s’il faille donner le choix aux uns et aux autres quant à leur utilisation.

La nécessité d’adopter des outils juridiques de gestion foncière adaptés est désormais un impératif. Encore faut-il que ces nouveaux outils de gestion foncière ne soient pas imposés aux acteurs fonciers locaux au risque de ne pas rencontrer l’adhésion de ceux-ci. Il faut donc éviter d’adopter par le haut les règles juridiques de gestion foncière. Ce serait vouloir les imposer à leurs destinataires qui, il faut le rappeler, sont habitués à leurs règles de gestion endogènes de la terre très souvent caractérisées par l’oralité. Lesdites règles sont des pratiques locales qui bénéficient d’une légitimité auprès de ceux-ci car issues d’eux- mêmes. Nous devons donc aboutir à une savante articulation entre la gouvernance locale (droits endogènes) et la gouvernance républicaine (droit positif). L’enjeu ici est celui du « pluralisme juridique » ; la coexistence dans un même espace de plusieurs ordres ou systèmes juridiques concurrentiels.

Mamoudou BIRBA
Afrique Internationale pour le Développement et l’Environnement au 21ème siècle/ Bureau National du Burkina Faso (AIDE21- Burkina)
Collaborateur du Cadre d’action des Juristes de l’Environnement (CAJE)
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