Le Qatar bâtit des fermes dans le désert pour assurer sa sécurité alimentaire

Medium_9e46c6b1-f881-4c34-9f0e-df187f8c07d7
"Il s'agit d'investissements, pas d'accaparement de terres", assure M. Al-Attiya.
LE MONDE | 06.12.2012 à 12h14 • Mis à jour le 07.12.2012

Le Qatar bâtit des fermes dans le désert pour assurer sa sécurité alimentaire

Laurence Caramel - Doha, envoyée spéciale

La sécurité alimentaire est au centre de la stratégie du gouvernement du Qatar et de son émir Hamid Ben Khalifa Al-Thani. Plus de 90 % des produits consommés par les 2 millions d'habitants, dont seulement 300 000 Qataris, dépendent d'importations.

A une trentaine de kilomètres à l'ouest de Doha, en plein désert, Jean-Pierre Moreau fait pousser des fleurs. Des roses, des glaïeuls, des anthurium, des chrysanthèmes... A la demande de l'émir du Qatar, Hamid Ben Khalifa Al-Thani, ce Français assure la production de 4 millions de fleurs par an avec soixante salariés venus pour l'essentiel du Népal et de l'Inde.

A l'intérieur des serres de Roza Hassad qui s'étendent sur 55 000 m2, le décor n'a rien à voir avec le paysage caillouteux battu par le vent chaud. Un minutieux système de régulation géré par ordinateur ajuste, toutes les trente secondes, l'humidité et la luminosité de chacun des seize édifices de verre qui, selon les exigences de la fleur désirée, recréent le microclimat des Pays-Bas ou des Tropiques.

Les plants, enracinés dans un substrat de résidus de noix de coco ou d'un composé de roche volcanique, reçoivent une eau puisée à 100 mètres de profondeur, dessalée, puis chargée en éléments nutritifs nécessaires à leur croissance. Roza Hassad est une vitrine, une société publique créée pour réduire les importations de fleurs du petit émirat.

A quel prix ? Jean-Pierre Moreau préfère ne pas s'attarder sur les chiffres. L'argent, dans un pays où aucun projet ne semble trop fou, n'est pas une limite, et les fleurs ne sont pour lui "qu'une étape". "Avec des moyens et ces technologies de pointe, nous pourrions faire des tomates, des poivrons et toutes sortes de légumes", affirme le Français qui a fait pousser des salades dans les climats les plus extrêmes.

La prochaine étape ? Il ne croit pas si bien dire. La sécurité alimentaire est au centre de la stratégie du gouvernement du Qatar dessinée dans le plan "Vision 2030". Plus de 90 % des produits consommés par les 2 millions d'habitants, dont seulement 300 000 Qataris, dépendent d'importations.

Il n'est qu'à se rendre sur le marché de gros de Doha pour en faire le constat. Sous de grandes halles, des camions viennent décharger des aubergines d'Arabie saoudite, des pommes du Liban et de Chine, des tomates des Pays-Bas, des bananes des Philippines, des fraises d'Egypte... La situation est identique pour la viande et les céréales.

"UNE GRANDE PARTIE DES RÉCOLTES EST PERDUE AU STOCKAGE"

"Nous ne pouvons pas imaginer notre développement sans sécuriser nos ressources alimentaires. Nous sommes partisans du commerce international, mais nous croyons au changement climatique et à ses conséquences sur l'agriculture. Certains pays risquent à l'avenir de réduire leurs exportations et nous ne pouvons pas rester aussi dépendants", explique Fahad Ben Mohammed Al-Attiya, président du Qatar National Food Security Programme (QNFSP).

Ce programme, lancé en 2008, a mobilisé des bataillons d'experts internationaux. Il doit être finalisé dans les mois qui viennent et devenir opérationnel en 2014. "Nous n'avons pas investi pendant vingt ans. Notre agriculture utilise des méthodes anciennes. La productivité est très faible. Une partie importante des récoltes est perdue au moment du stockage. Il va falloir apporter des compétences, de la formation, des technologies. Beaucoup pensent que c'est irréaliste. Moi, je crois que cela va être révolutionnaire", assure-t-il. Il juge ainsi possible de satisfaire 60 % de l'alimentation.

La rareté de l'eau doit être contournée par la construction de nouvelles usines de dessalement que M. Al-Attiya prévoit de faire fonctionner à l'énergie solaire et non plus aux énergies fossiles. "700 000 m3 d'eau sont consommés par jour par les quelque 1 400 fermes du pays. Mais cette eau, puisée dans le sous-sol devient de plus en plus saumâtre. Notre programme prévoit d'en produire cinq fois plus", explique Patrick Linke, directeur technique du QNSFP. Le soleil peut-il être rentable quand le litre de gazoil coûte 20 centimes d'euros ? Les autorités restent floues sur le montant et le financement de ce nouveau chantier.

Ce recentrage sur la production locale ne signifie pas que le Qatar abandonne sa politique d'acquisition de terres à l'étranger. "Nous continuerons, car nous en avons besoin. Mais nous le ferons en veillant à chaque fois à ce que les droits de propriété des populations et des fermiers locaux soient respectés. Il s'agit d'investissements, pas d'accaparement de terres", assure M. Al-Attiya.

Mardi 4 décembre, à Doha, le président du QNFSP a récompensé les meilleurs projets de l'initiative "De la terre pour la vie", soutenue par la Convention des Nations unies pour la lutte contre la désertification. Il a rappelé l'ambition de son pays de créer une "alliance globale des zones arides" qui fournisse une assistance mutuelle entre les pays membres. Une "sorte d'OTAN de la sécurité alimentaire". Les pays africains présents ont accueilli l'idée avec curiosité et intérêt. En demandant à voir.

Laurence Caramel - Doha, envoyée spéciale
  • Sign the petition to stop Industria Chiquibul's violence against communities in Guatemala!
  • Who's involved?

    Whos Involved?


  • 13 May 2024 - Washington DC
    World Bank Land Conference 2024
  • Languages



    Special content



    Archives


    Latest posts