« Ne nous étonnons pas si des révoltes éclatent »

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Le droit à la terre contre le développement des agrocarburants. (Photo : The Guardian.)
Malango Actualité |  Mercredi 18 Juillet 2012

« Ne nous étonnons pas si des révoltes éclatent »

Par Arnaud Bébien

Des voix s’élèvent contre les prêts de terres de 99 ans à des sociétés étrangères. Les Tanzaniens se sentent ignorés par leur gouvernement…

Les mentalités changent parfois plus vite qu’on ne le pense. La Tanzanie montre en tout cas l’exemple, à l’heure où des prêts de terres de 99 ans ont été accordés à compagnies étrangères. Le Conseil agricole de Tanzanie est monté récemment au créneau pour dénoncer ces deals. « Le gouvernement doit savoir que les Tanzaniens ont le droit d’avoir accès aux terres, au lieu d’octroyer pour de telles périodes des terres aux étrangers », a notamment déclaré un membre de cette organisation de producteurs tanzaniens. A l’Association du thé tanzanien, on demande l’instauration de quotas pour les terres octroyées aux étrangers.

Ces discussions sur le sujet se déroulent dans un contexte tendu en Tanzanie. Dans deux régions proches du lac Tanganyika, dans le sud-ouest de la Tanzanie, la firme américaine Agrisol Energy a en effet obtenu la location, pour une durée de 99 ans, de plus de 300 000 hectares de terre tanzanienne pour la production de céréales OGM et de bio-fuel destinés à l’exportation. Ces cessions de terres africaines à des multinationales étrangères, qui se multiplient ces dernières années, sont opaques et il est difficile d’en connaître les tenants et les aboutissants.

Dans les régions concernées par l’arrivée de la firme, on peut lire la stupéfaction sur les visages des chefs de village interrogés. Ainsi, à Isanjandugu, village situé sur la zone du projet, le chef ignore ce qui se profile à l’horizon. « Personne, ni du gouvernement ni de cette entreprise étrangère, ne s’est déplacé jusqu’ici pour venir nous parler. Pourquoi ne sommes-nous pas consultés ? Nous devons être mis au courant.» Non loin de là, sur la commune de Mishamo, vivent près de 60.000 personnes. Augustine Wanga, le responsable local, ne connaît pas les investisseurs. « Comment l’investissement a pu se faire sans notre consentement ? Au village, personne n’est au courant. Nous savons juste que les autorités de la région se sont réunies et ont décidé sans rien nous demander.» Même son de cloche dans la commune voisine, où l’on estime que 99 ans est une « période bien trop longue» et que, même en cas de recours devant la justice, « il sera extrêmement difficile de faire partir l’investisseur».

HakiArdhi, un institut de recherche indépendant tanzanien basé à Dar es-Salaam, la capitale économique, effectue régulièrement des visites de suivi du projet dans les régions concernées. Bernard Baha, chargé de la documentation au sein de cet institut, ne mâche pas ses mots : « Le cas Agrisol est une belle illustration des méthodes pratiquées par l’État tanzanien qui se “sert”avec l’aide d’une multinationale. (…) Ça change d’autres pays, où tout est fait encore plus illégalement. Il ne fait aucun doute que les négociations se sont déroulées en haut lieu, avec les ministres et les commissaires régionaux. Le fait que parmi les habitants pratiquement personne ne soit en mesure de citer l’investisseur montre clairement le manque de transparence : ils sont mis devant le fait accompli et on ne leur a jamais demandé leurs avis. On vient juste les voir pour leur dire de partir !»

Les témoignages recueillis sur place et les observations faites par HakiArdhi convergent : la population locale, les chefs de village, disent n’avoir jamais été consultés, ni vu la trace de contrats. Ce sont des journalistes qui leur ont appris la nouvelle… Selon le droit coutumier, les terres appartiennent pourtant bien aux familles, transmises d’une génération à l’autre. Mais il n’existe pas (ou peu) de papiers officiels pour l’établir. Un vide qui permet à l’État de s’accaparer les terres, et donc de les brader. Un grossier tour de passepasse dans lequel réside « l’illégalité » dont parle Bernard Baha.

L’écrasante majorité de ces petits fermiers, arrivés du Burundi voisin alors en guerre au début des années 1970, ont été invités à quitter les lieux contre une maigre indemnité d’environ 150 euros par personne. Dépendants essentiellement de leurs lopins de terres pour se nourrir, ils en demandent 10 000 euros. « 150 euros, ce n’est pas suffisant pour acheter un nouveau champ et du matériel. Et je ne sais pas si on sera relogé»,explique un habitant obligé de partir bien qu’il cultive son terrain depuis trente ans.

Fin 2011, plusieurs députés de l’opposition tanzanienne ont interpellé le gouvernement à l’Assemblée nationale : « Il doit être rappelé que si l’investisseur prend les terres selon les termes consignés dans les accords, 160 000 modestes fermiers vont se retrouver sans terre. Où iront-ils ? Quelles solutions ont été envisagées ?» Pour eux, la coupe est pleine. À l’heure où 16 % de la population nationale, soit 7,5 millions de personnes, est sous la menace directe de l’insécurité alimentaire. Pour Bernard Baha, « on ne va pas vers le progrès en donnant de telles superficies à un seul investisseur. La population tanzanienne, à 80 % dépendante de l’agriculture, croît toujours à un rythme annuel important : si les terres manquent, ne nous étonnons pas si des révoltes éclatent dans les années à venir».

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