«Je suis réservé sur la location de terres pour une longue durée»

Le Temps | jeudi 25 février 2010

Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, commente le phénomène du rachat de terres agricoles dans les pays du Sud et le projet Addax Bioenergy en Sierra Leone

Au premier plan, Nikolai Germann, chef du projet Addax Bioenergy en Sierra Léone. (DR)

Par Jean-Claude Péclet

Le Temps: Les achats de vastes surfaces agricoles dans le tiers-monde s’accélèrent. Pourquoi?

Olivier de Schutter: Cette ruée sur l’or vert a un aspect géopolitique. La Chine a vu sa production de riz décliner de 8% en dix ans, à cause de l’épuisement de ses réserves d’eau, on comprend qu’elle soit inquiète. Suite à la crise alimentaire de 2007-2008, de grands pays importateurs semblent avoir perdu confiance dans la capacité des marchés à assurer un approvisionnement stable.

– Quelle est votre position sur ce phénomène?

– L’agriculture des pays en développement a souffert de sous-investissement pendant 25 ans. Le mouvement inverse qui s’est amorcé peut avoir des effets positifs – à condition d’éviter un accaparement des terres nuisible aux communautés locales. L’enjeu du transfert de propriété est central. Malheureusement, il est mal codifié dans les pays hôtes, ce qui engendre de graves menaces pour les populations concernées.

– Lesquelles?

– Les paysans qu’on exproprie ont le choix entre trois solutions: se rabattre sur des terres marginales, moins fertiles; abandonner l’agriculture et s’entasser dans les bidonvilles; travailler dans les plantations industrielles, au risque de ne pouvoir faire vivre leur famille, n’ayant plus qu’un accès restreint à leurs terres. Aucune n’est souhaitable. C’est pourquoi les contrats d’investissement devraient accorder la priorité aux besoins de développement de la population locale.

– Connaît-on l’ampleur de l’accaparement?

– Non. Il faudrait d’abord s’entendre sur sa définition: à partir de quelle surface, quelle durée de location, etc. Certains projets ont été très médiatisés, comme ceux de la Chine, de la Corée ou de l’Arabie saoudite en Afrique, mais la spéculation est d’abord le fait des élites locales. Beaucoup de transactions sont en cours de négociation, et opaques vu la faible gouvernance des pays cibles.

– Les principes que vous défendez incluent «des engagements clairs et vérifiables». La faible gouvernance n’est-elle pas un frein à leur application?

– C’est l’obstacle principal. Les communautés affectées ne bénéficieront pas de garantie solide tant qu’elles n’auront pas accès à une autorité vraiment indépendante en cas de non-respect du droit. Je me réjouis du soin apporté par Addax Bioenergy aux études d’impact et à l’écoute de la population. C’est une expérience pilote; si celle-ci ne réussit pas, cela signifiera que rien ne marche. Cela étant, ces précautions ne remplacent pas une instance de recours indépendante. L’investisseur privé ne peut pas se substituer à l’Etat.

– Que pensez-vous de la location des terres pour une longue durée?

– Je suis réservé. Dans le rapport annuel que je présente au Conseil des droits de l’homme à Genève le 5 mars prochain, le principe le plus important est celui qui privilégie les accords contractuels fixant l’achat, à des prix définis d’avance, d’une partie des récoltes produites, l’investisseur fournissant l’accès au crédit et aux techniques adéquates. Ce système est préférable à la location des terres sur une longue période.

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