"L'Afrique peut se nourrir et nourrir le monde"

Le Monde | 09 octobre 2012
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"Il faut se demander pourquoi ces investisseurs s'intéressent autant à l'Afrique : c'est qu'ils en voient le potentiel. L'Afrique peut se nourrir et nourrir le monde. Aux gouvernements de ne pas brader leurs terres. Il peut y avoir des accords "gagnant-gagnant". Je l'ai vu sur l'île de Kalangala, en Ouganda," explique Kanayo F. Nwanze, président du FIDA.

Au cours de la période 2010-2012, quelque 868 millions de personnes ont souffert de sous-alimentation chronique dans le monde, selon les Nations unies. Ici, un enfant au Soudan du Sud en 2010.

Selon un rapport publié, mardi 9 octobre, par les Nations unies, 868 millions de personnes ont souffert de sous-alimentation chronique pendant la période 2010-2012 dans le monde, soit autant que les trois années précédentes. Selon le Nigérian Kanayo F. Nwanze, président du Fonds international de développement agricole (FIDA), une des trois agences onusiennes à l'origine de ce document, les solutions existent et l'une d'entre elles consiste à soutenir les petits agriculteurs.

Moins connu que l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ou le Programme alimentaire mondial (PAM), coauteurs du rapport, le FIDA est une institution financière dont la mission est de soutenir des programmes de lutte contre la pauvreté rurale dans les pays en développement. Pour son président, agronome et entomologiste de formation, l'agriculture paysanne et familiale des pays du Sud peut et doit devenir rentable, afin de susciter des vocations et de contribuer à nourrir l'humanité. "Money is sexy", aime-t-il à répéter avec un brin de provocation.

Le rapport sur l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde fait d'une croissance agricole "fondée sur une productivité accrue des petits exploitants" des pays du Sud un outil à privilégier dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Concrètement, par quoi cela passe-t-il ?


Par la capacité des populations à s'organiser et à se structurer pour être en mesure de mener des actions collectives. Egalement par l'utilisation d'engrais et de semences améliorées afin de renforcer les rendements. Attention : il ne s'agit pas de reproduire les excès de la "révolution verte" ou du modèle occidental d'agriculture intensive. Le recours aux engrais chimiques doit rester modéré.

Mais cela ne suffit pas : à quoi sert d'augmenter ses rendements si l'on ne peut pas commercialiser sa production ? Il est nécessaire de favoriser l'accès des producteurs au crédit, aux marchés et à un certain nombre de services et d'infrastructures, par exemple des installations de stockage fiables. Le FIDA a fait de la commercialisation de la production des petits agriculteurs une priorité. Mais il faut surtout un véritable engagement politique des Etats concernés.

Cette volonté semble pourtant faire défaut à un certain nombre d'entre eux...

Le développement, ce n'est pas – comme on l'a longtemps cru – ce que l'on fait pour les autres, mais ce que l'on fait pour soi-même. On l'a vu au Brésil, en Chine ou au Vietnam, où le développement est une priorité nationale. Le Vietnam est devenu exportateur de riz, dont 60 % sont produits par l'agriculture paysanne. Dans les pays en développement, les petits cultivateurs produisent 80 % de ce que les gens mangent. On ne peut pas les ignorer. Il faut faire de la transformation de l'agriculture paysanne en agriculture commerciale un défi national. En Afrique, le Ghana, la Tanzanie, le Malawi, le Rwanda ou l'Ethiopie l'ont bien compris.

Mais cela ne risque-t-il pas de se faire au bénéfice de grandes multinationales et aux dépens des agriculteurs eux-mêmes ?

Le rôle de l'agriculture familiale et paysanne – qui représente quelque 500 millions d'exploitations dans le monde – n'est pas reconnu à sa juste valeur. Les petits producteurs sont assimilés à une population pauvre qui a besoin d'assistance. Mais le secteur privé, ce n'est pas seulement Monsanto ou Unilever, ce sont d'abord les agriculteurs eux-mêmes.

Notre objectif, au FIDA, est de montrer que le petit paysan est un businessman qui veut produire plus pour gagner de l'argent, envoyer ses enfants à l'école, avoir accès aux mêmes services que les citadins... Il faut convaincre les jeunes d'aujourd'hui, ceux à qui incombera la tâche de nourrir le monde d'ici à 2050, que l'agriculture est une activité économique qui peut être rentable.

Mais n'y a-t-il pas de quoi s'alarmer, quand l'on voit certains Etats africains concéder à des entreprises étrangères d'énormes superficies de terres pour une bouchée de pain ?

Il faut se demander pourquoi ces investisseurs s'intéressent autant à l'Afrique : c'est qu'ils en voient le potentiel. L'Afrique peut se nourrir et nourrir le monde. Aux gouvernements de ne pas brader leurs terres. Il peut y avoir des accords "gagnant-gagnant". Je l'ai vu sur l'île de Kalangala, en Ouganda, où une plantation industrielle de palmiers à huile a passé un accord avec des petits planteurs villageois, qui fournissent leur production à l'unité principale. C'est ce que l'on appelle l'agriculture contractuelle. Le district de Kalangala est devenu le septième du pays par le niveau de vie, alors qu'il était 71e sur 76 en 2005.

Le message du FIDA arrive-t-il à passer, alors que les principaux bailleurs de fonds traversent une passe économique difficile ?

Nous avons lancé en 2011 – en pleine crise – notre neuvième reconstitution des ressources, et les engagements s'élèvent à 1,5 milliard de dollars (1,16 milliard d'euros) pour 2013-2015, soit une progression de 25 % par rapport à la période précédente. Notre action s'inscrit dans le développement rural à long terme et n'est peut-être pas très spectaculaire, mais sur le terrain, les gens connaissent le FIDA. Ils savent que nous faisons ce que personne d'autre ne fait.

Propos recueillis par Gilles van Kote
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