Main basse sur nos richesses agricoles – Terres ivoiriennes contre dollars ?

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Le Nouveau Courrier | 30 juin 2013   

Main basse sur nos richesses agricoles – Terres ivoiriennes contre dollars ?

Par Laurie Tipper

Accaparer la terre d’un citoyen, c’est à certains égards, lui ôter définitivement la vie. Face à la gravité du phénomène, la mobilisation effective de la société civile semble se faire attendre. On est alors tenté de se demander s’il s’agit d’une complicité voilée ou d’une incapacité avérée.

Historique des accords sur la sécurité alimentaire

Juillet 2009 : les membres du G8 se sont réunis à L’Aquila (Italie) les 8, 9 et 10  et mis en place l’Initiative sur la sécurité alimentaire qui vise à soutenir le développement rural et agricole des pays pauvres par l’octroi de 20 milliards de dollars US au cours des trois prochaines années.

Mai 2012 : Les États Unis ont lancé lors du G8 de Camp David les 8 et 9 Mai définissent la « Nouvelle alliance mondiale pour la sécurité alimentaire et la nutrition ». Elle vise à sortir 50 millions d’africains de la pauvreté dans les 10 prochaines années via des partenariats public-privé. Le cadre de coopération définie 6 pays-tests africains: La Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Mozambique, Le Ghana, La Tanzanie et l’Ethiopie.

Objectif affiché : la lutte contre la faim, Objectif réel: ouverture des portes aux multinationales?

D’un côté, le G8 promeut la sécurisation de l’ensemble des droits fonciers existants dans les pays du Sud en appuyant la mise en œuvre des Directives Volontaires et insiste sur la nécessité d’établir des normes pour encadrer les investissements privés dans l’agriculture en appuyant le processus d’élaboration participatif.

De l’autre côté, le G8 affaibli les droits fonciers existants et promeut un investissement privé non encadré via la mise en place de la Nouvelle Alliance.

Les Accords de l’Etat ivoirien et du G8: démarrage effectif juin 2013

En vertu de ce cadre de coopération, la Côte d’Ivoire s’est engagée à réformer ses lois foncières et à mettre en œuvre d’autres changements pour faciliter l’investissement privé dans le domaine agricole. En échange, le pays est censé recevoir des centaines de millions de dollars d’aide humanitaire et pouvoir compter sur la promesse de huit entreprises étrangères et de leurs partenaires locaux d’investir près de 800 millions de dollars US pour plus de 700 000 hectares dans par exemple le développement de fermes rizicoles à grande échelle.

Les accords de coopération signés en 2012 par le gouvernement de Alassane Ouattara se dénomment « FEED THE FUTURE », le lien ci-dessous présente l’exhaustivité du programme sur lequel l’état ivoirien s’est engagé,  chiffrage et planning à l’appui ainsi que  le Curriculum Vitae de toutes les multinationales parties prenantes au programme : http://feedthefuture.gov/sites/default/files/resource/files/Ivory%20Coast%20Coop%20Framework%20FR%20FINAL%20w.cover_.pdf

Les grandes entreprises font leur loi:  le flux de capitaux qui alimentent aujourd’hui les grandes transactions de terres agricoles emprunte des canaux privés.

En Côte d’Ivoire, SIFCA, détient 47.000 hectares de plantations de palmiers et de canne à sucre : en 2007, Wilmar et Olam (agrobusiness transnationaux de Singapour) ont créé une joint venture, Nauvu, pour prendre une participation de 27% dans SIFCA, le plus grand producteur de canne à sucre et de palmiers à huile de Côte d’Ivoire. La famille Billon détient la majorité du capital de la société; mais toutes les parties ont l’intention d’utiliser SIFCA comme base pour l’expansion de leurs plantations de palmiers à huile en Afrique de l’Ouest. Source : http://www.grain.org/fr/article/entries/4565-accaparement-des-terres-et-souverainete-alimentaire-en-afrique-de-l-ouest-et-du-centre

En Côte d’Ivoire, le groupe français Mimran, a l’intention de démarrer avec 60 000 ha pour éventuellement agrandir sa holding sur 182 000 ha. Une autre entreprise, Cevital , société algérienne, serait à la recherche de 300 000 ha. Le 31 janvier 2013, le PDG de la société française de négoce en céréales Louis Dreyfus, premier importateur de riz en Côte d’Ivoire, a signé avec le ministre ivoirien de l’Agriculture un accord lui donnant accès à une superficie de 100 à 200 000 ha pour la production de riz.. À eux seuls, ces trois projets doivent déplacer des dizaines de milliers de petits producteurs de riz et vont détruire les moyens de subsistance de milliers de petits négociants, affectant justement les soi-disant « premiers bénéficiaires » de la Nouvelle Alliance du G8. Source : http://www.grain.org/fr/article/entries/4664-le-g8-et-l-accaparement-des-terres-en-afrique

La question foncière

Depuis 2008 et l’affaire malgache, l’opinion publique mondiale a pris conscience des transferts de terres qui font passer des millions d’hectares des pays en développement dans des mains étrangères pour la production alimentaire et énergétique.

L’accaparement des terres fait aussi évoluer la notion de propriété foncière en développant les locations de longue durée et aussi parce qu’il concerne parfois des terres soumises jusqu’à présent au droit coutumier qui ignore la dimension privée de la propriété.

J’apprends qu’au Bénin le nouveau code foncier stipule qu’au-delà de cinq cents (500) hectares, un projet de mise en valeur est approuvé par décret pris en Conseil des ministres.

Les instruments du gouvernement ivoirien semblent être tous prêts pour la mise en place du programme: vote de loi pour gouverner par Ordonnance et la prochaine Revue du code foncier.

Des conséquences incalculables

Il n’existe pas pour l’instant d’exemples montrant que des investissements effectués dans le cadre de l’accaparement des terres aient eu des conséquences positives pour les populations.

Au-delà des enjeux alimentaires et économiques, se pose la question de l’agriculture locale, de la souveraineté alimentaire et de l’avenir des paysans. Car ces accaparements poussent à une agriculture intensive et industrielle qui laisse de côté bon nombre de « petits » paysans. Ils remettent sur le devant de la scène la question foncière et celle de l’accès à la terre et impose, parfois de facto, une réforme agraire qui favorise les investissements privés étrangers.

Le phénomène d’accaparement des terres entraîne des conséquences négatives qui menacent la vie des communautés, en particulier le déplacement des populations, l’aggravation de la pauvreté et de la faim, l’augmentation des conflits, la perte des droits fonciers et des moyens de subsistance, la suppression pour les communautés et les paysans l’accès à la terre pour une production locale de produits de base. Et pourtant ce sont eux qui peuvent mettre en place des systèmes alimentaires pour nourrir les populations.

Le phénomène d’accaparement dans les pays en développement affaiblit l’agriculture familiale et les marchés locaux. De plus, les investisseurs ont beau dire que des emplois sont créés et qu’une partie de la production reste dans le pays. Mais cela ne remplace pas les terres et la possibilité pour les populations de travailler et d’utiliser les terres pour subvenir à leurs besoins.

Le phénomène d’accaparement actuel des terres ne peut qu’aggraver la crise alimentaire. « Il favorise les monocultures à large échelle, les OGM , le remplacement des paysans par des machines et l’usage de produits chimiques et d’énergies fossiles. » Ce système ne peut que nourrir les bénéfices de quelques-uns et accroître la pauvreté des autres. Les paysans expropriés devront soit se rabattre sur des terres marginales, moins fertiles ; soit abandonner l’agriculture et s’entasser dans les bidonvilles ; soit travailler dans les plantations industrielles, au risque de ne pouvoir faire vivre leur famille, car ils n’auront plus qu’un accès restreint à leurs terres.

Certains pays, comme la Chine, apportent même leur propre main-d’œuvre et leurs propres technologies lorsqu’ils viennent cultiver à l’étranger, en remplaçant la biodiversité d’origine et en court-circuitant les syndicats locaux.

Le président du Comité exécutif du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest résume bien la situation : « La vente massive des terres agricoles africaines s’apparente plus à un pacte colonial qu’à la recherche de nouveaux financements pour le développement de l’agriculture africaine [...] On brade les terres africaines, on contraint des milliers de petits producteurs à la misère. Cela est insupportable. »

Laurie Tipper

Pour aller plus loin
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