André Teyssier : «La gouvernance foncière en débat face aux appropriations de terres à grande échelle»

CIRAD | 21 mai 2010

André Tessier

Propos recueillis par Antoine Labey

Les appropriations de terres agricoles à grande échelle par des États ou des entreprises posent de façon aigüe et urgente la question de la reconnaissance des droits sur la terre des exploitations familiales. Entretien avec André Teyssier, spécialiste des politiques foncières au Cirad, qui a participé à la dernière réunion de la Banque mondiale sur le foncier, fin avril 2010 à Washington.

Où en est le débat sur l’appropriation à grand échelle des terres agricoles dans les pays du Sud après la conférence de la Banque mondiale sur le foncier, fin avril ?

André Teyssier : La conférence annuelle de la Banque mondiale sur la gestion et les politiques foncières, fin avril à Washington, a attiré cette année plus de monde que d’habitude. Le phénomène d’acquisition des terres à grande échelle a en effet pris de l’ampleur suite aux tensions sur les marchés des denrées alimentaires en 2007. Des pays importateurs de produits alimentaires ont alors voulu sécuriser leurs approvisionnements en tentant de contrôler, avec plus ou moins de succès, des terres agricoles dans les pays en développement. C’est surtout le cas de pays qui manquent de terres arables comme les pays du Golfe ou la Corée du Sud.

Cette question de l’appropriation de terres à grande échelle par des pays ou des entreprises étrangères fait actuellement l’objet de controverses. D’un coté, un discours libéral évoque, non pas des appropriations, mais des investissements qui vont contribuer à dégager le monde rural de la pauvreté. L’enjeu est alors de concevoir des cadres réglementaires souples et attractifs, favorables à l’accueil des investisseurs. Face à ce discours, différentes organisations mettent en avant la préservation des droits des populations locales sur les terres qu’elles habitent et cultivent. Pour ces organisations, soutenir les exploitations demeure le moyen privilégié pour réduire la pauvreté en milieu rural. Elles souhaitent la mise en place de dispositifs publics de reconnaissance officielle et de protection de leurs droits sur la terre, face à la concurrence, réelle ou attendue, des investisseurs étrangers. Pour sa part, la FAO a lancé une grande initiative sur la gouvernance foncière tandis que la Banque mondiale est en train d’édicter sept principes pour des investissements responsables dans l’agriculture.

Que faire, selon vous, pour officialiser et sécuriser les droits des exploitations familiales sur leurs terres ?

A. T. : Cette question amène à s’interroger sur la nature des droits à protéger et sur les dispositifs administratifs qui peuvent s’en charger. Les situations et donc les réponses varient fortement d’un pays à l’autre, notamment en fonction de l’organisation politique et administrative des Etats, du niveau de décentralisation et de la capacité des administrations à prendre réellement en charge un système de gestion foncière opérationnel et adapté au contexte. Il est aujourd’hui permis de réfléchir à des dispositifs de gestion foncière qui ne se limitent plus aux seules administrations déconcentrées. Les collectivités locales, les communes, les organisations coutumières comptent parmi les acteurs quotidiens de la gestion foncière. Par ailleurs, le titre foncier n’est plus à considérer comme le seul et unique document de reconnaissance de droits, qui bien souvent, recouvrent des réalités plus complexes que la seule propriété privée. Il importe aujourd’hui de mettre à disposition des exploitations familiales des documents écrits garantissant leurs droits sur le sol facilement accessibles et à un coût acceptable. A Madagascar, par exemple, avant la réforme foncière, un titre de propriété coûtait 500 dollars et nécessitait un délai d’obtention de six ans. Du coup, évidemment, seuls les plus fortunés pouvaient aller jusqu’au bout de la démarche. La réforme a accordé aux communes le droit de délivrer des certificats fonciers selon des procédures publiques et contradictoires. Désormais, les communes malgaches délivrent un document d’une valeur juridique proche du titre foncier pour 20 dollars seulement, dans un délai de six à neuf mois. Il faut aussi éviter les « opérations commandos » d’enregistrement des terres qui consistent à distribuer des titres de propriété à la suite d’un inventaire foncier, sans prévoir un système pérenne d’actualisation de ces documents fonciers.

Comment le Cirad s’implique-t-il dans ce vaste processus ?

A. T. : Le Cirad se mobilise de plus en plus sur les questions foncières. Un poste « politique et sécurisation foncière » a été créé en janvier dernier au sein de l’UMR Tétis. Il a été confié à Perrine Burnod qui a déjà beaucoup travaillé sur ces questions et a contribué à la préparation de la « Journée foncier » que le Cirad a organisée début septembre 2009 à Montpellier. Cette journée a d’ailleurs permis de faire un premier point sur les connaissances acquises sur ce phénomène d’appropriation des terres à grande échelle afin de mieux cerner la réalité des projets et d’analyser leurs effets au niveau local et national.

Aujourd’hui, nous voulons poursuivre cette dynamique en renforçant notre proximité avec les institutions montpelliéraines intervenant sur cette thématique par le montage d’un pôle de compétences à Montpellier avec l’IRD*, l’IAM** et Montpellier Sup Agro. Cette mise en synergie des compétences sur le foncier devrait permettre au Cirad et à ses partenaires de renforcer leur capacité de soutien aux acteurs du Sud pour les aider à mettre en place les politiques foncières dont la nécessité est aujourd’hui évidente.

* Institut de recherche pour le développement

** Institut agronomique méditerranéen de Montpellier
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