Accaparement des terres : nouvelles actions contre Bolloré

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Un groupe de villageois bloque la plantation de la Socapalm à Mbongo au Cameroun, le 28 avril 2015. (Photo : ReAct)

Mediapart | 30 avril 2015

Accaparement des terres : nouvelles actions contre Bolloré

Par Dan Israel

Au Cameroun, des paysans et des villageois ont bloqué cette semaine des plantations détenues en partie par le groupe Bolloré. Ils attendent depuis 2013 que leurs revendications soient entendues. Le groupe se retranche derrière son statut d'actionnaire minoritaire. Et les opposants sont toujours attaqués en justice.

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Des actions pour relancer l’attention, et exiger des négociations. Enfin. Au Cameroun, les paysans et villageois riverains des plantations de palmiers à huile du groupe Bolloré ont lancé des blocages des usines et des plantations pour se faire entendre : l'usine Socapalm de Dibombarri, à l’ouest du pays, a été bloquée du jeudi 23 au lundi 27 avril au soir, et la plantation Socapalm de Mbongo l'a été toute la journée du mardi 28 avril. Plusieurs centaines de personnes étaient mobilisées sur place, selon le récit de l’ONG ReAct, qui coordonne depuis 2013 les actions des paysans dénonçant l’utilisation abusive de leurs terres par la société Socfin, détenue en partie par Bolloré, dans cinq pays d’Afrique et d’Asie. Les organisateurs tentent de mettre en place des actions qui se relaient, au Cameroun d’abord, puis au Cambodge, au Liberia et en Côte d’Ivoire.

Cette mobilisation n’est que le dernier acte d’un interminable bras de fer entre le groupe Bolloré et le groupement d’association de paysans et de villageois, que nous racontions déjà ici. « Six mille personnes sont privées de leurs terres par les plantations Socfin au Cameroun, deux mille au Liberia, mille en Côte d’Ivoire, huit cents familles au Cambodge, deux cents au Sierra Leone », affirme dans un communiqué le Camerounais Emmanuel Elong, président de la coordination, dénommée « alliance internationale des riverains des plantations Socfin Bolloré ».

Les militants sont porteurs de revendications et d’accusations anciennes, que le groupe Bolloré connaît bien, par exemple énumérées dans une lettre ouverte qui avait été remise en main propre, en juin 2013, à Vincent Bolloré. Ils dénoncent les conditions de vie et de travail au sein ou à proximité des immenses plantations d’hévéas et de palmiers à huile que détient le groupe, qui reste minoritaire dans les sociétés qui les exploitent. « L'impact du groupe que vous contrôlez sur nos vies est immense et pourtant, nous n'avons jamais eu de relations directes avec ses représentants », écrivait l’alliance, dénonçant « les pratiques dominantes » des entreprises contrôlées par Vincent Bolloré.

Au cœur des doléances, l’« accaparement aveugle des terres ne laissant aux riverains aucun espace vital », même pas pour développer des cultures vivrières, la « faiblesse des compensations accordées aux populations riveraines », la « réduction forte des services et des contributions au développement social des villages », contrairement aux bonnes intentions affichées et parfois aux conventions signées. Les collectifs, qui revendiquent d’être reconnus comme des interlocuteurs valables localement, réclament que les plantations ne s’étendent plus sur « l’espace vital des villages riverains », et demandent même des rétrocessions de terres, mais aussi le financement par les entreprises de services sociaux pour les habitants, et « l’appui au développement de plantations villageoises ».

Les associations avaient nourri un sérieux espoir lorsque le groupe Bolloré avait accepté de lancer un processus de négociation à Paris, le 24 octobre dernier. Marie-Annick Darmaillac, la secrétaire générale adjointe du groupe, s’était engagée sur plusieurs points pour résoudre les conflits provoqués par les activités de la Socfin… dont aucun représentant n’avait pourtant accepté d’être présent. Mais Bolloré avait promis d’être un « facilitateur de dialogue » entre les deux parties.

Peine perdue. Selon plusieurs sources, le processus engagé a capoté, le groupe Bolloré ne parvenant pas à convaincre le principal acteur dans le capital de la Socfin, Hubert Fabri, pourtant très proche de Vincent Bolloré. « Le Groupe Bolloré rappelle qu’il n’est qu’actionnaire minoritaire et non gestionnaire du Groupe Socfin qui, depuis plus de 70 ans, est contrôlé majoritairement et dirigé par la famille belge Fabri », a indiqué le groupe dans un communiqué diffusé la semaine dernière. Une réponse écrite plus complète a été promise pour les jours à venir, et Mediapart n’a pas obtenu plus de précisions de la part de Bolloré ou de ses représentants.

Hubert Fabri refuserait de reconnaître les associations de villageois et de paysans comme des interlocuteurs légitimes, se bornant à dialoguer avec les pouvoirs locaux. « Bolloré ne tient pas ses promesses et fuit ses responsabilités. Hubert Fabri méprise tellement les communautés locales qu’il n’a jamais répondu à nos lettres », se désole Emmanuel Elong.

Et officiellement, c’est en effet Fabri qui a la main sur les plantations. Socfin est une société luxembourgeoise, dont le groupe Bolloré est actionnaire à hauteur de 38,7 %. C’est l’un des premiers planteurs indépendants au monde, avec environ 150 000 hectares de plantations. Même s’il en parle sur son site, Bolloré explique régulièrement qu’il n’est qu’un actionnaire minoritaire de Socfin. Officieusement, l’entreprise est pourtant bien le faux nez de Bolloré en Afrique.

Comme l’a raconté Mediapart dans son enquête sur la face cachée du groupe, Vincent Bolloré demeure très actif dans les choix stratégiques concernant l’entreprise. Il est présent au conseil d’administration de Socfin (qui s’appelait Socfinal jusqu’en 2011), aux côtés d’un autre représentant de son groupe. Le président en est bien Hubert Fabri, qui connaît parfaitement Vincent Bolloré, avec qui il s’est partagé les restes (considérables) de l’ex-groupe colonial Rivaud, dont le Français a pris le contrôle en septembre 1996 (lire notre récit détaillé de cette prise de pouvoir). Fabri est visé par une mise en examen pour évasion fiscale en Belgique, comme nous le révélions ici (il a depuis été renvoyé en correctionnelle).

Procès et arrestations pour les opposants

Mais les opposants à Bolloré et à Fabri ne font pas vraiment face à l’indifférence de ceux qu’ils dénoncent. Ce serait peut-être même préférable. Car ils doivent aussi subir les foudres de la police et de la justice de leur pays. Comme, ainsi que Mediapart l’a raconté, l’association Maloa au Sierra Leone, dont cinq membres ont passé deux semaines en prison en octobre 2013. Accusés d’avoir détruit des plants de palmiers à huile, ce qu’ils démentent, ils sont toujours en attente d’un jugement, les audiences étant régulièrement reportées. Tout comme six représentants de communautés locales dénonçant les pratiques de la plantation SRC au Liberia, arrêtés le 5 janvier 2014 et emprisonnés brièvement. Eux aussi sont toujours en attente d’un procès.

En France même, certains sont inquiétés. Pour avoir publié un article sur les « champions » de l’accaparement des terres en octobre 2012, qui reprenait principalement des rapports déjà parus, le site Bastamag et quatre de ses journalistes ont été mis en examen suite à une plainte en diffamation de Bolloré. Même traitement pour Rue89 et son directeur de la publication Pierre Haski, pour avoir mis dans sa revue du web un lien vers cet article. Idem pour quatre blogueurs qui avaient relayé le lien. Le procès est prévu pour février 2016…

Bien sûr, on ne découvre pas aujourd’hui les revendications des populations locales et les conditions de travail très dures dans les plantations de la Socfin, notamment la Socapalm au Cameroun. Elles ont déjà été décrites par des journalistes qui s’intéressaient à l’empire camerounais de Bolloré, par exemple sur France Inter en mars 2009 et dans Le Monde diplomatique en juin de la même année. À cette occasion, le site du journal avait diffusé le travail d’une photoreporter, Isabelle Alexandra Ricq, qui avait passé de longs moments avec les travailleurs de la plantation.

Bolloré avait porté plainte contre le travail de la photographe, avant de se désister, à l’été 2010. Auparavant, en mai 2010, il avait fait condamner le journaliste de France Inter, Benoît Collombat. Pour « l’exemple », assurait à l’époque son communicant, Michel Calzaroni. Rue89 avait suivi de près le procès sur l'organisation financière de Socfin, où avait notamment témoigné Martine Orange de Mediapart. Benoît Collombat avait été condamné, non pour son enquête sur la Socapalm, mais pour un passage jugé diffamatoire concernant l’exploitation du chemin de fer camerounais.

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