Des Chinois achètent en France des centaines d’hectares de terres agricoles

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« Le vrai problème, c’est qu’une poignée de gens accaparent autant de surfaces. Que ce soit des Chinois ou des Français. C’est un modèle d’agriculture sans paysan, » explique Nicolas Calame de la Confédération paysanne de l’Indre
Reporterre | 16 juin 2016

Des Chinois achètent en France des centaines d’hectares de terres agricoles

Nathalie Picard (Reporterre)

Dans l’Indre, une société chinoise a acquis cinq exploitations agricoles totalisant 1.700 hectares de terres. Profitant d’une faille juridique, elle a contourné les instances chargées du contrôle du foncier agricole et contribue au développement d’une agriculture sans paysan.

- Vandœuvres et Châtillon-sur-Indre (Indre), reportage


Un corps de ferme s’étend au milieu des champs de blé et de colza. À l’une de ses extrémités, deux silos à grains brillent au soleil. Mais les vaches ont quitté depuis longtemps l’étable, et la maison est abandonnée. Seuls le chant des oiseaux et le vrombissement de quelques voitures viennent perturber le silence environnant. Pourtant, les terres de La Tournancière — cette ferme située à Vendœuvres, dans le département de l’Indre (36) — sont toujours cultivées. Colza, blé, orge : une rotation classique pour les céréaliers du secteur. Mais ici, les propriétaires ne sont plus des agriculteurs : La Tournancière a été rachetée par la société Hongyang, un fonds de gestion chinois. En deux ans, ces investisseurs ont acquis cinq exploitations dans l’Indre, soit une surface totale de 1.700 hectares.

Ici, l’histoire fait grand bruit. D’autant que les cessions ont été réalisées dans une totale opacité. Et pour cause, les instances normalement chargées de contrôler la vente et l’exploitation agricole ont été tenues à l’écart. Les Safer d’abord : ces sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural sont censées protéger les terres agricoles. Informées des projets de vente par les notaires, elles disposent d’un outil juridique — le droit de préemption — pour acheter à la place de l’acquéreur initial. Le but : revendre à une personne dont le projet correspond mieux à l’intérêt général. Deuxième principe de régulation : le contrôle des structures, qui soumet l’exploitation des terres à une autorisation de l’État. Une personne qui s’installe ou s’agrandit doit effectuer cette démarche.
« Contourner les lois et les règles est un sport national ! »

Alors comment les investisseurs chinois ont-ils pu passer outre ? En exploitant une faille dans ce système. Toute entreprise agricole doit adopter un statut juridique : soit l’exploitation individuelle, soit la société agricole. Or la Safer n’a pas le droit de préempter des parts de société. « Il suffit donc d’organiser la cession en vendant des parts sociales », explique Dominique Granier, trésorier de la Fédération nationale des Safer. En clair, il suffit à l’agriculteur exploitant individuel de passer en société agricole. Ensuite, le fonds de gestion chinois rachète la quasi-totalité de ses parts. Mais le vendeur reste exploitant minoritaire et titulaire de quelques parts. Ainsi, nul besoin de passer par la Safer ni par le contrôle des structures. Cette pratique s’avère tout à fait légale.

Si certains semblent découvrir la brèche, la société Hongyang n’est pas la première à s’y engouffrer. « Contourner les lois et les règles, c’est un sport national ! Des agents apportent leur expertise juridique aux exploitants agricoles qui veulent devenir plus gros que leur voisin, qu’ils soient français ou étrangers », dénonce Régis Lemitre, président de la Safer du Centre. Certes, la loi d’avenir adoptée fin 2014 vient apporter de timides améliorations. Désormais, la Safer peut exercer son droit de préemption sur une société si 100 % des parts sont mises en vente. Mais, en cas de cession partielle, la Safer ne peut préempter. « Avec le ministère de l’Agriculture, nous cherchons aujourd’hui une solution pour que le foncier ne nous échappe plus », déclare Dominique Granier.

Deuxième source d’indignation : le prix. Les rumeurs vont bon train. Il serait trois à quatre fois supérieur à celui du marché. Mais la Safer du Centre dément : « Les investisseurs chinois ont acheté à un prix élevé, certes, mais nous l’évaluons à environ 20 % au-dessus du marché, pas plus », rectifie Régis Lemitre. Hervé Coupeau, président de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) de l’Indre, estime le différentiel plus élevé.

Pourquoi un tel débat ? Parce qu’il est difficile de déterminer le prix des terres à partir du prix de vente d’une société : « Il faudrait faire analyser chaque transaction par un expert comptable pour savoir comment se répartit le prix entre bâtiments, terres, matériel ou remboursement de dettes », indique Valérie Diagne, directrice départementale de l’Indre à la Safer du Centre.

Ronald Ammerlaan, ancien éleveur qui a cédé sa ferme de 120 hectares à la société Hongyang, estime avoir vendu à un prix raisonnable, « à peine 8.000 € l’hectare tout compris. Un couple d’éleveurs devait la reprendre, mais la banque a refusé le prêt. J’étais pris par le temps, j’avais les banques sur le dos », se défend le vendeur, qui se dit déçu de ne pas avoir trouvé de repreneur.
« Le vrai problème, c’est qu’une poignée de gens accaparent autant de surfaces »

En même temps, qui peut se permettre d’acheter une exploitation de 120 hectares à 960.000 € ? « Certainement pas un jeune voulant s’installer, déplore Nicolas Calame, porte-parole de la Confédération paysanne de l’Indre. S’installer en céréales est devenu quasi-impossible. Ce ne sont pas les Chinois qui font flamber les prix. Ils y contribuent un peu, mais les premiers responsables sont les paysans français. Surtout, le vrai problème, c’est qu’une poignée de gens accaparent autant de surfaces. Que ce soit des Chinois ou des Français. C’est un modèle d’agriculture sans paysan. »

D’après Hervé Coupeau, la production de La Tournancière serait gérée par un chef de culture salarié et de la main d’œuvre temporaire. Même organisation à La Chambrisse, à Châtillon-sur-Indre (36), une autre exploitation céréalière de 1.000 hectares cédée aux Chinois. « Nous sommes contre la reprise d’exploitation sans installation, assure le représentant syndical. Il faut contrôler ces acquisitions, les limiter à 200 hectares et y installer un jeune avec un bail de carrière. » Une proposition dont la FDSEA aimerait discuter avec le gérant français des sociétés agricoles détenues par Hongyang. Ces dernières travaillent aujourd’hui avec la coopérative Axéréal, comme tous les agriculteurs du coin. Elles y achètent semences, engrais et produits phytosanitaires, puis y livrent leurs récoltes. « Avec 1.700 hectares, elles sont loin de pouvoir organiser leur propre filière », affirme un représentant d’Axéréal. Hervé Coupeau confirme, mais s’inquiète des projets du fonds de gestion. D’après ses informations, des négociations seraient en cours pour l’achat de nouvelles exploitations. Et le représentant syndical d’alerter : « Si les investisseurs acquièrent 10.000 hectares, ils pourront constituer leur propre filière et exporter vers la Chine. C’est donc notre sécurité alimentaire qui est en jeu. »

Lire aussi : Les Safer gèrent-elles bien les terres agricoles ?

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