Agriculture contractuelle, entre sécurité économique et spéculation foncière

Mme Ndiaye Rama Diallo

Le Républicain (Bamako) | 19/02/2010

Voici une reflexion qui aurait pu nourrir les débats du Forum de Bamako en cours. Nous avons trouvé l’article sur le blog de Mme Ndiaye Rama Diallo et le proposons à votre lecture. Entre les lignes ce que nous dit cette intellectuelle aux allures de top-model qui vient de terminer un doctorat en intelligence économique en France, c’est simplement ceci : l’agriculture est devenue un déterminant de la sécurité humaine globale.

Sous la bannière idéologique de la « croisade contre la faim », la diplomatie mondiale, et plus manifestement la diplomatie chinoise, semble engagée, depuis 2007, dans une vaste offensive d’achat de terres arables en Afrique, avec à la clé des contrats d’exploitation agricole dans plusieurs « pays amis » par l’entremise d’un Fonds de Capital-investissement majoritairement détenu par la Banque chinoise de développement, doté de plus de 5 milliards de dollars US et visant à permettre aux entreprises chinoises d’investir dans l’agriculture africaine au cours des 50 prochaines années…

Un vieux phénomène, de nouveaux enjeux

Historiquement, le phénomène dit d’accaparement des terres  n’est pas véritablement nouveau dans les faits, mais plutôt dans la forme : l’expropriation violente des populations indigènes suite à la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb, celle des Maoris en Nouvelle Zélande, celles des Zoulous en Afrique du Sud ou encore des autochtones du Zimbawe (…), en sont quelques illustrations. Plus récemment encore, l’exemple de compagnies minières comme Barrick Gold dans les hauts plateaux d’Amérique du Sud ou de sociétés agro-alimentaires comme Dole ou San Miguel accusés de dépouiller de petits agriculteurs philippins de leurs droits fonciers, témoignent de l’actualité du phénomène aujourd’hui exacerbé par les besoins de la nouvelle industrie des biocarburants. Au boom de cette industrie du biocarburant, est venu se greffer la double crise financière et alimentaire. Mais si stratégie commerciale et stratégie de sécurité alimentaire diffèrent dans leurs motivations, elles semblent aboutir aux mêmes conséquences : accaparement des terres et spoliation des petits producteurs.

Les enjeux pour la Chine

La chine compte à elle seule 40 % des agriculteurs du monde mais dispose seulement de 9 % des terres agricoles à l’échelle mondiale. Sa préoccupation fondamentale est, au delà de son immense population à nourrir, la disparition progressive de ses propres terres agricoles due notamment au développement industriel et à la diminution de ses ressources en eau. En effet, avec des réserves de devises étrangères estimées à plus de 1 800 milliards de dollars US, la Chine a parfaitement la possibilité d’atteindre, par une dynamique exclusivement endogène, l’autonomie alimentaire, sans avoir un besoin impératif d’externaliser sa production. L’enjeu fondamental est donc stratégique : préserver la qualité de ses terres pour préserver l’avenir de ses enfants à long terme, et faire de l’argent à court terme.

Un boom commercial sans précédent

Le commerce de produits agricoles entre la Chine et l’Afrique a franchi le cap de deux milliards de dollars en 2008, soit un boom de 33,76% sur l’année 2007. En outre, la Chine a annoncé une subvention de 30 millions de dollars à la FAO afin de créer un fonds destiné à aider les pays en développement à améliorer leurs capacités agricoles.

Pékin semble donc dominer de tout son poids économique et géopolitique ce nouveau marché de la « délocalisation agricole », mais n’est pas seul : Les Pays du Golf, l’Inde, le Japon, la  Corée, et l’Égypte et plus près de chez nous, la Libye marquent aussi « leur territoire » via des accords commerciaux leur garantissant d’immenses champs de « production agricole offshore ».

De Wall Street à l’office du Niger.

L’interaction entre la crise financière et la crise alimentaire semble aboutir aujourd’hui à un accroissement sans précédant des pressions sur les ressources de la terre. On observe ainsi une intensification de « l’agriculture contractuelle » au niveau mondial, avec une certaine acuité au niveau africain, et deux catégories d’interventions : les tenants d’une stratégie purement commerciale, à savoir des entreprises – surtout financières, agroalimentaires, et des investisseurs privés attirés par les profits gigantesques du secteur, et les Gouvernements de pays émergents qui font face à la demande croissante de leurs populations. L’effet conjugué de ces deux catégories d’acteurs débouche sur une vague de privatisations des terres agricoles fertiles dont les normes d’exploitation restent à questionner…

Péril global

En effet, si les gouvernements développent des stratégies axées sur la sécurité alimentaire, les multinationales qu’ils mettent à l’avant-garde ont quant à elles un objectif fondamentalement différent : faire de l’argent. La corrélation entre la crise alimentaire et la crise financière semble désormais faire de l’économie du foncier un nouvel espace de spéculation auquel s’intéresse de plus en plus le secteur financier, qui y fait la concurrence à l’industrie alimentaire et y parait même plus actif, mettant en exergue une problématique mondiale plus que jamais alarmante : « de quelque côté qu’on se tourne, le changement climatique, la destruction des sols, la perte des ressources en eau et la stagnation des rendements des monocultures sont autant d’immenses menaces qui pèsent sur les ressources alimentaires futures de la planète ». Il en découle des mutations profondes (prévisions de marchés tendus, inflations des prix) qui sont autant de signaux explicatifs de cette stratégie d’accaparement des terres : produire à faible coût et vendre au prix fort, cela pourrait bien être le nouveau crédo des places boursières. D’où cette triple logique d’interaction entre la crise financière, la crise alimentaire qu’elle a accentuée, et le péril écologique que cette dernière comporte.

In fine, la somme de ces mutations de l’économie mondiale place le monde face à un risque de sécurité qui n’aura jamais été aussi complexe et globale : les « émeutes de la faim », les déplacements des réfugiés climatiques, les conflits communautaires autour des dernières ressources en eau, les hordes d’affamés venant grossir le taux de chômage des villes, la fragilisation des états face à la demande sociale de plus en plus impérative, voilà autant d’impacts déjà visibles sur les pays les plus vulnérables.

Somme toute faite, la véritable nouveauté semble être le déplacement de l’épicentre de la spéculation de l’économie virtuelle vers l’économie réelle, précisément l’agriculture de marché, qui est non pas un facteur de sécurité alimentaire, mais la source même de péril climatique, d’insécurité alimentaire, et d’insécurité tout court. Et l’on envisage difficilement le défunt sommet du COP 15 trouver des réponses durables à ses questions. Mais les états feront-ils alors face à leurs responsabilités sociétales ? Les orientations stratégiques du Forum de Bamako semblent autoriser un début d’espoir.

Ndiaye Rama Diallo

Directrice Starcom et spécialiste en intelligence économique Blog : www.ramadiallondiaye.com

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