Accaparement des terres et firmes multinationales.

Original_mathieupedriault
Mathieu Pedriault
aGter | octobre 2011

Accaparement des terres et firmes multinationales. (Mathieu Perdriault)

Un point sur le cadre légal et ses faiblesses.

Michel Merlet

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Cet article, publié en septembre 2011 en Equateur en espagnol et sous une forme abrégée par la revue Tendencia, présente une analyse synthétique des liens entre accaparements des terres et des ressources naturelles et entreprises multinationales. L’auteur y compare les principales positions et propositions mises en avant à ce jour pour faire face aux problèmes posés par ces phénomènes.

A la veille de la réunion du Comité Sécurité Alimentaire (CFS en anglais) et de la poursuite de la discussion autour des Directives Volontaires de la FAO sur les ressources naturelles, ce rappel est indispensable. Les textes et propositions en débat aujourd’hui sont en effet encore loin d’intégrer tous les éléments nécessaires pour pouvoir déboucher sur de véritables solutions.

Mathieu Perdriault souligne que les diverses orientations proposées se distinguent par un rapport différent à l’idée de souveraineté. Nous reprenons ci-dessous de larges extraits de son article, téléchargeable dans son intégralité sur cette page.

La position de la Banque Mondiale, de l’OCDE, des investisseurs

Pour la Banque mondiale, l’Organisation pour la Coopération Économique et le Développement et de très nombreux investisseurs, les groupes privés ne doivent pas se voir assigner d’obligations autres que les engagements pris dans les accords et contrats d’investissement et les règles fixées par les lois nationales à leur égard.

Les agissements des entreprises ne doivent être infléchis, hors de ces cadres, qu’à la faveur de leur bon vouloir. Il faut s’en remettre aux « codes de conduites » volontaires auxquels ils pourraient choisir de souscrire , et à la vigilance des opinions publiques dont les dénonciations seraient, selon cette approche, le meilleur garant de l’amélioration des comportements des investisseurs. Le « risque réputationnel » est envisagé là comme un régulateur universel imparable. La plupart des sous-traitants, parce qu’anonymes, n’ont pourtant par grand chose à en craindre. Les sociétés-mères célèbres savent, elles, convaincre qu’il leur est impossible de contrôler toutes les entreprises avec lesquelles elles traitent…

On peut dire de cette approche, au vu du résultat auquel conduisent les cadres actuels, qu’elle vise à permettre à la firme multinationale et à l’investisseur d’exercer une véritable souveraineté par-delà les frontières !

Les positions de la Société Civile

Un certain nombre d’autres acteurs, et en particulier de nombreuses organisations de la société civile estiment, en revanche, qu’il est aberrant et scandaleux que le droit et les garanties de l’investissement relèvent d’une justice « dure » et obligatoire (à laquelle les États ne peuvent pas se dérober), quand l’exercice des droits humains fondamentaux n’est pas effectivement protégé et ne relève que d’un « droit mou ». L’indignation suscitée par cette situation conduit à des propositions qui découlent de deux appréciations différentes de la souveraineté.

    * Pour les uns, il ne s’agirait que d’affirmer des souverainetés nationales. Les États, les pouvoirs politiques nationaux, doivent reprendre chacun la main sur les puissances économiques et s’imposer face à l’influence des puissances politiques extérieures. L’action politique citoyenne, les mouvements sociaux, doivent obtenir qu’une volonté collective nationale s’impose aux acteurs économiques privés et aux autres États. Cette vision poursuit l’idéal d’une soustraction absolue de la nation à toute condition externe. Cet idéal ne semble, par ailleurs, pas incompatible, dans l’esprit de ses tenants, avec la possibilité pour tous les pays d’exercer pleinement leur souveraineté en même temps.

    * Pour les autres, le « souverainisme » repose sur une part d’illusion. Il oublie plusieurs vérités indépassables à commencer par l’inégale répartition des ressources naturelles sur la terre qui ne coïncide pas avec la répartition des humains. L’analyse de la situation actuelle et de l’évolution historique mondiale démontre que le plein exercice de leur souveraineté nationale, par tous les États en même temps, est impossible. Car, hors d’un droit obligatoire à cette échelle, les États ne seront jamais égaux : certains pays sont plus puissants que d’autres et ont le pouvoir (économique, technologique, militaire…) de déterminer les choix de ces derniers, notamment en matière d’ouverture d’accès à leur ressources naturelles et de garantie de l’investissement. Le principe de souveraineté nationale apparaît de ce point de vue comme un obstacle à la sortie d’un monde « régulé » par la loi du plus fort. Car le respect de ce principe interdit l’institution d’un juge qui puisse imposer sa décision à un État.

Le point de vue d’aGter

Du point de vue de l’association aGter et des groupes de travail qui se sont constitués autour d’elle (composé de représentants de mouvement sociaux, d’institutions gouvernementales, de chercheurs), les enjeux attachés à l’utilisation qui est faite des ressources naturelles en un lieu donné concernent, à certains égards, l’humanité entière.

Cette dimension de propriété commune des ressources naturelles et de la terre justifie de conférer à un minimum de règles, relatives aux enjeux les plus essentiels, la valeur d’impératifs communs indérogeables, et donc de doter des instances judiciaires internationales et mondiales du pouvoir d’obliger les Etats et les entreprises.

Cette proposition vise à faire respecter quelques règles de vie commune essentielles au plan global et non à instituer un « gouvernement » mondial. Ce dernier trahirait toujours la diversité des sociétés et des individus du fait de l’inextricable problème de représentation qu’il poserait. C’est donc certainement la construction d’une subsidiarité à l’échelle du monde, qui articule les espaces poli-tiques aux différentes échelles en ne laissant à l’échelon supérieur que les seules prérogatives que le débat démocratique entre les échelons inférieurs décidera de lui attribuer, qui peut permettre de faire du commun tout en garantissant la plus grande diversité humaine.

Ces règles indérogeables peuvent trouver d’autres garanties à tous les échelons, notamment par le biais de la fiscalité. Les cadres à créer doivent en définitive aboutir à ce que l’exploitation des ressources naturelles pour le seul compte de quelques-uns aux dépens de la communauté locale comme globale s’avère plus couteuse, à celui qui veut les exploiter ainsi, que ce qu’elle lui rapporte. Garantir un bénéfice commun et durable des ressources naturelles suppose de poser de telles limites à l’accaparement.

Il est certain que les changements concrets que la situation actuelle appelle de manière urgente n’auront pas lieu sans le plus large engagement des femmes et des hommes à travers le monde sur le terrain politique pour les exiger et inverser les rapports de forces établis. Débattre des orientations du changement, des horizons à viser, fait partie de cet engagement. C’est indispensable pour mesurer que d’autres modes de fonctionnement sont imaginables, trouver les plus adaptés et raviver le sens de l’action politique par le désir de les concrétiser. Faire entrer toujours plus de citoyennes et de citoyens dans ce débat, c’est rendre possible l’émergence d’une volonté collective dotée du pouvoir de les réaliser.
  •   AGTER
  • 20 October 2011

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