La Suisse et l’accaparement des terres

Domaine Public | 26 mai 2011

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Depuis la crise de 2008, le phénomène du landgrabbing – l’accaparement de terres dans les pays en développement – a pris de l’ampleur, surtout à cause de l’intérêt de plus en plus marqué du secteur financier pour les investissements agricoles.

Les terres fertiles font désormais partie des portefeuilles d’investissement et hedge founds proposés par les banques. Ces achats peuvent être purement spéculatifs, dans l’attente d’une augmentation de la valeur des terrains. Ou l’acheteur investit pour tirer profit d’une production agricole.

Dans une récente interpellation, la conseillère nationale verte Maya Graf demande que la Suisse prenne des mesures pour limiter ce genre de pratiques. La Suisse en tant qu’Etat ne participe pas directement à cet accaparement. Mais elle abrite de nombreuses sociétés actives dans ce domaine.

Les sociétés qui achètent des terres pour des projets de production

Ce sont des sociétés actives directement sur le terrain, dans la production d’agrocarburants par exemple. C’est le cas d’Addax Bioenergy, société basée à Genève. Elle a investi dans un projet en Sierra Leone qui prévoit, sur 10’000 hectares de terres fertiles, de cultiver de la canne à sucre pour produire des biocarburants à destination du marché européen.

Le gouvernement a signé avec l’entreprise un contrat très favorable à cette dernière, notamment en matière fiscale. Si, selon ses promoteurs, le projet doit contribuer au développement agricole local, il provoque néanmoins l’inquiétude des organisations de lutte contre la faim et de défense des paysans.

Si l’activité d’Addax est discutable au regard de la famine qui frappe ce pays, il faut noter tout de même les efforts de la société suisse en matière d’information. Les études d’impact économique et social qu’elles a commandées montrent toutes les limites et les risques du projet.

Glencore, cotée en bourse depuis quelques jours, est leader mondial de l’extraction de minéraux, métaux et du commerce de matières premières. Elle possède déjà 300’000 hectares de terres agricoles dans le monde.

Les sociétés liées au commerce de matières premières

D’autres sociétés basées en Suisse agissent beaucoup plus dans l’ombre, ce qui rend difficile le travail de vigilance. L’exemple de la société zougoise Multigrain AG (MAG), cité dans un rapport d’une ONG spécialisée, montre le jeu complexe qui se cache derrière ce genre d’activité et qui lie l’accaparement de terres au négoce de matières premières.

MAG est active dans la production, la distribution, le transport de céréales d’origine brésilienne. En 2007, par sa filiale brésilienne Multigrain SA, elle a joué le rôle d’intermédiaire pour la société japonais Mitsui dans l’achat de 100’000 hectares de terres brésiliennes. Récemment Mitsui a annoncé l’achat de nouvelles parts de MAG appartenant à d’autres sociétés basées en Suisse (la CHSIH SARL de Petit-Lancy et la PMG Trading AG de Zoug), devenant ainsi propriétaire de la société suisse et de toute cette filière de sociétés actives dans l’achat de terres et dans le commerce de céréales.

Le but de ces investissements est évident: l’augmentation de la population mondiale et la croissance de la demande de céréales permettent d’espérer de considérables profits. Ainsi à travers MAG, Mitsui peut devenir un acteur important dans le marché des céréales et dans l’achat des terres brésiliennes«destinées à la production céréalière pour les marchés asiatiques».

Les banques et les fonds d’investissement

Dans un rapport de Pain pour le prochain (PPP), Yvan Maillard Ardenti, responsable du secteur finances internationales et corruption, explique l’implication du secteur financier helvétique: on cible des investissements dans l’agriculture, surtout là où il y a de fortes possibilités de profits, et on les propose ensuite sous forme de fonds. Global Agri CapGAIA World Agri Found, Man Investissent sont des exemples des fonds établis en Suisse.

Ces investissements génèrent cependant de graves problèmes aussi bien environnementaux que sociaux, comme dans le cas de l’huile de palme et des agrocarburants. UBS et Credit Suisse, par exemple, ont participé en 2009 à l’émission d’actions pour le compte de Golden Agri-Resources (GAR), l’un des plus grands producteurs d’huile de palme au monde et holding de la très critiquée société indonésienne Sinar Mas Group. Selon l’étude de PPP, deux autres importantes banques privées, Sarasin et Pictet, sont directement actives dans l’achat de terres: elles investissent dans des sociétés, comme COSAN, le plus grand producteur de sucre brésilien, actif dans ce genre de pratique.

L’agriculture est de plus en plus attractive et rentable pour les investisseurs. C’est un véritable or vert qui garantit d’importants taux de profits aux placements financiers. Ces pratiques ont cependant des conséquences importantes dans les pays en développement qui sont, encore une fois, dépouillés de leur principale richesse: la terre. La difficile situation alimentaire impose que ce genre de pratique soit réglementée et surveillée.

En Suisse, pays qui n’est pas à l’écart de ce phénomène, l’interpellation parlementaire de Maya Graf ouvre le débat politique sur cette question. La coopération suisse au développement est active dans le financement d’ONG qui demandent au moins l’introduction d’une code de conduite imposant aux entreprises un certain nombre de critères à respecter, notamment en matière de fiscalité et de négociation des contrats d’exploitation. Les banques et les investisseurs privés (caisses de pensions p.ex.) devraient aussi attester que l’argent employé ne contribue pas à priver les populations locales de l’accès à leurs terres.

Cependant, la question de l’accaparement des terres doit être débattue et réglementée au niveau international, en intégrant la question des agrocarburants et de la spéculation sur les matières premières

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