Fonds de pension étrangers et accaparement des terres au Brésil

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Communautés autochtones déplacées de leur territoire par l’expansion de l’agrobusiness au Mato Grosso do Sul, au Brésil. (Photo: Cristiano Navarro)
Rede Social de Justiça e Direitos Humanos, GRAIN, Inter Pares et Solidarité Suède-Amérique latine | 17 novembre 2015

Fonds de pension étrangers et accaparement des terres au Brésil

Une société new-yorkaise chargée de la gestion de l'épargne-retraite des travailleurs en Suède, aux États-Unis et au Canada se soustrait aux lois brésiliennes sur les investissements étrangers pour acquérir des terres agricoles auprès d'un homme d'affaires accusé d'expulser des communautés locales par la violence

(Avec le soutien de la National Family Farm Coalition (Coalition nationale des exploitations familiales), l'Église unie du Canada, la Comissão Pastoral da Terra, Land Research Action Network, l'Alliance de la Fonction publique du Canada - Fonds de justice sociale, l'Église presbytérienne des États-Unis, le Syndicat des Métallos - Fonds humanitaire des Métallos, Programa de Pós-Graduação em Relações Internacionais da Universidade do Estado do Rio de Janeiro, A4ID et Développement et Paix.)

Résumé

Des fonds de pension suédois, américains et canadiens ont acquis des terres agricoles au Brésil par le biais d'un homme d'affaires brésilien, accusé d'utiliser la violence et la fraude pour expulser les petits agriculteurs. Ces fonds de pension utilisent également des structures d'entreprise complexes qui ont pour effet de se soustraire aux lois brésiliennes qui restreignent les investissements étrangers dans les terres agricoles.

Les fonds de pension ont investi au Brésil grâce à un fonds d'acquisition de terres agricoles international appelé TIAA-CREF Global Agriculture LLC (TCGA). Le fonds est géré par le fonds de pension américain TIAA-CREF (Teachers Insurance and Annuity Association - College Retirement Equities Fund). Les investisseurs de ce fonds sont TIAA-CREF, le deuxième fonds de pension national suédois (AP2), la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP) et le Canadien bcIMC (British Columbia Investment Management Corporation).

Ces fonds de pension ont refusé de divulguer des informations détaillées sur les terres agricoles acquises par TCGA, en déclarant qu'il s'agissait « d'informations de nature concurrentielle ». Ils affirment cependant que leurs investissements respectent pleinement les Principles of Responsible Investment in Farmland (principes pour l'investissement responsable dans les terres agricoles), qui ont été créés conjointement par TIAA-CREF et AP2 (Voir Encadré 1 : Les principes de TCGA pour l'investissement « responsable » dans les terres agricoles).

L'absence d'informations publiques sur l'emplacement des investissements dans les terres agricoles de TCGA au Brésil a empêché les précédentes enquêtes indépendantes d'évaluer les investissements de ce fonds d'acquisition. Notre enquête nous a cependant permis d'accéder à des documents publics qui identifient plusieurs exploitations achetées par une société créée spéc
(Photo 8)ifiquement pour réaliser les investissements de TCGA dans des terres agricoles au Brésil. Bien que ces informations n'aient pas été suffisantes pour déterminer l'emplacement exact de la plupart de ces exploitations ou pour vérifier leur existence, elles ont permis d'en identifier quatre dans les régions du sud des États du Maranhão et du Piauí, où sévissent conflits fonciers et accaparement des terres. D'autres recherches ont révélé que certaines des exploitations acquises par TCGA dans ces régions étaient détenues par les sociétés d'un homme d'affaires brésilien qui fait l'objet de plusieurs enquêtes pénales, avant d'être vendues à TCGA. Cet homme d'affaires est accusé d'avoir eu recours à un procédé illégal et souvent violent d'accaparement des terres qu'on appelle « grilagem » au Brésil.1

Nos recherches ont également permis de découvrir comment TCGA utilise une structure d'entreprise complexe qui lui permet dans les faits se soustraire aux obligations de la législation brésilienne restreignant les investissements étrangers dans les terres agricoles.

Outre ces violations manifestes de la législation brésilienne, notre enquête montre que les investissements de TCGA dans les terres agricoles du Brésil contribuent à un processus plus vaste de spéculation foncière et d'expansion des plantations industrielles qui favorise l'accaparement des terres, la destruction de l'environnement, l'exploitation de la main d'œuvre et de nombreux désastres sanitaires et sociaux dans tout le Brésil rural.

Notre enquête laisse penser que TCGA n'a pas respecté ses propres normes internes et n'a pas suivi le « processus rigoureux de due diligence » pour ses acquisitions de terres au Brésil contrairement à ce qu'il prétend avoir fait. Comme TIAA-CREF, le gestionnaire de TCGA, est le plus grand investisseur institutionnel mondial dans les terres agricoles et un acteur de premier plan qui intervient à la fois pour encourager d'autres gestionnaires de fonds de pension à investir dans les terres agricoles et pour développer des normes internes pour ces investissements, les conclusions de ce rapport font planer de sérieux doutes sur la capacité des fonds de pension à réaliser des investissements « responsables » dans les terres agricoles.2
 
TIAA-CREF, AP2, la Caisse de dépôt et placement du Québec, bcIMC et les autres fonds de pension qui ont investi dans TCGA ont induit en erreur les retraités dont ils gèrent l'épargne retraite en affirmant que leurs investissements dans ces terres agricoles étaient « responsables ». Ils doivent immédiatement prendre des mesures pour se séparer de leurs investissements agricoles et veiller à ce que toutes les terres qu'ils ont déjà acquises soient restituées aux communautés locales en toute sécurité.

 

Encadré 1 : Les principes de TCGA pour l'investissement « responsable » dans les terres agricoles

En 2011, TIAA-CREF et AP2 faisaient partie d'un groupe de signataires des Principes des Nations Unies pour l'investissement responsable qui a élaboré les Principes pour l'investissement responsables dans les terres agricoles, « destinés à guider les investisseurs institutionnels qui souhaitent investir dans les terres agricoles d'une manière responsable. »25 Les fonds de pension qui ont investi dans TCGA affirment que ces principes sont respectés dans les investissements de terres agricoles de TCGA.

En 2012, TIAA-CREF a publié son premier Rapport sur l'investissement responsable dans les terres agricoles et a publié depuis des rapports chaque année. Ces rapports abordent les investissements réalisés par TCGA. Le rapport le plus récent, de 2014, à la disposition du public sur le site web de TIAA-CREF, donne les indications suivantes au sujet de TCGA et d'autres fonds gérés par TIAA-CREF qui investissent dans des terres agricoles :

Sur la « Transparence » :
« Nous avons la volonté d'être transparents sur nos investissements agricoles, tout en conservant des informations commerciales sensibles qui contribuent à la sécurité et à l'intégrité de notre programme d'investissement.... »

Sur le « Respecter des droits existants sur les terres et les ressources » :
« Notre processus de due diligence rigoureux facilite l'analyse fondamentale de chaque bien foncier avant l'acquisition, et nous suivons les performances de chaque exploitation individuellement au fil du temps grâce à un processus de gestion et de gouvernance détaillé. En outre, les investissements agricoles de TIAA-CREF ne sont réalisés que dans des régions et pays dans lesquels nous pensons que des contrôles et des infrastructures de gestion adéquats sont en place pour répondre à nos normes pour chaque marché.... »

« Nous faisons de notre mieux pour éviter d'investir dans des zones où la législation sur les droits fonciers est ambiguë et, dans les régions où nous effectuons des achats de terres, nous veillons à ce que les recherches appropriées des titres fonciers et de la propriété soient confirmées avant l'achat. Au cours des deux dernières années, nous avons obtenu des résultats exceptionnellement bons, avec une vérification des titres et de la propriété de 100 % de nos biens fonciers avant l'acquisition et une conformité de 100% avec les lois fédérales et locales qui protègent le patrimoine autochtone et les droits des communautés autochtones. »26

Une ruée mondiale sur les terres agricoles

Les terres agricoles sont devenues une cible privilégiée pour les acteurs financiers à la recherche d'autres endroits pour investir l'argent qu'ils gèrent. La flambée des prix alimentaires et la crise financière, qui sont apparues ensemble fin 2007, ont convaincu de nombreux fonds de capital-investissement, des banques et d'autres sociétés financières de premier plan que les terres agricoles pouvaient fournir une nouvelle classe d'actifs sécurisée avec des rendements élevés sur investissement. En 2009, plus de 120 nouveaux instruments financiers dédiés aux investissements dans les terres agricoles étaient déjà en fonctionnement et des dizaines d'autres ont été mis en place depuis.

Des sociétés agro-industrielles et un certain nombre de pays soucieux de leur sécurité alimentaire à long terme et de leur dépendance par rapport aux marchés alimentaires internationaux, procèdent égaleme  nt à l'acquisition de terres agricoles dans le monde entier pour produire des aliments destinés à l'exportation. En mars 2012, le Land Matrix Partnership a identifié plus de 1200 transactions foncières effectuées par des investisseurs étrangers pour la production agricole, couvrant 83,2 millions d'hectares, soit 1,7 % des terres agricoles dans le monde, dont plus de 60 % en Afrique.3

Cet accaparement des terres mondial représente le transfert massif de ressources alimentaires vitales pour des communautés rurales pauvres à une élite mondiale riche. Au travers de ces transactions, des familles et des communautés sont en train de perdre leurs exploitations et leurs forêts, tandis que des systèmes de culture et d'élevage qui produisent l'alimentation des populations locales sont éliminés pour laisser la place à des plantations industrielles qui produisent des aliments destinés à l'exportation. Beaucoup de ces transactions foncières ont lieu dans des pays où l'insécurité alimentaire et l'accès à la terre et à l'eau sont déjà arrivés à des niveaux critiques. Les populations qui sont dépossédées de leurs terres ou affectées par ces nouvelles grandes plantations sont rarement consultées puisque la plupart des offres sont négociées et signées à huis clos entre les investisseurs étrangers et les responsables gouvernementaux. Avec des enjeux d'une telle importance, il n'est pas étonnant que des manifestations éclatent dans de nombreuses régions où les terres sont accaparées, qui aboutissent parfois à des affrontements violents voire à des morts.4

L'accaparement des terres et les fonds de pension

Les retraites des travailleurs sont généralement gérées par des entreprises privées ou publiques au nom des syndicats, des gouvernements, des individus ou des employeurs. Ces entreprises ont pour tâche de protéger et faire fructifier l'épargne retraite des travailleurs, de sorte que leurs retraites puissent leur être versées sous la forme d'un chèque mensuel une fois qu'ils arrêtent de travailler.

Les fonds de pension et les institutions qui les gèrent ont récemment commencé à placer l'argent qu'ils gèrent dans des terres agricoles. Mais toute initiative de leur part a un impact énorme. Les fonds de pension sont les plus grands acteurs du secteur financier. Ils détiennent environ 23 000 milliards d'USD d'actifs, dont au moins 5 à 15 milliards auraient déjà été utilisés pour l'acquisition de terres agricoles en 2013. D'ici 2015, ces investissements agricoles devraient avoir doublé, de nombreux fonds de pension ayant fait leurs premiers investissements dans les terres agricoles au cours des deux dernières années.5

Les terres agricoles sont des investissements très attractifs pour les fonds de pension qui sont encore confrontés à des marchés financiers déprimés ou volatils. Ils voient dans les terres agricoles ce qu'ils appellent de bons « fondamentaux » : un modèle économique clair de l'offre et la demande qui, dans ce cas, repose sur la croissance de la population mondiale à nourrir et la finitude des ressources nécessaires pour nourrir ces personnes.6 Les gestionnaires de fonds voient que les prix fonciers sont relativement faibles dans des régions comme l'Australie, le Soudan, l'Uruguay, la Russie, la Zambie ou le Brésil. Ils voient ces prix évoluer en phase avec l'inflation (et, surtout, avec les salaires), mais pas avec d'autres produits de base de leurs portefeuilles d'investissement, ce qui leur apporte un flux de revenus diversifié. Ils voient les bénéfices à long terme de l'augmentation de la valeur des terres agricoles et des rentrées financières qui proviendront, en attendant, de la location des terres, de la vente des produits agricoles, des troupeaux laitiers ou de la production de viande.

TIAA-CREF (Teachers Insurance and Annuity Association - College Retirement Equities Fund), basé à New York, aux États-Unis est l'une des premières et des plus grandes sociétés de gestion de fonds de pension à investir dans les terres agricoles. TIAA-CREF est le plus grand gestionnaire de fonds des régimes de retraite pour les enseignants et professeurs d'université américains ainsi que pour les travailleurs du secteur du divertissement. Entre 2007 et 2014, l'entreprise a dépensé 2,5 milliards d'USD pour l'acquisition d'exploitations dans le monde entier, transformant ainsi des centaines de milliers d'hectares en Australie, au Brésil, en Pologne, en Roumanie et aux États-Unis en des exploitations agricoles industrielles à travers une structure complexe de filiales.

En mai 2012, elle a également lancé un fonds d'acquisition de terres agricoles de 2 milliards d'USD afin d'attirer d'autres grands gestionnaires de fonds de pension.7 Le nouveau fonds, TIAA-CREF Global Agriculture LLC, ne se contente pas de gérer les investissements dans des terres agricoles des clients du fonds de pension TIAA-CREF ; il gère également les investissements dans les terres agricoles d'autres gestionnaires de fonds de pension de premier plan, tels que le Suédois AP2, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP) et le Canadien bcIMC (British Columbia Investment Management Corporation). En août 2015, TIAA-CREF a annoncé la réussite du financement d'un deuxième fonds international d'acquisition de terres agricoles, TIAA-CREF Global Agriculture II, cette fois d'un montant de 3 milliards d'USD. AP2 et la CDP sont à nouveau les investisseurs les plus importants dans ce deuxième fonds, aux côtés du New Mexico State Investment Council, du Cummins UK Pension Plan Trustee, du Fonds de pension de l'Agence américaine de protection de l'environnement du Fonds de pension britannique du Greater Manchester.8

Les deux fonds TIAA-CREF ciblent l'acquisition de terres agricoles au Brésil, aux États-Unis et en Australie tandis que le second fonds cherchera également à acquérir des terres au Chili et en Nouvelle-Zélande, ainsi qu'en Europe centrale et orientale.

Des achats secrets de terres agricoles au Brésil

L'une des principales cibles des investissements dans les terres agricoles de TIAA-CREF est le Brésil. Le fonds de pension estime que les infrastructures du Brésil pour les exportations agricoles, ses marchés fonciers privés et son climat politique stable rend l'investissement dans les terres agricoles au Brésil moins risqué que dans d'autres points chauds des investissements étrangers, comme en Afrique.9  

TIAA-CREF a commencé à acquérir des terres agricoles au Brésil en plaçant des centaines de millions de dollars dans un fonds spécialisé brésilien appelé Radar Propriedades Agrícolas S/A (Radar). Radar a été créé par TIAA-CREF et Cosan, le plus grand producteur de sucre du Brésil, pour identifier et acquérir des biens fonciers au Brésil, les transformer en plantations de canne à sucre et autres cultures de base, puis les vendre avec une marge bénéficiaire après quelques années. Cosan, qui détenait à l'origine 19 % de Radar, gère les investissements du fonds et conserve des droits d'acquisition prioritaire des terres avant que Radar les mette sur le marché. Les 81 % restants du fonds appartiennent à TIAA-CREF par le biais de sa filiale brésilienne, Mansilla Participacoes Ltda. En novembre 2012, Radar avait acquis 392 exploitations au Brésil, couvrant 151 468 ha, pour une valeur estimée à environ 1 milliard d'USD. (Voir Encadré 2 : La filière Cosan)

En 2012, TIAA-CREF a créé un nouvel instrument financier pour consacrer de l'argent à l'achat de terres agricoles au Brésil, non seulement à partir des fonds de retraite qu'elle gère, mais également avec l'argent d'autres investisseurs institutionnels. TIAA-CREF Global Agriculture LLC (TCGA) a été lancé en 2012 sous la forme d'un Fonds international d'acquisition de terres agricoles de 2 milliards d'USD consacré à l'acquisition de terres agricoles en Australie, au Brésil et aux États-Unis. Cette même année, l'entreprise a clôturé l'exercice avec un engagement de 450 millions d'USD du deuxième fonds de pension national suédois (AP2), un engagement de 250 millions d'USD de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP), d'autres engagements du Canadien bcIMC (British Columbia Investment Management Corporation) et d'autres fonds non cités. TIAA-CREF lui-même avait investi 360 millions d'USD dans le fonds en 2013 par le biais de sa société de holding, TIAA Global AG Holdco LLC.

La stratégie de TCGA au Brésil est visée par la législation restreignant les investissements étrangers dans les terres agricoles. En 2010, pour réagir à la progression des participations étrangères dans les terres agricoles du pays, l'Avocat général de l'Union au Brésil a réinterprété une loi de 1971 (N° 5709) et a rendu applicables aux entreprises brésiliennes contrôlées par des étrangers les sévères restrictions du pays sur la propriété étrangère des terres agricoles.10 Ces restrictions, par exemple, empêchent par exemple les entreprises étrangères de posséder plus de 25 % des terres rurales d'une quelconque municipalité et établissent un plafond État par État pour la superficie maximale des terres que les étrangers peuvent acheter.

La législation brésilienne devrait donc dans les faits interdire à TCGA de faire des acquisitions de terres agricoles de la taille qu'il recherche généralement. TCGA a, toutefois, utilisé une structure d'entreprise complexe qui lui permet dans les faits de contourner la loi.

Au lieu d'acquérir les exploitations directement par le biais de Radar, les fonds de TCGA investissent à travers une société distincte, Tellus Brasil Participações Ltda, (Tellus), qui est également gérée par la société brésilienne de sucre Cosan. Comme on peut le voir dans le diagramme ci-dessous, TCGA, par l'intermédiaire de deux filiales brésiliennes, détient 49 % de Tellus alors que Cosan possède les 51 % restants.

Tellus est la société qui achète les terres agricoles au nom de TCGA. Comme elle est détenue à 51 % par la société brésilienne Cosan, l'entreprise n'est pas soumise aux réglementations brésiliennes restreignant la propriété étrangère des terres agricoles.

Nous avons effectué à plusieurs reprises des demandes auprès de TIAA-CREF et des autres fonds de pension qui ont une participation dans TCGA pour obtenir plus de détails sur les exploitations brésiliennes qu'ils ont acquises mais ils ont refusé de fournir ces informations. Interrogé sur ce manque de transparence, un représentant de AP2 a déclaré au magazine Responsible Investor en avril 2013 : « L'emplacement exact des biens fonciers de TIAA-CREF mondial Agricultures est une information de nature concurrentielle et n'est pas divulguée publiquement. »12

Les entreprises brésiliennes, cependant, sont tenues de divulguer publiquement les comptes rendus de leurs assemblées générales. Grâce à notre enquête sur la structure d'entreprise complexe des investissements de TCGA, nous avons pu accéder à des rapports des assemblées générales de Tellus qui fournissaient des informations sur l'acquisition d'exploitations agricoles.

Ces documents montrent que Tellus lève des fonds pour acquérir des exploitations au Brésil en émettant des obligations (une forme de prêt) destinées à deux sociétés contrôlées par TIAA-CREF : Radar, qui appartient majoritairement à TIAA-CREF, et Nova Gaia Brasil Participacoes Ltda, qui est détenu à 100 % par TCGA.

Dans la pratique, il y a peu de différence entre les obligations émises par Tellus et les actions de la société, puisque les obligations donnent droit aux filiales de TIAA-CREF de recevoir presque tous les bénéfices et elles sont convertibles en actions à tout moment. La seule différence importante, cependant, est que ces obligations permettent à TIAA-CREF et à ses partenaires commerciaux de dissimuler le contrôle qu'ils exercent sur les exploitations brésiliennes achetées par Tellus et d'éviter les restrictions légales sur la propriété étrangère des terres agricoles qui seraient autrement appliquées.

En acquérant ces exploitations grâce à l'achat d'obligations de Tellus, TCGA peut s'assurer dans les faits d'un contrôle total sur ses acquisitions de terres agricoles, sans dépasser la limite de 49 % de participation de Tellus, qui soumettrait la société aux lois brésiliennes restreignant la propriété des terres agricoles par des étrangers.

En 2010, l'Avocat général de l'Union du Brésil a statué spécifiquement sur le fait que les restrictions sur la propriété étrangère des terres rurales devaient être appliquées aux entreprises brésiliennes contrôlées directement ou indirectement par des étrangers.13 Dans le cas de TCGA, cependant, la loi n'est pas appliquée.

Les documents officiels de la société auxquels nous avons pu accéder montrent qu'entre 2011 et 2013, Tellus acheté au moins treize exploitations agricoles dans les États du Mato Grosso, de Sao Paulo, du Minas Gerais, du Maranhão et du Piauí, en émettant plus de 236 millions d'USD d'obligations destinées à Radar et Nova Gaia Brasil Participacoes Ltda.14

Les noms et les emplacements de ces fermes sont désignés de la façon suivante :

  • « Areia Branca », Ipaússu, São Paulo
  • « Aguassanta », Dois Córregos, São Paulo
  • « Santa Rita Cana », São Paulo
  • « São Jorge », Paraguaçu Paulista, São Paulo
  • « Ipiranga », Echaporã, São Paulo
  • « Socrates », entre São Carlos et Guaíra, São Paulo
  • « Bevap », Paracatu, Minas Gerais
  • « Agromar », Diamantino, Mato Grosso
  • « Cluster Libra », São José de Rio Claro, Mato Grosso
  • « Ludmila », Santa Filomena, Piauí  
  • « Laranjeiras », Santa Filomena, Piauí
  • « Sagitário », Balsas, Maranhão
  • « Marimbondo », Alto Parnaíba, Maranhão.

L'externalisation de l'accaparement des terres dans les États du Maranhão et du Piauí

Nos recherches ont porté sur les exploitations acquises par TIAA-CREF dans les États brésiliens du Maranhão et du Piauí. Ces exploitations – les fermes Marimbondo et Sagitário dans les municipalités de Alto Parnaíba et Balsas (Maranhão) et les fermes Ludmila et Laranjeiras dans la ville de Santa Filomena (Piauí) – sont situées dans une région du Brésil connue sous le nom de BAMAPITO, une terre de savanes située à cheval sur les États de Bahia, Maranhão, Piauí et Tocatins. (Photo1)

Le BAMAPITO, sur le bord de la grande zone du Cerrado, est l'une des nouvelles frontières pour l'expansion des cultures commerciales au Brésil. La production de soja, en particulier, a augmenté de façon spectaculaire dans cette région au cours des dernières années (voir Encadré 3 : La destruction du Cerrado).

La région du BAMAPITO est composée de vallées, de basses terres et de plateaux qui sont appelés localement « chapadas ». Les gens se sont traditionnellement installés dans les basses terres, où il y a des terres fertiles et un accès à l'eau, mais les chapadas ont toujours joué un rôle important et complémentaire dans la vie de la population locale. Les chapadas ont été utilisées collectivement pour la chasse, le pâturage, la collecte du bois et la récolte des fruits et des plantes médicinales.

Récemment, cependant, les chapadas sont devenues la cible de l'agrobusiness parce que les terres permettent l'utilisation des machines et parce que les prix des terrains sont encore relativement faibles par rapport à d'autres régions où la culture du soja est plus développée. L'augmentation de la production de soja dans la région au cours des dernières années a principalement résulté de l'expansion de l'agriculture à grande échelle sur ces chapadas.

Les entreprises et les particuliers fortunés ont souvent recours à un processus illégal d'accaparement des terres connu au Brésil sous le nom de « grilagem » pour acquérir des terres et établir des exploitations agricoles dans les chapadas. Le grilagem nécessite l'utilisation de relations politiques et de faux documents pour revendiquer un titre de propriété sur des terres publiques et des forêts. Certains cas de grilagem, connus sous le nom supergrilagem, ont même dépassé 1 million d'hectares.15

Cette pratique du grilagem est très répandue dans la région frontalière du BAMAPITO. Les accapareurs de terres clôturent régulièrement des terres publiques sur les chapadas, expulsent les populations locales qui utilisent la terre depuis des générations, déploient des forces de sécurité privées, puis acquièrent des titres de propriété grâce à la connivence des notaires locaux et des responsables gouvernementaux.16

Il est difficile pour les communautés de résister à ce processus parce qu'elles possèdent rarement une forme de titre officiel sur les terres qu'elles utilisent sur les chapadas et parce que les accapareurs de terres recourent à la violence contre les personnes qui tentent de résister. De nombreuses informations font état de menaces de mort, de coups et même d'assassinats perpétrés par des voyous engagés pour cette besogne.17 Les gens peuvent rarement faire appel aux autorités locales pour obtenir la protection de la police ; les politiciens et même les autorités judiciaires locales sont souvent impliqués dans l'accaparement des terres ou y collaborent directement. Des sources locales nous ont cité plusieurs cas dans laquelle la police a directement aidé aux expulsions.

Un hommes d'affaires qui pratiquerait le grilagem à grande échelle dans BAMAPITO est Euclides de Carli, le propriétaire du Grupo De Carli. Manoel Ribeiro, un député du Maranhão, accuse De Carli de s'être emparé illégalement de plus de 1 million d'hectares de terres au Brésil, dont 13 fermes dans le Maranhão. Il accuse également De Carli d'avoir utilisé des voyous armés pour expulser les gens et d'avoir ordonné l'assassinat d'un agriculteur qui ne voulait pas lui vendre des terres.18 D'autres recherches ont permis de découvrir comment De Carli et d'autres accapareurs de terres utilisent couramment des documents falsifiés pour s'emparer de terres dans la région.19

L'année dernière, les recherches réalisées par la police fédérale et le Ministère des Affaires publiques ont établi un lien entre De Carli et un autre homme d'affaires brésilien bien connu pour son implication dans des opérations de grilagem, Rovilio Mascarello.20 De Carli et encore un autre homme d'affaires accusé d'accaparement de terres dans l'État du Piauí, Joacir Alves, sont soupçonnés d'avoir collaboré avec Mascarello pour s'emparer de terres dans la région du BAMAPITO et de l'avoir aidé à blanchir 8 millions de reais (4,5 millions d'USD).21

Les grileiros actifs dans la région du BAMAPITO cherchent généralement à vendre les terres qu'ils ont accaparées le plus rapidement possible à d'autres individus et entreprises, qui vont ensuite mettre en place des activités de culture du soja.

Grâce à notre enquête sur les exploitations acquises par TCGA dans la région du BAMAPITO, nous avons été en mesure de trouver de la documentation montrant que TCGA a acquis au moins deux de ses fermes auprès de sociétés liées à De Carli. Des recherches ultérieures sur le terrain indiquent que les quatre fermes ont probablement été achetées auprès d'entreprises associées à De Carli.

Les fermes Sagitario et Marimbondo dans le Maranhão

La ferme Sagitário que Tellus a acheté à Balsas, dans le Maranhão, est située sur une partie du plateau, dans une zone connue sous le nom de « Batavo ». Cette zone est l'endroit où la société de De Carli, Colonizadora De Carli (CODECA), a commencé la culture du soja dans les années 1990.

Des mentions du Diario Oficial do Estado do Maranhão, du 26 juillet, 2007, du 27 novembre 2007 et du 4 mai 2010, démontrent que la Ferme Sagitário près de Balsas, ainsi que la Ferme Marimbondo dans une région de plateau voisine, proche de Alto Parnaíba, appartiennent toutes deux à Euclides de Carli.22 Ce fait est corroboré par les informations du site de l'Institut national de colonisation et de réforme agraire (INCRA) du Brésil qui indique que le demandeur de la certification de la Ferme Sagitário en 2012 est Agropecuária Centauro. Une mention du Diário Oficial do Estado do Maranhão du 22 février 2011 précise que Agropecuária Centauro est une société du Grupo De Carli.

Une mention ultérieure dans le Diario Oficial do Estado do Maranhão le 18 mars 2013, fait apparaître une demande de Tellus pour l'installation d'un puits tubé destiné à fournir l'eau pour la consommation humaine à la Ferme Sagitário. Cette mention, combinée avec l'annonce de 2011 dans le Diário Oficial Empresarial de l'émission d'obligations par Tellus pour l'acquisition des fermes Sagitário et Marimbondo, indique clairement que les fermes ont été acquises par Tellus auprès de sociétés contrôlées par De Carli.23

Ferme Ludmila de Tellus, à Santa Filomena, Piauí, située au sein de la Chapada da Fortaleza. En juillet 2015, la ferme n'était toujours pas utilisée pour la production, même si une autorisation pour défricher la zone de production de céréales avait été publiée dans le Journal officiel de l'État de Piauí le 27 septembre 2010.

Les fermes de l'État du Piauí

Au cours des visites sur le terrain dans la zone des fermes Ludmila et Laranjeiras du Piauí en juillet 2015, nous avons rencontré des représentants syndicaux des travailleurs ruraux et des agents locaux de Comissão Pastoral da Terra (Commission pastorale de la terre) au Brésil, qui nous ont indiqué que les terres des fermes Marimbondo, Ludmila et Laranjeiras avaient été accaparées par des sociétés liées à De Carli.

Il n'a toutefois pas été possible d'accéder à la documentation nécessaire pour prouver que De Carli a été impliqué dans la vente des fermes Ludmila et Laranjeiras à Tellus malgré plusieurs tentatives visant à obtenir les documents pertinents auprès des notaires locaux. Les autorités foncières locales nous ont indiqué que l'accès à ces archives sur la propriété de la terre est souvent refusé, même à des agents de l'INCRA.24

Les populations locales abandonnées à leur sort

La perte de l'accès aux terres dans les chapadas provoquée par cet accaparement des terres endémique est désastreuse pour les communautés locales. Privés des ressources que les chapadas fournissaient pour leurs moyens d'existence et leur sécurité alimentaire, comme la nourriture, le fourrage, le bois de chauffage et les médicaments, beaucoup de petits agriculteurs ont dû quitter leurs maisons pour chercher du travail dans les villes, dans de dangereuses mines de diamant locales ou sur les plantations de canne à sucre de la région centre-sud. Les nouvelles exploitations de soja ne fournissent du travail à bas salaire que quand la terre est d'abord défrichée, mais, après cela, étant donné le modèle de production extrêmement mécanisé qui est utilisé, très peu d'emplois sont disponibles.

La situation s'aggrave même encore parce que ce même phénomène d'accaparement des terres se déplace maintenant dans les zones des basses terres où les paysans et les populations autochtones et afro-brésiliennes (Quilombola) ont leurs jardins et leurs champs et élèvent des animaux pour leur alimentation. Les basses terres leur fournissent aussi l'eau et les poissons. Sans accès aux plateaux, il est déjà difficile de survivre ; sans les basses terres, la vie devient impossible pour les communautés locales.

Nous avons effectué des visites de terrain chez des communautés vivant dans des zones de basses terres proches de la ferme Ludmila de Tellus à Santa Filomena, dans le Piauí, en juillet 2015. Les populations locales que nous avons rencontrées nous ont dit que les accapareurs de terres utilisaient la violence pour les chasser de leurs terres et vendaient ensuite leurs terres à des entreprises agro-alimentaires.

Les habitants de la communauté de Sete Lagoas, par exemple, ont vu une partie de leurs terres clôturées par un accapareur de terres. Ils ne peuvent plus accéder à la zone, qui est maintenant gardée par des forces de sécurité privées.

Les membres d'une autre communauté voisine de la Ferme Ludmila, la communauté de Cabeceira do Angelim, dans les basses terres entourant la Chapada da Fortaleza, nous ont dit qu'ils avaient d'abord été expulsés de leurs terres vers la chapada, puis d'une partie de leurs terres dans les basses terres par des accapareurs de terres.

Nous avons également rendu visite à des communautés proches de Alto Parnaíba, à la frontière de Santa Filomena, dans l'état de Maranhão, où se trouve la ferme Marimbondo de Tellus. Les membres de la communauté ont expliqué comment l'expansion de l'agrobusiness les avait privés de leur accès à l'eau dans les basses terres où ils vivent et ont leurs cultures. Ces régions reçoivent l'eau de rivières qui proviennent des savanes de la chapada. Mais la déforestation causée par l'expansion de la production du soja dans la chapada a détruit les forêts et les zones humides et, de ce fait, les rivières venant vers les basses terres s'asséchaient.  

Les communautés que nous avons rencontrées souffraient également de la pollution de leurs points d'eau par les produits agrochimiques utilisés dans les exploitations industrielles. Les pesticides pulvérisés dans les exploitations finissent par empoisonner leur eau potable et le poisson qu'ils consomment. La communauté Melancias de Santa Filomena, dans l'État du Piauí, par exemple, a déposé une plainte officielle pour dénoncer les grandes exploitations de soja des plateaux qui polluent la rivière Uruçuí Preto dans le sud du Piauí, qui fournit de l'eau à leur communauté et à d'autres.

Les exploitations industrielles effectuent généralement la pulvérisation des produits agrochimiques sur leurs champs par avion. Les produits chimiques sont donc souvent emportés vers les zones résidentielles et les fermes des communautés locales, ce qui nuit à leur santé et détruit leurs cultures. Les membres de la communauté avec lesquels nous avons parlé estiment qu'il y a un lien direct entre l'augmentation du nombre de cas de cancer qu'ils observent localement et leur exposition à des produits agrochimiques dans les exploitations industrielles dans la région. Ils constatent également plus de cas de problèmes respiratoires et de maladies de la peau.

Des promesses vides d'« investissement socialement responsable »

Les fonds de pension qui achètent des terres agricoles au Brésil à travers leurs investissements dans TCGA sont maintenant directement impliqués dans les graves conflits fonciers du pays. Le Brésil connaît l'une des répartitions les plus inégales des terres dans le monde et la situation ne fait qu'empirer avec l'agrobusiness qui, avec le soutien de fonds étrangers, s'enfonce encore plus loin dans les territoires des peuples autochtones et dans les terres utilisées par les communautés locales et les petits agriculteurs.

Cette expansion de l'agrobusiness diffuse également un modèle agricole désastreux. Les plantations de cultures commerciales, comme la canne à sucre et de soja, épuisent les sols et les ressources en eau, polluent et empoisonnent les communautés locales avec des pesticides, et fournissent peu d'emplois à une main-d'œuvre rurale prête à tout et exploitée.

Le modèle économique de TCGA lui-même est basé sur la perpétuation de cette situation : l'expansion et le renforcement de l'industrie agroalimentaire au Brésil augmente le prix des terres agricoles et, par conséquent, accroît les bénéfices pour TCGA. (Voir Encadré 4 : La prophétie autoréalisatrice de la spéculation)

Les peuples autochtones du Brésil et les mouvements de masse de populations sans terre dans le pays se battent contre une répartition des terres historiquement injuste depuis des décennies. Ils revendiquent une réforme agraire et une refonte de l'agriculture brésilienne qui mette fin au soutien public massif en faveur de l'agrobusiness pour aller vers une vision de la souveraineté alimentaire basée sur une production alimentaire agro-écologique à petite échelle et des systèmes alimentaires locaux.

Les lois brésiliennes ont été particulièrement laxistes en matière de régulation de l'expansion de l'agrobusiness dans le pays. L'une des rares lois qui vise à contrôler cette expansion est une loi qui a été réinterprétée par l'Avocat général de l'Union en 2010 pour restreindre significativement les achats de terres agricoles par des sociétés étrangères (Loi n° 5709). Cette loi vise à empêcher que des fonds étrangers puissent s'acheter le contrôle de précieuses ressources agricoles au Brésil et à limiter une spéculation nuisible.

Notre recherche laisse clairement penser que la structure d'entreprise de TCGA a été créée pour contourner les restrictions sur la propriété étrangère des terres agricoles, et viole dans les faits l'esprit de cette loi.

Les investissements agricoles de TCGA font ressortir les raisons pour lesquelles une telle spéculation financière sur les terres agricoles est si dommageable et la nécessité de contrôles stricts pour l'empêcher. Les rentrées de fonds de TCGA alimentent une expansion des plantations dans de nombreux États au Brésil, qui est en train de détruire l'environnement, de faciliter l'exploitation des travailleurs et de provoquer de graves conflits fonciers.

TCGA prétend être un « investisseur responsable » et respecter strictement les directives internes qui l'empêchent d'investir dans des terres agricoles lorsque de tels investissements contribuent à des violations des droits de l'homme ou à des impacts environnementaux et sociaux négatifs.

Il est presque impossible pour des journalistes ou des organisations indépendantes de vérifier si TCGA adhère à ses propres normes car ce dernier ne divulgue pas les lieux où se trouvent ses fermes.

Cependant, grâce à notre enquête, nous avons été en mesure d'identifier l'emplacement exact de quatre fermes achetées par TCGA dans les États du Maranhão et du Piauí. Nos recherches sur ces fermes laissent penser que TCGA ne respecte pas ses propres normes internes et qu'il « externalise », en réalité, l'accaparement des terres à des hommes d'affaires locaux bien connus pour leurs tactiques violentes et illégales pour expulser les gens.

Les petits agriculteurs et les populations autochtones au Brésil paient un prix beaucoup trop élevé pour soutenir des fonds de pension de travailleurs aux États-Unis, au Canada et en Suède.
 

Encadré 2 : La filière Cosan

Cosan, le plus grand producteur de sucre du Brésil, est au centre de la structure d'entreprise complexe de TCGA. Cosan est contrôlé par le milliardaire brésilien Rubens Ometto Silveira Mello et son Groupe Ometto. C'est l'un des trois conglomérats qui produisent, dit-on, environ un tiers de sucre du pays et qui sont largement responsables de la croissance explosive de la production de sucre dans le pays. Environ les trois quarts de l'expansion de la production de canne à sucre dans le monde au cours de la dernière décennie a eu lieu au Brésil, où la superficie cultivée en canne à sucre a augmenté en moyenne de 300 000 ha par an.27

Cosan et les autres conglomérats se sont servis de diverses subventions publiques et, surtout, de capitaux étrangers pour servir de moteur à leur croissance. Cosan est considéré comme le pionnier de l'ouverture de l'industrie sucrière brésilienne à des capitaux étrangers. À partir de la fin des années 1990, il a créé plusieurs coentreprises avec des sociétés sucrières françaises et asiatiques, et ensuite, en 2005, il est devenu la première société agro-alimentaire brésilienne à être cotée à la bourse brésilienne, en cédant 27 % de ses actions à des actionnaires étrangers. En 2008, Cosan a fusionné l'ensemble de ses activités de canne à sucre et d'éthanol dans une nouvelle co-entreprise avec la société pétrolière anglo-néerlandaise, Shell, appelée Raizen S/A.

Cosan a rapidement transformé cet afflux de capitaux étrangers en un plus grand nombre de plantations, en particulier dans l'immense région de savane du Brésil, le Cerrado, dans le centre-sud du pays. Cosan a déclaré que Raizen vise à avoir 1 million d'hectares en culture en 2015, au lieu de 700 000 ha en 2011.28

Les initiatives de spéculation foncière de Cosan avec TIAA-CREF et d'autres fonds de pension s'intègrent parfaitement dans cette ambition plus globale. L'activité principale de Radar est de spéculer sur les terres agricoles, ce qu'il fait en identifiant et en achetant des terres puis en les vendant à un prix plus élevé quelques années plus tard. Mais Radar tire également des revenus de l'exploitation des fermes, principalement en louant les terres à certains des plus grands producteurs de produits de base au Brésil, notamment Cosan lui-même.29

 

Encadré 3 : La destruction du Cerrado

Le Cerrado, ou la savane, est le biome situé entre l'Amazonie, la Forêt atlantique (Mata Atlântica), le Pantanal et la Caatinga, dans les États des Minas Gerais, du Mato Grosso, du Mato Grosso do Sul, de Goiás, du Distrito Federal, de Tocantins, la partie sud de l'État de Maranhão, l'ouest de Bahia et une partie de l'État de São Paulo.

Bien que l'Amazonie soit connue dans le monde entier pour sa biodiversité, le Cerrado est tout aussi important et tout aussi menacé.30 La savane abrite près de 160 000 espèces végétales ou animales, dont beaucoup sont en voie d'extinction. Des études de l'Université fédérale de Goiás indiquent que près de 22 000 kilomètres carrés du Cerrado sont déboisés chaque année, principalement pour des plantations agricoles industrielles de soja, de coton et d'autres cultures. Plus de la moitié de celui-ci a déjà été détruite et, à ce rythme, il aura complètement disparu d'ici 2030.

La biodiversité n'est pas seule en jeu. Le Cerrado, connu sous le nom de « père de l'eau », alimente en eau les principaux bassins hydrographiques du pays. Mais maintenant, avec la croissance de l'agriculture industrielle dans la région, cette ressource en eau essentielle est très polluée. L'utilisation massive des engrais et des pesticides par les nouvelles plantations affecte la qualité de l'eau souterraine, de l'eau des rivières, des eaux côtières et des eaux de source. Dans certaines régions, l'eau est si appauvrie en oxygène du fait des niveaux élevés de contamination par l'azote qu'elle est devenue une « zone de la mort », mortelle pour la vie marine.

 

Encadré 4 : La prophétie autoréalisatrice de la spéculation

La spéculation foncière, en soi, peut augmenter les prix des terrains. Depuis que Radar a commencé à spéculer sur les terres agricoles au Brésil, d'autres sociétés ont été créées pour faire la même chose, comme SLC Terrain Co, créée par SLC, le plus grand producteur de céréales du Brésil. Ce nombre croissant de capitaux spéculatifs, tous à la recherche d'une acquisition de terres agricoles dans les mêmes zones, a fait monter les prix. La spéculation foncière est ainsi devenue la principale source de pression inflationniste sur le prix des terres au Brésil, en mettant la terre hors de la portée des petits agriculteurs et des paysans sans terre. Cette inflation des prix du foncier est dramatique à São Paulo, où Radar et Tellus sont les plus actifs (voir le graphique 1), mais il y a également eu de fortes hausses des prix des terres utilisées pour la production de soja dans les États du Mato Grosso, de Bahia, de Maranhão et de Piauí, où ces entreprises s'emploient également à acheter des terres.

 

1 « Empresário Euclides de Carli é denunciado na Justiça Federal por crimes contra a Ordem Tributária », Viagora, 11 décembre 2013 : http://www.viagora.com.br/noticias/empresario-euclides-de-carli-e-denunciado-na-justica-federal-por-crimes-contra-a-ordem-tributaria-47565.html ;; « MPF e Polícia Federal investigam Rovílio Mascarello por lavagem de dinheiro », CO Popular, mai 2015 : http://www.copopular.com.br/politica/id-193635/mpf_e_policia_federal_investigam_rovilio_mascarello_por_lavagem_de_dinheiro ;; « Advogados denunciam a indústria da grilagem no Piauí », Portal AZ, 5 février 2012 : http://www.portalaz.com.br/noticia/geral/237397_advogados_denunciam_a_industria_da_grilagem_no_piaui.html

2 Les fonds internationaux d'acquisition de terres agricoles TCGA et TCGA II, qui représentent un financement combiné de 5 milliards d'USD, sont les deux plus grands fonds d'investissement dans les terres agricoles tournés vers les investisseurs des fonds de pension. TIAA-CREF dispose de participations dans ces deux fonds et il a investi plus de 2 milliards d'USD à travers d'autres instruments d'investissement dans les terres agricoles, ce qui en fait le plus grand investisseur institutionnel dans ce domaine.

3 Le site web de Land Matrix : http://landportal.info/landmatrix

4 Pour plus d'informations, voir la base de données sur les cas d'accaparement des terres dans le monde entier établie par GRAIN ou la sélection d'articles, de rapports et de clips audio/vidéo sur le sujet sur www.farmlandgrab.org

5 GRAIN, « Pension funds: key players in the global farmland grab », 20 juin 2011 : https://www.grain.org/e/4287

6 Lire par exemple, « Big pension funds plough money into farmland », Reuters, 27 juin 2012 : http://farmlandgrab.org/20706

7 Les investissements des régimes de retraite peuvent être gérés par le plan lui-même ou par un gestionnaire de fonds institutionnel. Les principaux régimes de retraite investissent généralement leur propre argent, mais les plus petits gèrent le régime (cotisations et prestations), tout en ayant recours à une institution externe pour gérer leurs investissements.

8 « TIAA-CREF Unveils $3 Billion Global Ag Investment Vehicle », 4 août 2015 : http://www.globalaginvesting.com/news/NewsListDetail?contentid=5794

9 Lire par exemple l'entretien de Bloomberg avec José Minaya, de TIAA-CREF, « Farmland is global asset for TIAA-CREF, Minaya says », 14 février 2012.

 

  •   GRAIN
  • 16 November 2015
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