L'accaparement des terres en Afrique, une nouvelle forme de colonisation

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ENDA Pronat | 21 Janvier 2011

Depuis quelques années, l'Afrique fait face à un nouveau type d'acharnement. Cette fois-ci, ce sont les terres les plus fertiles qui font l'objet d'un accaparement calculé de la part des pays industrialisés et des hommes d'affaires nationaux. Aujourd'hui, le phénomène est devenu une menace réelle pour l'économie des pays pauvres. MariamSow, coordinatrice du Programme Protection Naturelle de ENDA, nous livre dans cette interview exclusive les dangers et les conséquences de cette nouvelle rué vers les terres de l' Afrique en général et du Sénégal en particulier.

Perspectives : Quelle définition faites-vous de l'accaparement des terres?

L'accaparement des terres peut être défini comme un processus qui cherche à récupérer des mains de ceux qui exploitent la terre, cette ressource que Dieu a mis à notre disposition . On voit des terres affectées à des personnes qui ont des ressources et qui les valorisent à leurs noms propres au détriment des populations. Donc pour moi, même la loi sur le domaine national, si elle n'est pas bien porté par les populations, donne l'opportunité aux personnes plus nanties que ces populations rurales, d'organiser des formule de récupération. Nous sommes entrain de vivre la situation juste à coté de Dakar, dans la zone des Niayes. Aujourd'hui même pour trouver ou habiter c'est un problème. Les grands fonctionnaires prennent les terres et en font des vergers. Donc cela est un processus d'accaparement des terres. Toujours au Sénégal, les plans tels que la Goana ou le Reva sont des formules qui favorisent ce phénomène. Quand on dit aux gens que les terres sont là et trouver des moyens pour les exploiter, c'est sûr que c'est ceux qui ont les moyens qui vont en profiter au détriment des paysans à qui appartiennent ces terres. L'état doit mettre en place des programmes de développement durable qui permettent de valoriser les systèmes de production au lieu de demander aux ministres qui sont supers riches à venir prendre la place des producteurs, les outils et faire le travail des cultivateurs. Des pays ont des problèmes de sécurité alimentaire chez eux et viennent prendre nos terres, y cultiver et ramener le produit chez eux au détriment de nos propres populations.

Aujourd'hui beaucoup de pays sont concernés, on peut citer entre autre le Mali, la Tanzanie, le Madagascar , le Kénya, l'Ethiopie. C'est tout un ensemble de pays qui sont dans la même situation. Et celle-ci est tellement grave que si on ne fait pas attention, c'est une nouvelle colonisation que le monde rural et les villes vont vivre dans les décennies à venir, si on laisse le processus se développer. Et c'est dommage que l'Afrique qui regorge aujourd'hui d'intellectuels, puisse prendre le risque de voir ses petits fils venir demain et trouver que même les terres appartiennent aux nouveaux colonisateurs.

L'accaparement des terres observé à l'est et au centre pourrait-il se généraliser à tous les pays d'Afrique?

Moi, je crois que ça risque d'arriver en Afrique de l'ouest. Par exemple si on considère ce qui se passe au Mali avec l'office du Niger. Le problème est déjà là avec la Libye. Ici au Sénégal dans certaines zones avec la problématique du jatropha, des centaines d'hectares sont données or en réalité la personne n'exploite pas au delà de 5 hectares, le cas de Mbane est là pour servir d'exemple. Il y a des articles de presse qui disent que toute la vallée du fleuve Sénégal allant de Saint Louis jusqu'à Bakel est menacée par l'Arabie Saoudite. C'est une ONG canadienne qui a divulgué l'information.

L'article dit même qu'il y a des hommes d'affaires Sénégalais qui travaillent en cachette avec l'Arabie Saoudite pour faire du riz dans cette zone là. Ces derniers comptent s'accaparer non seulement des terres libres mais aussi celles qui sont déjà entrain d'être utiliser par les paysans pour la bonne et simple raison que les cultivateurs n'ont pas assez de moyens pour mettre en valeur toutes les terres. Donc le problème est déjà présent ici. A mon avis, il faut trouver des mécanismes pour partager toutes ces informations avec les populations pour que la presse, la société civile, prennent conscience de cette menace et qu'on en parle. Nous avons peur pour le petit producteur. Nous pensons que la démarche qui est mise en oeuvre vise carrément à faire disparaître les sociétés paysannes.

Au delà des enjeux alimentaires, n'y aurait-il pas d'autres intérêts liés à la culture des biocarburants et l'exploitation des ressources minéralières?

Moi, je crois que nos intellectuels se contredisent. Le développement qu'ils théorisent, ils ne cherchent pas à l'enraciner à partir de l'existant, à partir de notre civilisation. Les gens ont évolués dans les terroirs et qui dit terroir dit zone d'habitation, dit zone de culture, des zones de parcours de bétails, qui dit terroir dit aussi des zones ou on a la possibilité d'exploiter d'autres ressources naturelles que cela soit des ressources forestières ou minérales. Donc si on considère ce contexte, on allait pas promouvoir des systèmes qui cherchent çà détruire tout cela. Déjà, nos aïeuls qui ont implanté ces terroirs ont toujours eu ces soucis là. Maintenant, on a toujours l'impression qu'on a assez de terres, assez de ressources qu'on peut en donner, qu'on peut en vendre et qu'on peut même recevoir des gens d'autres pays, en plus de notre générosité par rapport à ces fléaux. Rien que dans le Diender, les gens rencontrent des difficultés pour trouver des terres ou ils peuvent habiter. Car, effectivement des gens qui ont des problèmes d'espace et qui habitent sur l'eau, s'ils ont la possibilité de trouver des terres, de produire leur biocarburants, ils ne vont pas hésiter à s'en emparer.

L'accaparement des terres peut-il avoir un impact sur la vie des populations en termes d'exploitation et de rentabilité?

L'accaparement des terres en tout cas pour nous ici,reste un processus qui ne fait qu'appauvrir. Il ne sert qu'à séparer carrément les populations de leurs terroirs. Donc, cela n'apporte rien à ces populations. Le fait de dire que cela va créer de entrepreneuriat n'est pas vrai.Ils seront des ouvriers agricoles très mal payés. Ils ne pourront pas envoyer leurs enfants à l'école ou au dispensaire. Ils ne pourront jamais voyager quand ils le veulent.Ils ne pourront jamais atteindre l'autosuffisance.l'accaparement des terres ne va en aucun cas enrichir les populations encore moins le pays. Il enrichit plutôt les autres pays. C'est plutôt de la fuite des richesses.

Comment peut-on sécuriser la terre aujourd'hui au Sénégal?

Pour sécuriser la terre, il faut arriver à reconnaître aujourd'hui qu'il y a environ 50 à 60% de la population qui ne peut vivre que de l'agriculture et reconnaître que l'agriculture est un levier de développement. Il faut aussi que l'Etat accepte d'élaborer des politiques agricoles très claires et nettes. Il faut aussi qu'il accepte de soutenir cette agriculture en termes de moyens, de formation, d'organisation du marché local et même du marché sous régional. Il faut qu'il se dise qu'il doive nourrir sa population à partir de sa propre production. Mais aussi soutenir l'élevage national à partir de la race locale, qui a sa valeur au lieu de penser à des inséminations et autres qui vont régler le problème. Dans la même optique, il faut qu'il reconnaisse les petits producteurs, qu'il les écoute, qu'il sache qu'ils ont des idées et des capacités d'innovations.

Et la loi sur le domaine national dans tout cela?

Exactement! Il semble que les pays de la CEDEAO qont entrain de réfléchir pour mettre en place des processus qui accompagnent toute une réforme foncière au niveau des pays membres. Là également, je crois qu'il faut être clair, il faut voir comment les terres ont été exploitées traditionnellement. On parle de donner des titres fonciers aux producteurs ou bien en tout cas à ceux qui détiennent les terres. Le fait de parler de cela et d'organiser sous une autre forme l'accaparement des terres , va pousser ceux qui ont déjà pris le gros morceau à sécuriser leurs terres. Donc, on va se retrouver dans la même situation qu'à Sangalkam ou, ce sont les colons qui avaient pris des terres qui sont arrivés à trouver des titres fonciers. Donc ceux qui ont des moyens vont trouver des titres avec des hectares et des hectares à leur profit, alors que les paysans qui considèrent la terre comme un bien commun peuvent la perdre. Maintenant, si on change tout cela et qu'on donne un titre foncier à un paysan qui n'a pas des moyens d'exploitation pour ces terres , ni un marché sécurisé et qu'on lui permette de prendre un prêt à la banque ou de pouvoir le vendre alors qu'il n'a jamais vu 500 000 f CFA comptant et, qu'il sait qu'il peut vendre cinq hectares à 2 000 000 f CFA , il va vendre par appât du gain. C'est comme si on cherchait à marchander les terres. Et je crois que c'est très grave. Je ne partage pas cette façon de faire.

La FAO considère l'accaparement en Afrique comme une perspective de développement. Partager cet avis?

Moi je ne comprend pas la FAO. Elle se bat pour la souveraineté alimentaire. Comment aujourd'hui l' Arabie Saoudite cherche des milliers d'hectares de terres pour produire du riz et que 70% de ce riz est exporté chez eux et que c'est seulement 30%qui resteront au Sénégal. Comment devant ces phénomènes, peut-on dire que l'accaparement des terres est une réponse à la sécurité alimentaire? A moins qu'on continue à croire que la sécurité alimentaire n'est rien d'autre que ramasser des vivres un peu partout et les distribuer aux populations. Mais, si elle est considérée comme une souveraineté à laquelle la population à droit, on doit aider ce peuple là soutirer de la production pour vraiment arriver à l'autosuffisance. Je ne vois pas l'accaparement des terres comme une perspective pour vraiment aider les populations à atteindre l'autosuffisance.

Y a t-il une distinction entre accaparement des terres et spéculation foncière?

Je pense que ces deux termes signifient la même chose. C'est comme on dirait bonnet blanc_ blanc bonnet. C'est toujours un bonnet. La spéculation des terres peut se faire par les paysans eux-même. L'accaparement tel que vu aujourd'hui, est la même chose. C'est juste que la dernière appellation fait référence à des superficies énormes mais au fond c'est pareil.

Quelles sont les conséquences à moyen et long terme de ce problème?

C'est qu'on va se retrouver avec des paysans sans terres.

Quelle est la solution face à cette accaparement des terres en Afrique en général et au Sénégal en particulier?

Il faut d'abord que les populations concernées soit conscientes de la situation. Qu'elles arrivent aujourd'hui à comprendre ce qui les guettent. Il faut qu'elles aient, cette vision prospective de leur propre terroir, que cette vision soit renforcée. Il faut également que cette population se donne un projet pour la durabilité. Il faut arriver à développer cette prise de conscience chez les populations.

Dissa PREIRA
Hebdomadaire d'informations Économiques et Financières
www.perspectivesjournal.com

Semaine du 20 au 27 Janvier 2011

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