En Sierra Leone, des communautés trahies par une entreprise suisse

Le Courrier | 09.07.2011

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Makeni, Sierra Leone


Par Chloé Trieu

AGROCARBURANT • Des enquêtes d’ONG confirment que le projet de la société Addax Bioenergy dans la région de Makeni ne profite pas aux populations locales.

Un demi-kilomètre carré de terres cultivables loué pour une durée de 50 ans à des paysans pour 12 dollars par an. Une production annuelle d’agrocarburant de 90 000 mètres cubes; 4000 emplois promis, 700 au final. Des cours d’eau détruits, des communautés trahies. Voilà ce que révèle l’étude réalisée en partie par Pain pour le prochain (PPP) sur l’implantation d’Addax Bioenergy en Sierra Leone.

Cette entreprise suisse, présidée par Jean-Claude Gandur, s’est installée dans la région de Makeni dans le but de produire du bioéthanol à base de canne à sucre1. Un projet alléchant qui s’est d’emblée voulu exemplaire. Addax Bioenergy a su vendre l’affaire aux autorités locales en promettant aux communautés des emplois et de bons salaires mais surtout la sécurité alimentaire.

La faim s’installe

Dans ce pays pauvre et non autosuffisant pour son alimentation, produire du carburant agricole peut pourtant paraître suspect. «Un projet ne peut se prétendre en faveur des paysans et durable quand il entraîne le déplacement de ces derniers de leurs terres pour y produire du bioéthanol», réagit Yvan Maillard Ardenti. En 2010, ce responsable «marchés financiers, dettes et corruption» chez PPP organise un symposium pour s’informer au mieux des moyens déployés. Malgré les promesses d’Addax Bioenergy en matière de transparence, PPP décide d’envoyer deux chercheurs du Ghana, «indépendants et expérimentés», sur le terrain pour rencontrer les communautés et recueillir des témoignages. L’enquête réalisée en collaboration avec le Réseau sierra-léonais pour le droit à l’alimentation (SILNORF) est publiée le 15 juin à Freetown. Elle démontre que les communautés sont loin d’être satisfaites des avancées des travaux.

Pour mener à bien son projet, Addax Bioenergy a loué 57 000 hectares de terres agricoles. La plantation de canne à sucre occupe à elle seule 10 000 hectares, auxquels s’ajoutent la raffinerie d’éthanol, les bureaux et la centrale électrique. Les 2000 hectares restants sont organisés en soixante champs communautaires, réservés aux besoins alimentaires des 13 617 personnes vivant dans cette région. Impossible de savoir si cette parcelle peut suffire à alimenter les paysans puisqu’il n’y a pas eu de récolte l’année dernière, explique Yvan Maillard Ardenti. En effet, Addax Bioenergy a reconnu que le labourage et le hersage, qui sont à sa charge, ont été réalisés trop tard, provocant une réelle insécurité alimentaire. Cette année, l’entreprise s’y est pris à temps,  mais les paysans se retrouvent face à un autre problème. Incapables de se procurer des engrais, ils risquent de voir leurs rendements s’amenuiser.

L’enquête a révélé d’autres failles. Certains cours d’eau auraient été détruits ou détournés, obligeant les femmes à parcourir plusieurs kilomètres pour trouver de l’eau potable.

Emplois précaires

L’entreprise avait promis 4000 emplois dont une moitié de temporaires. Au lieu de cela, seulement 700 personnes ont été employées, dont 600 en emploi à durée déterminée (CDD). «Cela comporte un risque car les CDD sont synonymes de précarité et s’achèvent après la période agricole, laissant les travailleurs sans activité et sans revenu», explique le représentant de PPP.

Le prix des denrées alimentaires a cruellement augmenté depuis la mise en place de ce projet, les terres réservées à l’agriculture se faisant rares et les récoltes s’amoindrissant.

Une autre ONG canadienne, Oakland Institute, s’est penchée sur l’affaire et a rencontré des villageois pour leur donner la parole. «Ils sont arrivés ici et nous ont affirmé qu’ils nous sortiraient de la pauvreté. Au lieu de ça, ils la renforcent», se désole un jeune homme du village de  Lungi Acre.

Pour sa part, Addax Bioenergy affirme avoir respecté ses promesses et prône la transparence. Lors d’un échange d’e-mails avec une agence de communication mandatée par Addax, celle-ci fait remarquer que le projet n’en est qu’à ses débuts. «Il sera opérationnel en 2013.» De plus, les sept banques de développement africaines et européennes qui ont accordé un prêt de 310 millions de francs à l’entreprise lui auraient imposé 130 critères de durabilité, affirme Nicolaï Germann, directeur de projet, dans Le Matin Dimanche du 19 juin2. «Certes, le prix de location est peu élevé, mais Addax a investi 300 000  dollars pour financer les cahutes, les arbres fruitiers et autres palmiers sur les terres des paysans», se félicite-t-il.

Pour ce qui est des cours d’eau qui auraient été endommagés, Addax dispose d’une clause contractuelle lui permettant de modifier leur écoulement. Pas question donc de l’amender à la demande de PPP. «En Sierra Leone, il tombe 2500 mm d’eau par an; ce ne sont pas les 2% du volume d’eau annuel provenant de la rivière Rokel et utilisés pour le projet qui poseront problème», tranche la société de communication.

1 Lire Le Courrier du 26 novembre 2010.
2 Nicolaï Germann n’a pas pu répondre à nos interrogations car il était en déplacement en Sierra Leone.

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