Le Millennium Challenge Corporation américain : l’Afrique livrée au big business

Seedling | avril 2010

Le Millennium Challenge Corporation américain : l’Afrique livrée au big business
par GRAIN

(Version PDF disponible ici)

“Les pays africains  partenaires du MCC sont ouverts aux affaires” – l’Ambassadeur John Danilovich, directeur général du Millennium Challenge Corporation (MCC), juin 2008

Quand les puissances européennes envahirent l’Afrique, elles apportèrent leur propre système de propriété privée. Les lois ont été ensuite établies à partir de ces systèmes afin de justifier, de garantir et de faciliter la façon dont les nouveaux venus s’emparaient des terres appartenant aux communautés locales. Mais ces lois ne furent quasiment jamais appliquées ou respectées au-delà des limites des fermes et des plantations européennes. Après l’Indépendance, même si les lois occidentales sont souvent restées applicables en théorie, ce sont les États africains qui sont devenus propriétaires en dernier ressort et souvent propriétaires exclusifs des terres sur leur territoire. Toutefois, ils n’avaient pas, en pratique, la capacité de gérer ces terres. C’est ainsi que la grande majorité des terres dans les campagnes africaines est restée soumise, tout au long de l’époque coloniale et jusqu’à nos jours, aux droits fonciers coutumiers des communautés locales.1

Ces droits coutumiers sont souvent complexes et rarement immuables. Ils ont évolué avec le temps, changeant avec les politiques locales et s’adaptant aux pressions nouvelles, telles l’urbanisation, les migrations, la déforestation et la fragmentation des terres. Ils sont fondés sur des droits et des devoirs divers qui peuvent se concurrencer, et font partie intégrante des pratiques locales d’agriculture, de pêche et d’élevage. Depuis des années, ces systèmes de gestion des terres font l’objet d’une tentative de marginalisation de la part des cercles officiels, mais aujourd’hui ils sont en butte à un assaut sans précédent.2

L’Afrique est devenue la nouvelle frontière pour la production mondiale de nourriture (et d’agrocarburants). Des milliards de dollars sont mobilisés pour mettre en place l’infrastructure qui permettra de relier toujours plus de terres agricoles africaines aux marchés mondiaux ; des milliards supplémentaires sont mobilisés par les investisseurs, afin de s’emparer de ces terres agricoles pour produire pour les marchés en question. Pour avoir une petite idée de ce qui est en train de se révéler petit à petit, il suffit de voir la gigantesque plantation de palmiers à huile que les plus gros producteurs mondiaux d’huile de palme ont prévue au Libéria, ou bien le projet de coopération Japon-Brésil destiné à transformer de vastes zones mozambicaines en plantations de soja de type brésilien.3  Il ne reste plus de place dans cette vision du monde pour les millions de petits producteurs africains. Et tout comme les puissances coloniales d’autrefois, cette nouvelle vague d’envahisseurs a besoin d’une structure légale et administrative pour justifier et faciliter sa mainmise sur ces terres.

Depuis déjà plus de dix ans, la Banque mondiale, l’USAID [Agence des États-Unis pour le développement international] et un certain nombre d’autres agences internationales et de bailleurs de fonds étrangers s’efforcent de monter les fondations qui assureront la conquête. Leurs démarches ont beau présenter quelques différences subtiles, ces agences centrent toutes leurs programmes fonciers sur un seul et même objectif : créer, dans ces régions d’Afrique ciblées par les investisseurs étrangers, des marchés fonciers fondés sur des droits de propriété privée. Des équipes de consultants sont sans cesse parachutées sur tout le continent, afin de ré-écrire les lois, d’enregistrer les titres et de mettre en place une cartographie par satellite et des systèmes cadastraux, le but ultime étant de faciliter aux investisseurs étrangers l’acquisition des terres agricoles africaines. Au milieu de cette ruée fébrile sur les ressources foncières africaines, certains des acteurs augmentent encore la pression, pour s’assurer que les grandes entreprises dont ils défendent les intérêts obtiennent leur part du gâteau. Pour les investisseurs américains qui lorgnent les terres africaines, il existe un programme qui dépasse de loin tous les autres par son ampleur : C’est celui du Millennium Challenge Corporation (MCC) du gouvernement américain. Comme le montrent clairement ses projets fonciers expérimentés au Mali, au Ghana, au Mozambique et au Bénin, le MCC joue un rôle clé dans la marchandisation des terres agricoles africaines et dans leur ouverture à l’agrobusiness américain.

Tableau 1. Pays qui ont signé avec le MCC des Compacts incluant une réforme foncière
Pays Date du Compact avec le MCC
Madagascar 2004
Nicaragua 2005
Bénin, Ghana, Mali 2006
Lésotho, Mongolie, Mozambique 2007
Burkina Faso 2008

Une nouvelle forme d’ajustement structurel

Vers la fin de son premier mandat (2001-2005), le Président américain George W. Bush proposa de mettre en place une nouvelle organisation pour gérer l’aide humanitaire à l’étranger de son gouvernement. Il voulait une structure distincte de l’USAID, quelque chose qui ressemblerait davantage à une entreprise privée qu’à un programme gouvernemental. Celle-ci aurait son propre président et un conseil d’administration lequel, tout en rendant des comptes au Congrès et en incluant le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l’Économie et des Finances, le Représentant américain au commerce et l’administrateur de l’USAID, comprendrait aussi quatre représentants du secteur privé.

Ce qui devait devenir le MCC fut créé par le Congrès américain en janvier 2004. La politique du MCC est sans complaisance et ressemble à un programme d’ajustement structurel. Le MCC dispose d’un large budget (que le Congrès a augmenté sous l’administration Obama : + 26 % en 2010). L’argent est versé sous forme de subventions, et non pas de prêts, à ceux des pays que le MCC considère comme des candidats acceptables : une belle carotte qu’on agite pour attirer les pays. Cependant même pour devenir candidat à ce financement, un pays doit d’abord passer un test MCC avec des points : Ce test tient compte de critères tels que « pays encourageant le libéralisme économique » et est fondé sur des indices provenant d’institutions néo-libérales comme la Banque mondiale, la Fondation Héritage et le Front monétaire international (FMI). Si un pays marque suffisamment de points, il peut alors être promu par le MCC au stade “threshold” (pré-compact) qui lui donne accès à des sommes modiques, ce qui va lui permettre de mettre en place les réformes structurelles que le MCC estime nécessaires pour accéder à l’éligibilité complète.

Une fois qu’il a passé tous les obstacles, un pays peut alors passer au stade suivant, c’est-à-dire mettre au point et signer avec le MCC un “Compact” qui spécifiera quatre ou cinq projets donnant droit au financement MCC. Le plus souvent, une équipe de consultants américains est expédiée dans le pays pour guider le gouvernement dans l’élaboration de la proposition de Compact, en l’orientant vers les secteurs les plus pertinents pour l’ouverture du pays aux investisseurs étrangers. Quand le Compact a été approuvé, l’argent commence à être versé. Toutefois la source peut se tarir rapidement, si le gouvernement prend une direction qui déplaît à Washington. Ainsi, le financement fourni au Nicaragua a été interrompu quand les sandinistes ont été élus au pouvoir. En revanche, le financement MCC s’est poursuivi après le coup d’état illégal de 2009 au Honduras.4

Quand il signe le Compact, le gouvernement qui reçoit les fonds doit mettre en place une organisation chargée de les administrer : C’est généralement un Millennium Challenge Account (MCA),  qui opère de façon anonyme, avec son propre conseil d’administration, mais sous la supervision d’un ministère désigné. Un Compact dure en général cinq ans et est soumis à des évaluations régulières ; des objectifs sévères doivent être atteints, à peu près tous les ans, avant que de nouvelles tranches de financement puissent être débloquées. Vincent Basserie, conseiller sur les questions foncières au Hub Rural au Sénégal, qui a vu comment fonctionnait le MCC, le compare à un « rouleau compresseur» poursuivant un projet idéologique très strict, sans tenir compte des expériences passées.

Étant donné que la plupart des Compacts du MCC ont été jusqu’à présent signés avec des pays africains, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient centrés sur l’agriculture, un domaine actuellement extrêmement attrayant pour les investisseurs étrangers. Près de la moitié du budget total du MCC, soit 6,8 milliards de dollars US, sert à soutenir ce que le MCC nomme des « solutions pour la sécurité alimentaire fondées sur le marché ». Ses Compacts financent des projets tels que la certification des sous-traitants pour l’exportation des fruits ou la construction d’infrastructures de transport pour faciliter l’accès aux marchés internationaux, comme le port de Cotonou, au Bénin. Les Compacts africains comportent presque toujours un volet agricole qui est central : Si ces projets agricoles varient selon les pays, l’objectif numéro un du MCC, quel que soit le projet, est de privatiser la terre et d’en faire ainsi une marchandise négociable dont les investisseurs puissent tirer des bénéfices.

Les premiers pas à Madagascar

En 2004, Madagascar a été le premier pays à signer un Compact avec le MCC. Avec le zèle dont il faisait preuve pour ouvrir le pays aux investisseurs étrangers, le gouvernement de Marc Ravalomanana était parfaitement adapté au MCC. Au départ, le MCC et le gouvernement de Madagascar avaient convenu que le Compact devrait mettre l’accent sur l’augmentation des investissements dans le domaine agricole et qu’il lui fallait, par conséquent, inclure un projet d’extension des titres de propriété. Cependant, un processus national de réforme foncière privilégiant une gestion décentralisée des terres et l’allocation de certificats fonciers (et non de titres) avait déjà commencé avant l’arrivée du MCC. Les responsables ont réussi à convaincre le MCA-Madagascar de soutenir ce processus, alors même que les autres volets du Compact maintenaient l’objectif de développer l’agrobusiness et de faciliter les investissements étrangers. La contradiction a toutefois fini par exploser au vu de tous en décembre 2008, quand il est apparu que, tout en utilisant les fonds MCC pour allouer des certificats à des milliers de Malgaches ruraux dans le cadre du Programme national foncier, le gouvernement vendait les mêmes terres à des investisseurs étrangers.

Les gens de Madagascar ont appris avec horreur, par l’intermédiaire des médias internationaux,  que leur gouvernement avait alloué une concession de 1,3 millions d’hectares à la société coréenne Daewoo Logistics et qu’il était en train de négocier, avec la société indienne Varun, un autre accord couvrant plusieurs centaines de milliers d’hectares ; les deux accords concernaient des projets d’agriculture industrielle. L’accord avec Daewoo comprenait des terres pour lesquelles les certificats avaient déjà été alloués par le programme du MCC, tandis que Varun proposait d’étendre ce programme foncier à la zone qu’il convoitait, de façon à ne distribuer les certificats qu’aux agriculteurs qui accepteraient de mettre leurs terres à la disposition de l’entreprise !5 En vérité, le gouvernement avait livré, ou était sur le point de le faire, près de 3 millions d’hectares de terres agricoles à des investisseurs étrangers. Ces transactions s’étaient faites au moyen d’un système de baux à long terme pouvant aller jusqu’à 99 ans établi par le gouvernement en 2008 dans le cadre d’une nouvelle loi sur les investissements, d’ailleurs soutenue par les bailleurs de fonds.6

Le gouvernement du Président Ravalomanana et le programme MCA-Madagascar ont connu une fin brutale en mars 2009, avec le coup d’État qui fut certainement favorisé par la colère de la population face à l’accord avec Daewoo. Le MCC a immédiatement annulé le Compact et son financement pour le Programme national foncier. C’était la première – et la dernière – fois que le MCC allait laisser un programme national orienter un de ses projets fonciers.

Le Mali: un fief du MCC

Au Mali, le programme offre un exemple plus clair des activités foncières et des objectifs du MCC. Le Millennium Challenge Account-Mali (MCA-Mali) s’est approprié sa propre zone dans l’Office du Niger au Mali, le plus grand projet d’irrigation du pays et peut-être de toute l’Afrique de l’Ouest. Sur les quelque 20 000 hectares dont il dispose, le MCA-Mali a mis en place une zone quasiment hors-normes, où il est en train d’instaurer son propre système de gestion foncière.

L’Office du Niger du gouvernement malien est la seule agence responsable de l’allocation des terres et de la régulation de l’eau d’irrigation dans le périmètre de l’Office du Niger. Les agriculteurs obtiennent un accès aux terres en payant des droits au Bureau pour l’eau d’irrigation. Mais dans la zone du MCA-Mali, les terres qui ne sont pas actuellement irriguées vont être irriguées et divisées en parcelles, qui seront vendues aux gens avec des titres de propriété individuels. Au cours d’une première phase commençant en 2010, 6 000 hectares de terres vont être irrigués et divisés en lots de 5 hectares. Les titres de ces parcelles seront alloués d’abord aux personnes qui vivent aujourd’hui dans cette région et veulent y rester, puis aux petits agriculteurs qui désirent venir s’y installer. Tous devront acheter les titres de propriété au MCA. Toutefois,  les familles vivant actuellement sur place et qui vont devoir être déplacées à cause du projet, recevront “gratuitement” deux des cinq hectares. La deuxième phase inclura l’irrigation de 5 000 hectares supplémentaires en 2011 et ces terres seront divisées en parcelles de 10 hectares.

Finalement, la phase trois, prévoit en 2012 l’irrigation de 5 000 hectares de plus à diviser en soixante-dix lots de 30 hectares et trente lots de grande taille de plus de 30 hectares chacun.7

Tandis que le MCA a l’intention de diviser et de vendre les parcelles en tant que titres individuels, la propriété restera confiée à une autorité spéciale créée par le MCA, tant que les propriétaires des titres n’auront pas entièrement remboursé leurs prêts qui sont censés être amortis sur 20 ans.8

Sexagon, l’organisation locale d’exploitants agricoles, a beaucoup de membres dans la région que s’est appropriée le MCA-Mali.9 L’un de ses leaders, Faliry Boly, affirme que la population locale n’a pas été consultée et qu’elle était en fait opposée au projet. “Ce sont des pasteurs qui n’ont aucun désir de se mettre à l’agriculture”, explique Boly. “Ils ne paieront pas un centime au MCA pour les terres qui vont leur être retirées et il est très probable qu’ils seront obligés de partir.”

Le MCC a clairement l’intention de réinventer l’agriculture dans la région. Une société américaine a débarqué pour enseigner l’agriculture “moderne” aux Maliens qui participent au projet ; elle collaborera avec l’AGRA (l’Alliance pour une révolution verte en Afrique) pour fournir aux agriculteurs un lot initial de semences et d’autres intrants pour la première année (voir encadré 1). S’ils restent, les petits producteurs risquent de s’endetter et finiront fort probablement par devoir vendre leurs terres aux producteurs plus importants et aux sociétés qui arriveront dans le cadre des deuxième et troisième phases du projet. Et voici comment on ouvre la porte toute grande aux investisseurs étrangers : le rapport final du programme évite soigneusement d’imposer à la troisième vague d’investisseurs, celle qui disposera de parcelles de 30 hectares ou plus, des conditions de nationalité. Pas besoin d’être citoyen malien.10

En effet, l’Office du Niger est déjà une cible très convoitée par les investisseurs étrangers : La Libye y a acquis plus de 100 000 hectares, les investisseurs chinois 6 000 hectares. Les investisseurs saoudiens ont en vue entre 50 et 100 000 hectares . Une initiative du bureau régional de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)11  suit une démarche similaire au projet du MCA sur une surface de 11 000 ha. Une autre organisation régionale, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)12, parle d’un projet de partenariat public-privé qui couvrirait 100 000 hectares supplémentaires. Dans le même temps, les agriculteurs locaux ont un mal infini à obtenir plus d’un hectare par famille et la concurrence pour l’accès à l’eau s’intensifie, du fait que toute l’irrigation dans l’Office du Niger dépend d’une seule et même source d’eau.13

Étant donné la situation, Sexagon privilégie une autre vision des choses, qui fournirait aux fermes familiales un accès adéquat à la terre et à l’eau, et assurerait la souveraineté alimentaire du pays. Le syndicat réclame un système fondé sur des baux à long terme qui alloueraient à chaque ferme familiale environ 3 hectares. Un tel système empêcherait le développement d’un marché des terres, une idée à laquelle Sexagon est opposé.14

Le conflit avec le MCA-Mali ne peut donc que s’exacerber pour les petits producteurs de l’Office du Niger. Le MCC veut que sa zone serve de base à la transformation de toute la région et Sexagon est bien décidé à l’en empêcher. Pour Boly, “le projet du MCC est voué à l’échec. Nous finirons par récupérer nos terres.”

Encadré 1: le MCC et l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA)En juin 2008, le MCC et l’AGRA ont signé un protocole d’accord qui établit le cadre de leur coopération en Afrique. Selon cet accord, les deux partenaires ont décidé de:
  • faire des évaluations communes et des recommandations pour changer certaines politiques et réglementations concernant le système alimentaire et agricole dans tel ou tel pays, afin de faire disparaître les obstacles à la croissance économique,
  • coordonner la planification de la mise en oeuvre de leurs programmes pour certaines régions géographiques ou spécifiques,
  • communiquer régulièrement entre eux pour coordonner les efforts.
Le MCC et l’AGRA collaborent également sur plusieurs projets spécifiques tels que :
  • la réforme de la politique des semences au Ghana ;
  • la production et la distribution de riz à Madagascar ;
  • la fourniture de semences et de services d’extension aux agriculteurs du projet MCA-Mali de l’Office du Niger ;
  • un fonds de 100 millions de dollars US avec la Standard Bank pour fournir des prêts aux agriculteurs au Ghana, au Mozambique, en Tanzanie et en Ouganda.

 

Le Ghana: une chance inouie pour l’agrobusiness américain

Le projet foncier du MCC au Ghana ressemble beaucoup à celui du Mali. Le Compact avec le Ghana tend très nettement à développer les exportations horticoles du pays, et à accroître en particulier la part des investissements étrangers dans la production d’ananas. Mais les grandes entreprises qui dominent le marché de l’ananas n’ont pas caché qu’elles n’investiraient pas dans le pays sans être assurées d’avantages significatifs : pour elles, des changements dans la gestion foncière sont absolument prioritaires. Et le Compact du MCC est censé justement réaliser cet objectif.

Comme au Mali, l’élément foncier tourne autour d’un projet pilote initial, dans une zone à laquelle le gouvernement central a attribué un statut spécial. Cette zone pilote est située à proximité de la capitale Accra, dans le district rural d’Awutu Efutu Senya, spécialisé dans la production d’ananas. Comme le prévoyait une feuille de route détaillée, signée par le gouvernement en septembre 2007, le projet a démarré par l’utilisation de la technologie satellite pour établir la carte et délimiter la zone.15 Un consultant a été engagé pour informer et sensibiliser la population locale, afin de s’assurer de sa coopération. Ensuite, quand le MCC et le Millennium Development Authority (MiDA), qui est au Ghana l’agence responsable de la mise en oeuvre du Compact, a estimé que c’était le bon moment, le ministre des terres a déclaré le district comme étant “une zone d’enregistrement obligatoire de titres”, une première dans une zone rurale du Ghana.16

 

À partir de là, le MiDA est passé à la “phase de mise en oeuvre” : Le district fait l’objet d’études détaillées, les terres et les droits sont identifiés et intégrés dans des cartes, les revendications conflictuelles sont gérées par un “système alternatif de résolution des conflits”, sous l’égide d’une autre équipe de consultants, et les titres sont enregistrés et distribués. En septembre 2009, une première série de cent titres fonciers avait été allouée. Entre temps, le MiDA a même mis en place un service spécial pour fournir des informations et évaluer la valeur des terres pour d’éventuels investisseurs.

 

La population locale n’a jamais demandé ce projet. Les gens n’ont jamais réclamé de titres de propriété. Mais ils sont très inquiets de l’expansion des plantations d’ananas dans la région et s’alarment des conséquences qu’elle peut avoir sur la production locale de denrées alimentaires et sur l’accès à la terre.17 Ces craintes préoccupent les élites et les investisseurs étrangers qui lorgnent les terres pour y cultiver des ananas et n’ont aucune envie de laisser la population locale avec ses pratiques de droit coutumier interférer avec leurs bénéfices.

 

Le projet du MCC en Awutu Efutu Senya fait partie d’un programme MCC plus vaste qui a pour objectif d’étendre dans la région la production d’ananas pour l’exportation. Le financement du MCC est utilisé pour améliorer les routes qui relient le district à l’aéroport et au port, pour construire une conserverie et d’autres installations pour l’après-récolte, pour améliorer le port, mettre en place des incitations à l’investissement et des programmes d’extension, fournir des systèmes d’irrigation et même favoriser l’accès à l’eau potable, un critère essentiel pour que les producteurs puissent obtenir la certification EurepGAP.18 Il y a cinq ans, le MCC aurait peut-être pu prétendre que les petits producteurs et les entreprises locales allaient pouvoir tirer profit de ce programme, mais aujourd’hui l’industrie de l’ananas ghanéenne est entièrement dominée par quelques sociétés étrangères.

Encadré 2 : Une récolte en or pour les grandes entreprises

L’industrie de l’ananas a décollé au Ghana dans les premières années du 21è siècle, quand les grandes entreprises ont commencé à voir l’Afrique comme une source secondaire d’exportations vers l’Europe, alors que les troubles politiques perturbaient l’approvisionnement venant de Côte d’Ivoire. Les exportations d’ananas du Ghana en Europe ont fait un bond en passant de quelque 20 000 tonnes en 2000 à environ 50 000 en 2004. Contrairement à ce qui se passait au Costa Rica, cette production n’était pas entièrement dominée par les grandes plantations appartenant ou dépendant de quelques entreprises transnationales. Les producteurs ghanéens et les négociants de taille moyenne fournissaient une part importante des exportations d’ananas du pays.19

Cependant en 2005, le marché européen du Ghana s’est effondré. Sans aucun signe précurseur, les détaillants européens, influencés par les groupes de pression des sociétés transnationales de l’ananas comme Dole et Delmonte, ont décidé de façon unilatérale de se mettre à acheter uniquement la variété MD2 (connue sous le nom de “Golden”) et de ne plus accepter la variété Sweet Cayenne en provenance du Ghana. Ils ont également commencé à réclamer avec plus d’insistance la certification EurepGAP à leurs fournisseurs . Les producteurs et les exportateurs d’ananas du Ghana n’ont pas pu faire face à ce changement brutal d’orientation : la certication EurepGAP comme la variété MD2 qui nécessite des plants plus chers et davantage d’intrants, étaient prohibitives pour eux. Ils ont donc dû fermer, et les grandes entreprises étrangères n’ont eu qu’à prendre la place.

En 2004, on comptait 65 exportateurs d’ananas au Ghana. Aujourd’hui presque tout le marché ghanéen des exportations d’ananas est aux mains de deux sociétés : Dole/compagnie Fruitière et HPW Services of Switzerland, qui est approvisionné par trois grandes entreprises sous-traitantes.20 Compagnie Fruitière, une compagnie dont le siège est en France et dont Dole possède 40 % a commencé à opérer au Ghana en 2003, en rachetant une plantation d’ananas locale. De 150 hectares au départ, elle est passée à 600 hectares en 2006 et prévoit de développer d’autres plantations sur les 3 000 hectares qu’elle affirme avoir acheté au Ghana pour y faire de l’ananas. Elle cultive également des bananes au Ghana et d’après les estimations, elle contrôle 88 % des exportations de bananes du pays et 40 % des exportations d’ananas frais (tous des variétés MD2). L’entreprise a un statut de “zone libre”, ce qui lui donne le droit à toutes sortes de mesures incitatives et de protection, y compris une exemption de l’impôt sur le revenu.21 D’autres multinationales s’apprêtent avec enthousiasme à suivre ses pas : Chiquita travaille directement avec le MCC pour essayer de s’introduire plus facilement dans l’industrie ghanéenne de l’ananas.22

 

Se servir de la loi contre la population : le cas du Mozambique

“Notre première tâche va être de faire de l’argent avec la terre elle-même…Nous pourrions, de façon idiote, décider de ne rien cultiver et je crois que nous ferions tout de même de l’argent dans les dix prochaines années” - Susan Payne, directeur général d’Emergent Asset Management, un fonds d’investissement du Royaume-Uni qui vise les terres arables au Mozambique et dans d’autres pays africains.23

 

Au Mozambique, où le MCC a un autre projet foncier important, on assiste à un boom des investissements étrangers dans le foncier qui encourage une véritable razzia sur les terres. La Banque mondiale estime que les demandes de concessions des dix-huit derniers mois concernent 13 millions d’hectares, dont plus d’un million ont fait l’objet d’un accord.24 Les droits d’usage et d’exploitation de la terre (DUAT),25 créés par la loi foncière mozambicaine de 1997 et qui sont censés être sévèrement contrôlés par l’État, sont actuellement distribués à tout venant, sans aucune transparence ni souci de supervision.

 

Les DUAT sont des droits d’occupation des terres alloués à perpétuité par l’État aux communautés, ou aux investisseurs (qu’ils soient étrangers ou locaux) sous forme de concessions à long terme (50 ans, avec option de renouvellement pour une nouvelle période de 50 ans), à condition que ces investisseurs fournissent et mettent en application un plan de développement économique ayant été approuvé. Selon la loi, les investisseurs ont aussi obligation de consulter la population locale, afin de confirmer que les terres sont bien disponibles et de monter des partenariats avec la communauté locale. Les gens se sont battus pour garantir que cette forme de protection accordée aux communautés soit inscrite dans la loi de 1997. Mais de plus en plus, des concessions sont accordées aux élites locales et aux investisseurs étrangers, sans le consentement du peuple.

 

Le MCC n’est pas opposée aux DUAT, même si ceux-ci ne sont pas à proprement parler des titres de propriété. La Banque mondiale, qui a une plus longue expérience dans le domaine de la réforme des lois foncières du Mozambique, semble également avoir décidé que c’est le mieux qu’elle puisse espérer pour l’instant, étant donné l’énorme résistance que rencontrent ses efforts pour établir des marchés fonciers commerciaux. Selon Jolyne Sanjak du MCC:

 

En travaillant avec le gouvernement, nous nous efforçons de garantir la sécurité de ces baux et l’efficacité du processus d’expiration et de transfert du bail... Au Mozambique, nous avons eu des discussions très intéressantes avec des avocats qui travaillent avec des clients qui cherchent des terres pour monter une affaire. Ils ont remarqué que les coûts initiaux de leurs clients pouvaient être entre 60 et 90 % plus élevés parce qu’ils ont dû courir après les renseignements avant de pouvoir établir si la terre à acquérir jouissait de droits d’utilisation garantis et officiellement reconnus.26

 

Autrement dit, le MCC a l’intention de modifier les lois nationales, la réglementation et les institutions qui gouvernent le pays, jusqu’à ce qu’il n’y ait quasiment plus de différence entre un DUAT et un droit de propriété. Plus spécifiquement, le MCC cible deux articles (les articles 15 et 16) des Règles de la loi foncière (Land Law regulation) pour aider les investisseurs à transférer plus facilement (c’est-à-dire à vendre) leurs DUAT ou les sociétés à transférer leurs DUAT en transférant la majeure partie de leurs actions, ce qui crée dans le système une faille très intéressante pour les investisseurs étrangers. Le MCC veut également modifier un autre article (art.18), de façon à permettre de renouveler les concessions automatiquement après les premières cinquante années.27

 

Pour changer les institutions, le MCC met en oeuvre une stratégie bien spécifique : il commence par des zones particulières et avance à partir de là. Le MCA-Mozambique a ainsi identifié au Mozambique du Nord ce qu’il appelle des “points chauds” dans douze “districts prioritaires”, dans lesquels ses projets d’infrastructures et d’agrobusiness attisent l’intérêt des investisseurs pour les terres agricoles.28 Il s’apprête maintenant à élaborer la carte et les limites de ces “points chauds” qu’il formalisera ensuite en enregistrant des DUAT “pour l’usage du secteur privé”.29 Une fois les cartes et les DUAT en place et l’information enregistrée dans le cadastre national, le MCA mettra en place des services destinés à fournir aux investisseurs des renseignements régulièrement mis à jour sur la disponibilité des terres dans les zones concernées et à les aider à obtenir des terres des communautés locales ou des personnes à qui le MCA a alloué les DUAT.

 

“Avec ce processus d’allocation des droits de propriété, les paysans vendent leurs terres dès qu’ils ont des difficultés financières et ce sont les femmes qui sont le plus affectées,” s’inquiète Diamantino Leopoldo Nhampossa de l’Union des Paysans du Mozambique (UNAC). “Les producteurs locaux ne sont pas du tout contents de ce qui se passe. Nous considérons la terre comme un bien commun.”

 

Les fermes béninoises ne sont plus qu’à un click de Wall Street

Le MCC a engagé deux firmes américaines, Chemonics et International Land Systems, pour développer la proposition du gouvernement du Mozambique sur le volet foncier de son Compact. Au Mali, c’est une autre firme américaine, CDM, qui a écrit l’avant-projet de la section du Compact concernant le foncier. Partout dans la conception et la réalisation des programmes fonciers du MCC, on reconnaît la main de ces firmes américaines qui ont toutes une grande expérience de la préparation du terrain pour les entreprises américaines, à travers les programmes de l’USAID. Au Bénin, une firme américaine supervise même le développement d’une politique foncière nationale dans le cadre du programme du MCC.

Le Compact du MCC avec le Bénin conditionne la distribution des fonds - dont des subventions importantes pour le développement du port de Cotonou - à l’acceptation d’un Livre Blanc qui est censé servir de base à l’établissement d’un nouveau Code Foncier. Le Compact indique très clairement à quoi ce nouveau cadre doit ressembler : Il “permettra de passer progressivement d’une gestion foncière coutumière et administrative au marché et à un système d’enregistrement des droits de propriété.” Pour s’assurer que tout se passe comme prévu, le MCA-Bénin a fait venir Stewart International pour superviser la rédaction du Livre Blanc.

Le Livre Blanc a été terminé récemment. Un consultant béninois, qui a pu observer le processus de l’intérieur, a avoué à GRAIN que l’étude penchait fortement en faveur des investisseurs étrangers et de l’agrobusiness. Les voix contradictoires ont été réduites au silence et en fin de compte, le Livre Blanc part du principe que les droits de propriété sont l’unique système d’organisation foncière possible dans le pays, écartant complètement les pratiques du droit coutumier, qui avaient pourtant été très clairement reconnues dans la loi nationale foncière de 2007. “Le livre Blanc, qui a pour but de mettre en usage partout les droits de propriété, propose un modèle importé qui n’est pas adapté au contexte social et économique du Bénin”, explique l’organisation Synergie Paysanne. “Il donne carte blanche aux multinationales et autres pouvoirs financiers”.

Pendant que le Livre Blanc est transformé en législation, le MCA-Bénin est déjà en train d’imposer l’usage des droits de propriété sur le terrain, dans certains districts. Comme au Ghana et en Mozambique, le MCC exploite l’espace généré par les récentes réformes foncières, qui avaient été supervisées par la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds, pour établir des cartes et des limites, enregistrer des droits de propriété et faciliter l’achat de terres aux investisseurs privés. Le programme interprète de façon perverse les clauses inclues dans la loi foncière béninoise de 2007 qui permettent aux communautés locales d’identifier et de définir de façon collective les droits fonciers dans leur région via des Plans Fonciers Ruraux (PFR). Pour les groupes comme Synergie Paysanne, les PFR sont des mécanismes très intéressants, qui permettent aux communautés de démêler les questions d’accès à la terre et d’améliorer les manières de distribuer droits et responsabilités, tout en tenant compte par exemple de questions de sécurité alimentaire, d’emploi, d’égalité entre les sexes et d’environnement. Cependant, dans les districts ciblés par le MCA, les PFR sont réduits à des exercices cadastraux qui divisent la terre en parcelles de propriété privée qui sont achetables et vendables sur le marché. Et le Livre Blanc a bien l’intention de généraliser cette pratique à travers tout le pays.30

Les investisseurs étrangers de l’agrobusiness sont ravis du programme du MCC. Roland Riboux, un homme d’affaires français, directeur général de l’entreprise d’agrobusiness Fludor, veut étendre le programme à tout le pays : “Si l’on veut que le développement se fasse, il faut que les gens puissent rapidement investir et que chaque portion du territoire béninois ait un propriétaire et que cela puisse être vérifié par un titre foncier,” affirme-t-il. “...Il faut que dans chaque commune, à la limite dans chaque département, il y ait un organisme qui s’occupe de mobiliser les propriétaires pour qu’aussi rapidement que possible chacun d’eux dispose d’un titre foncier.”31

Les petits agriculteurs béninois, eux, ne partagent pas son enthousiasme. “Selon nos analyses, explique Nestor Mahinou de Synergie Paysanne, MCA-Bénin est un outil permettant aux investisseurs d’avoir carte blanche. Depuis New York, un investisseur peut identifier un propriétaire terrien à Ouèssè ou à Djidja, parce que toutes les données sont numérisées concernant chaque domaine, chaque propriétaire terrien, son nom, sa localité, sa superficie et même le plan de son champ.”32

De fait, on constate une sorte d’effet ajouté entre l’intérêt croissant des investisseurs pour ce genre de transactions et le fait qu’ils aient à leur disposition les moyens logistiques de les réaliser. Au Ghana par exemple, la compagnie américaine d’assurance titres First American et une autre firme américaine, International Land Systems, sont à l’origine d’une initiative pilote de la Clinton Global Initiative et de la banque américaine de micro-crédit, Opportunity international. Cette initiative a pour but d’établir par satellite la carte des terres dans les quartiers pauvres d’Accra.33 Ensuite, Opportunity International aidera les habitants à acquérir une forme de titre paralégale qui peut être utilisée comme garantie pour les prêts. Une bonne façon de contourner le gouvernement pour créer un marché de la propriété qui opère avec la bénédiction d’une banque internationale liée à des investisseurs multinationaux.34 Les promoteurs essaient maintenant d’introduire leur projet dans les campagnes ghanéennes.

Dans le même temps, les investisseurs et entreprises responsables de la ruée sur les terres agricoles dans le monde utilisent déjà les technologies satellite pour identifier les terres à acquérir. El Tejar, une société argentine qui appartient en partie à des fonds de capital-risque américains et européens, explique ainsi :

"Pour évaluer une parcelle pour un éventuel achat ou une location, nous utilisons l’imagerie satellite et des données météorologiques antérieures afin de réaliser une première évaluation de la qualité et de la productivité de la terre. Nous essayons d’établir une carte exacte de la propriété, en déterminant sa topographie et le pourcentage utilisable pour la production agricole, en estimant les risques – d’inondation, de maladie ou de sécheresse, par exemple – et la qualité et la productivité du sol."35

Encadré 3 : Comment exporter la crise américaine des subprimes

Peu de gens au Bénin savent que Stewart International, l’entreprise qui pilote la réorganisation de la politique foncière du pays pour le MCA-Bénin, est une des plus grandes multinationales et qu’elle a des intérêts directs dans la marchandisation des terres africaines.36 C’est en effet l’une de plus grandes banques américaines d’assurance titres et de crédit hypothécaire et depuis quelques années, elle a mis en œuvre, dans le reste du monde, une politique d’expansion très agressive. Le conseil aux gouvernements, comme au Bénin dans le domaine foncier et immobilier, n’est pour la division internationale de l’entreprise qu’une activité secondaire, même si elle est en plein essor.37 Stewart International vend aussi les technologies requises par les systèmes de cadastre et d’enregistrement des terres, mais le cœur de ses activités est la vente d’assurances titres.

L’assurance titres a longtemps été un produit peu connu, confiné au marché immobilier américain, mais elle est en passe de devenir une industrie mondiale. Les investisseurs étrangers qui veulent acheter des propriétés dans les pays en développement veulent une assurance titres qui protège leurs investissements, s’ils ont à faire face à des conflits concernant la propriété ou les droits sur cette propriété. Ainsi Stewart vend une assurance titres spéciale aux Américains qui investissent dans les terres ejido au Mexique. Il s’agit de terres qui sont la propriété collective de communautés indigènes mexicaines et qui n’ont été que récemment ouvertes à l’acquisition pour des investisseurs externes, grâce à une modification des lois foncières nationales. Comme c’est souvent le cas des assurances titres dans les pays pauvres, les termes de l’assurance titres pour les terres ejido dépendent des lois américaines, et non de celles du Mexique.38

Très souvent toutefois, ce sont les prêteurs hypothécaires, et non pas les particuliers, qui réclament une assurance titres. La crise des subprimes de l’an dernier a démontré comment les banques américaines et autres organismes de prêts hypothécaires font des paquets de leurs hypothèques et les vendent comme sécurité sous le nom d’ “obligations hypothécaires garanties” (CMO). C’est ce qu’on appelle le marché hypothécaire secondaire. Depuis plusieurs années, l’industrie de l’immobilier tente de développer dans le monde ce genre de marchés. Mais ces marchés ne peuvent s’établir que dans des pays où la terre est régie par des titres de propriété privés et quand ces titres sont garantis par une assurance titres, de façon que les acheteurs de CMO aient un fort degré de confiance dans ces paquets d’hypothèques risqués. Stewart et les autres compagnies d’assurance titres fournissent en fait aux banques une assurance titres globale qui couvre entièrement leurs portefeuilles hypothécaires. “Stewart est au service des prêteurs hypothécaires : Nous évaluons et assurons des portefeuilles complets, de façon à les sécuriser et donc à permettre l’établissement d’un marché secondaire d’hypothèques dans un pays dont l’industrie financière est en cours de développement,” explique Stewart.39

À partir de là, on peut bien imaginer comment les requins qui ont fabriqué et profité de la crise américaine des subprimes pourraient rejouer le même scénario dans les pays du Sud, et même en Afrique. Les bénéfices sont potentiellement gigantesques. Entre 45 et 75 % de la richesse des pays en développement proviennent de la terre et de l’immobilier, et cette richesse est restée principalement inaccessible aux capitaux mondiaux.40 Stewart et les autres assurances titres américaines font partie intégrante d’un plan qui, avec les banques et les organismes financiers, essaie d’ouvrir ce marché en créant un “marché mondial de l’immobilier”, avec le soutien du MCC.

“Le MCC est très intéressé par l’idée de synchroniser les initiatives et de collaborer avec le secteur privé ; il peut aider à mettre en place les réformes juridiques qui mènent aux droits de propriété,” a insisté Jolyne Sanjack du MCC, lors d’une récente réunion de l’American Land Title Association [Association américaine des titres de propriété]. “Le but ultime est d’arriver à connecter davantage le marché mondial.” 41

 

Fermer la porte au MCC

Le MCC connaît une expansion sans fin et chaque année, de nouveaux pays signent des Compacts. Une longue liste de pays, en Afrique et ailleurs, attendent de devenir éligibles aux fonds du MCC. Mais ceci n’est pas une bonne nouvelle pour les fermes familiales. Les programmes du MCC n’ont rien avoir avec le soutien aux petits exploitants. Ils ont plutôt tendance à pousser les petits producteurs à vendre leurs terres, ouvrant ainsi la voie aux investisseurs qui sont alors en mesure de s’emparer, à des prix défiant toute concurrence, de terres agricoles fertiles pour y faire de l’agriculture industrielle ou même de la spéculation.42 De surcroît, les programmes du MCC ne sont que l’un des éléments d’un projet plus vaste visant à favoriser l’accaparement des terres par les grandes entreprises et impliquant une liste toujours plus longue d’agences nationales et internationales.

Tout est prêt par conséquent pour qu’une grande partie des terres actuellement utilisées par les pauvres pour produire des denrées alimentaires de façon durable pour la population locale puisse passer aux mains d’une élite de riches et d’investisseurs étrangers. Quand ils ne bloquent pas tout simplement les terres dans un but de spéculation, les nouveaux propriétaires exploitent les sols pour produire des marchandises agricoles destinées à l’exportation. Les enjeux sont énormes, et pourtant la plupart des gouvernements africains ne savent quoi inventer pour se faire bien voir des investisseurs et vendre les terres de leur peuple. Pratiquement aucun chef de gouvernement africain n’a eu le courage de s’indigner de l’actuel accaparement des terres dans le monde. Et très peu ont dédaigné les cadeaux empoisonnés du MCC ou des autres bailleurs de fonds.

Mais cela n’empêche pas les gens sur le terrain d’agir. La plupart des acquisitions de terres signées en Afrique au cours des deux ou trois dernières années ne sont encore pour l’instant que des accords de papier. Là où les accords ont été rendus publics ou quand les investisseurs ont essayé de s’introduire réellement sur les terres, ils ont rencontré une résistance locale farouche – de l’Éthiopie à Madagascar, en passant par le Mali ou le Kenya - (voir l’interview avec Ochalla; et l’article sur Endorois). Et au fur et à mesure que les populations locales entendent parler de ces accords, la résistance s’étend et les mouvements se rejoignent.

Il est grand temps que les pressions de la critique concernant le rôle des agences multilatérales (y compris les Nations unies et leur appareil de droits humains) et des groupes plus directement impliqués comme la Banque mondiale et sa Société financière internationale (IFC), s’exercent aussi sur les programmes nationaux d’aide au développement et le rôle qu’ils jouent aujourd’hui dans la ruée sur les terres. Le MCC symbolise de façon éloquente le genre de dégâts qui peuvent s’ensuivre. Il nous montre pourquoi nous devons travailler ensemble pour arrêter le désastre.

 

Lectures complémentaires :

Les nouveaux propriétaires fonciers – Les sociétés d’investissement en-tête de la course aux terres agricoles à l’étranger, GRAIN, À contre-courant, octobre 2009, http://www.grain.org/articles/?id=56

Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, les Rapports de GRAIN, octobre 2008, http://www.grain.org/briefings/?id=213

Farmland Grab: La crise alimentaire et l’accaparement des terres dans le monde. Ce blog contient principalement des articles d’actualité concernant l’achat ou la location de terres agricoles à l’étranger, une stratégie visant à assurer l’approvisionnement en denrées de base ou tout simplement à faire des bénéfices. Son objectif est de servir de ressource à tous ceux qui suivent ce qui se passe ou font des recherches sur le sujet, en particulier les militants des mouvements sociaux, les organisations non-gouvernementales et les journalistes. Le blog est géré actuellement par GRAIN mais n’importe qui peut y publier des articles ou l’améliorer : http://farmlandgrab.org/

Synergie Paysanne, Lecture critique du Livre Blanc du MCA–Bénin: Étude sur la Politique et l’Administration Foncières – “Projet Accès au Foncier”, 26 novembre 2009. Pour obtenir une copie, contacter : [email protected]

Déclaration des plates formes d’organisations paysannes membres du ROPPA, suite à l’atelier régional sur la sécurisation foncière des exploitations familiales à Ouagadougou le 13 avril 2008: http://www.roppa.info/IMG/pdf/Declaration_roppa_atelier_french.pdf

Le site Internet du Hub Rural contient une quantité de documents sélectionnés et d’articles d’actualité sur les questions foncières en Afrique, en particulier en Afrique de l’Ouest. http://www.hubrural.org/spip.php?rubrique15

Millennium Challenge Corporation website: http://www.mcc.gov/

 

Références :

 

1 Selon Philippe Lavigne Delville, anthropologiste au GRET (France), “l’essentiel des terres rurales demeure géré selon des principes et procédures locales.” Cf. Philippe Lavigne Delville : Transition de la tradition à la modernité: Défis et progrès récents. http://www.landcoalition.org/pdf/wbtdelvf.pdf)

2 Déclaration des plates-formes d’organisations paysannes membres du ROPPA, suite à l’atelier régional sur la sécurisation foncière des exploitations familiales à Ouagadougou le 13 avril 2008: http://www.roppa.info/IMG/pdf/Declaration_roppa_atelier_french.pdf

3 “JICA development model to encourage increased agricultural production in Africa”, Japan International Cooperation Agency, 17 March 2010: http://farmlandgrab.org/11756; “Liberia: GOL, Golden Veroleum in US$1.6bn negotiation,” Liberian Observer, 12 January 2010: http://farmlandgrab.org/10208

4 Alexander Main and Jake Johnston, “The Millennium Challenge Corporation and Economic Sanctions: A Comparison of Honduras With Other Countries”, Center for Economic and Policy Research, Issue Brief, August 2009: http://www.cepr.net/documents/publications/mcc-sanctions-2009-08.pdf

5 André Teyssier, Landry Ramarojohn et Rivo Andrianirina Ratsialonana, “Des terres pour l’agro-industrie internationale ? Un dilemme pour la politique foncière malgache” EchoGéo, No. 11, February 2010: http://farmlandgrab.org/11420

6 GTZ, Foreign Direct Investment (FDI) in Land in Madagascar, December 2009.

7 Millennium Challenge Corporation–Mali, Alatona Agricultural Systems Development Project: Final Report, Prepared by CDM, July 2007.

8 Ibid.

9 Le Syndicat des exploitants agricoles de l’Office du Niger (SEXAGON) a été créé en 1996. Il représente aujourd’hui plus de 12 000 paysans dans la région.

10 Millennium Challenge Corporation–Mali, Alatona Agricultural Systems Development Project: Final Report, Prepared by CDM, July 2007.

11 En anglais : West-African Economic and Monetary Union (WAEMU).

12 En anglais : Economic Community of West-African States (ECOWAS).

13 AGTER, “Appropriation et concentration de droits fonciers à grande échelle-Le cas du Mali”, janvier 2010: http://farmlandgrab.org/10462; Chantal Lavigne, “Mali : La ruée vers les terres,” reportage vidéo, Une heure sur terre, Radio Canada, 12 March 2010: http://farmlandgrab.org/11739; Via Campesina, Libyan land grab of Mali’s rice-producing land, 10 September 2009: http://farmlandgrab.org/7483

14 For further details see, SOS Faim, “Mali – Office du Niger: Can the farmers’ movement push back agribusiness?”, Farming Dynamics, No. 20, April 2009.

15 Implementing Entity Agreement by and between the Millennium Development Authority and the Ministry of Lands, Forestry and Mines, 18 September 2007.

16 Par l’intermédiaire du Ministre, soutenu par le MiDA, l’instrument législatif 1914 a été adopté par le Parlement pour déclarer le district Awutu Senya comme zone d’enregistrement pilote, en accord avec la clause de la loi PNDC 152 sur l’enregistrement des droits de propriété. La section 5 de la loi PNDC 153 donne pouvoir au Ministre de déclarer, via un instrument législatif, une zone comme district d’enregistrement, de façon que l’allocation des droits de propriété puisse avoir lieu dans la région ainsi délimitée.

17 Vo

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