Comment les investisseurs partent à l’assaut des terres agricoles françaises

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(Les Echos)
Les Echos | 21.06.2016

Comment les investisseurs partent à l’assaut des terres agricoles françaises

Muryel Jacque

L’achat de plusieurs exploitations dans l’Indre par un groupe chinois préoccupe les pouvoirs publics. En France, il est impossible de dire précisément à qui appartiennent les terres agricoles.

Un grand groupe chinois qui met la main sur quelque 2.000 hectares de terres agricoles dans le Berry. Révélée par la presse locale en février, la transaction, d'ampleur inédite en France, où les exploitations sont en moyenne inférieures à 100 hectares, a fait grand bruit. Dans le monde agricole, mais aussi au-delà. « L'émotion » suscitée par cette opération « spectaculaire et exotique » a permis au député PS de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier, qui dénonce depuis plusieurs années les conséquences d'une « libéralisation » du marché foncier français, de réunir « en quinze jours » le Parlement, les organisations agricoles et le ministère de l'Agriculture. Et de faire adopter deux amendements en tant que rapporteur pour avis du projet de loi Sapin 2. Objectif ? Instaurer une plus grande transparence des achats fonciers, « pour éviter l'accaparement et la financiarisation des terres par des sociétés d'investissement », explique le député.

Début d'un processus

Combien d'hectares de cultures céréalières dans l'Hexagone appartiennent à des investisseurs ? C'est en réalité impossible à savoir. La Safer, le gendarme du marché foncier placé sous le contrôle des ministères de l'Agriculture et des Finances, n'a par exemple rien su de cette opération dans l'Indre. Car le groupe chinois Reward, qui a acheté sa première exploitation en France dès 2014, a surfé sur une faille législative : lorsque les exploitations sont transformées en société civile, un phénomène grandissant, et que l'acquéreur n'achète pas la totalité des parts, l'opération se fait au nez et à la barbe de l'Etat. Evidemment, les actes notariés sont là, mais, « chaque fois, il faudrait faire une enquête », admet Robert Levesque, directeur du bureau d'études de la Safer.

A défaut de vision d'ensemble, les rares acquisitions de ce type révélées au grand jour alimentent les rumeurs. Spéculation, stratégie de diversification, sécurisation alimentaire ? La Chine, à travers Reward Group ou d'autres, chercherait à acheter 20.000 hectares, entend-on auprès de plusieurs personnes. Mis à part les dizaines de photos des différentes visites de la direction en France, publiées sur son site Internet, les seules informations données par le groupe indiquent que ses « fermes agricoles sont essentiellement orientées vers la plantation de blé dans l'optique d'une production de farine et produits dérivés ». De nombreuses questions restent en suspens. Le ministère de l'Agriculture a donc décidé de diligenter une mission dont les conclusions sont attendues en septembre. Début juin, le ministre Stéphane Le Foll a parlé à ses interlocuteurs chinois en marge du G20 à Pékin. « Si rien n'est fait, cette opération pourrait n'être que le début d'un processus, avance Thierry Pouch, responsable du service économie et prospective de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. On constate qu'il y a de plus en plus de capitaux extérieurs au secteur agricole. » Le président de la Safer, Emmanuel Hyest, agriculteur depuis vingt-cinq ans, assure lui n'avoir jamais vu ça. « Il y a une demande très forte. Nous avons été approchés par des groupes financiers français, des banques et des assurances, qui veulent exploiter. Aujourd'hui, ces groupes sont prêts à acheter des terres : c'est nouveau. » D'autres évoquent l'intérêt croissant des acteurs de la distribution, qui souhaitent devenir producteurs.

Ces préoccupations sont toutefois loin d'être partagées par tous les observateurs. Certains réfutent sévèrement l'idée que la souveraineté alimentaire de la France puisse être menacée par une concen­tration des terres par des grands groupes. « Pour affamer la France, il faudrait que la Chine achète tout le bassin parisien », s'amuse un expert chez un grand exportateur de céréales. Avant d'asséner que l'indépendance alimentaire relève du fantasme... L'Europe est le premier exportateur mondial de blé, mais c'est aussi l'un des plus gros importateurs de produits agricoles.

@MuryelJacque

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Les Echos | 21.06.2016

Une nouvelle « valeur refuge »

Muryel Jacque

Les investisseurs s'intéressent de plus en plus aux terres agricoles des pays développés, où les risques sont moins élevés.

La France n'est pas le seul pays développé où une partie de la classe politique veut intervenir, voire légiférer pour contrôler les achats de terres agricoles. En mai, des députés québécois ont déposé un projet de loi « visant à contrer l'accaparement des terres ». Des terres devenues, selon eux, « une valeur refuge pour certains fonds d'investissement privés ». Ainsi, depuis cinq ans, les quinze sociétés les plus actives auraient acheté plus de 27.000 hectares (soit deux fois et demie Paris), un investissement estimé par les producteurs agricoles locaux à près de 84 millions d'euros.

En Australie, le directeur du Trésor est intervenu en mai pour casser une transaction entre le plus grand propriétaire terrien du pays et un consortium d'investisseurs à majorité chinoise qui s'apprêtait à acquérir 2,5 % des terres nationales, dont 1,3 % de terres agricoles. La vente lui a semblé « contraire aux intérêts du pays », a-t-il déclaré, alors que l'histoire a chamboulé les Australiens. Sans délaisser les terres fertiles de l'Afrique ou de l'Amérique latine, les investisseurs - des fonds de pension aux « hedge funds » - s'intéressent de plus en plus au potentiel des pays développés, où les risques sont moins élevés, le droit de propriété solide et, par conséquent, les perspectives de production plus sûres. Ils y cherchent de grands espaces : des centaines voire des milliers d'hectares. Aux Etats-Unis, le spécialiste américain des fonds de placement TIAA-CREF a levé l'an dernier plusieurs milliards de dollars pour monter un nouveau fonds dédié aux terres cultivées, notamment en Amérique du Nord et en Australie.

10 % des terres agricoles roumaines

En Europe, la tendance est forte dans certains pays, à l'Est surtout. En Roumanie, 10 % des surfaces agricoles sont gérées par des investisseurs originaires d'un pays tiers, selon le Comité économique et social européen (Cese). Spearhead, un fonds britannique, exploite plus de 80.000 hectares en Roumanie, en Pologne, en République tchèque, en Slovaquie et au Royaume-Uni. Ce n'est pas sans transformer le paysage agricole : 1 % des entreprises agricoles contrôle 20 % des terres de toute l'Union européenne.

Pour Thierry Pouch, responsable du service économie et prospective de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, « il faut resituer cette tendance dans un contexte de mondialisation où le foncier et l'agriculture sont devenus des enjeux de pouvoir ».

@MuryelJacque

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