L'autosuffisance alimentaire, nouveau défi pharaonique du Qatar

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Pour atteindre l'objectif d'autosuffisance alimentaire d'ici à 2030, les Qataris, spécialistes des grands espaces urbains, devront aussi apprendre à apprivoiser le désert qui borde les villes. En 2008, seuls 20 % des 70.000 hectares de terres agricoles étaient cultivés. Sipa

Challenges | le 23-07-2013

L'autosuffisance alimentaire, nouveau défi pharaonique du Qatar

D'ici à 2030, le petit émirat souhaite ne plus dépendre des autres Etats pour nourrir sa population. Réaliste ou utopique?

Après le rachat du PSG en 2011, l'organisation de la coupe du monde en 2022, le Qatar se lance une nouvelle fois un défi pour 2030. L'autosuffisance alimentaire. Un objectif pharaonique alors que l'émirat importe actuellement 90% de ses besoins alimentaires.

Handicapé par le manque d'eau et son climat très aride, le Qatar qui souhaite lancer son projet dès 2014 pourrait bien abandonner avant l'heure comme cela est déjà arrivé à son voisin saoudien qui a renoncé dès 2008 constatant la non-rentabilité du projet.

L'émirat à l'initiative

Tout commence en 2008 lorsque le cheikh Hassad Bin Khalifa Al Thani lance le Qatar National Food Security Programme (QNFSP). Un programme national de sécurité alimentaire (QNFSP) visant l’autosuffisance qui devrait couvrir 60 à 70% des besoins alimentaires d’une population d’environ 1,7 millions de personnes. 

Pour montrer la voie à ses voisins et affirmer sa puissance, l'émirat gazier lance en mars 2012 lors du Forum mondial sur la sécurité alimentaire, l’"Alliance mondiale des pays désertiques" (Global Dry Land Alliance), une nouvelle organisation internationale en mesure, selon le Qatar, d’obtenir des résultats concrets en matière de sécurité alimentaire. 

Le Qatar redoute une flambée des prix

En réalité, selon Matthieu Brun, chercheur à l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), le Qatar n'a pas réellement eu le choix de se lancer dans ce vaste projet. "Avant la crise alimentaire, le Qatar pouvait acheter des denrées à l'étranger sans problèmes. Puis, avec l'augmentation brusque du prix des denrées, le pays a eu peur. Désormais, il ne veut plus être dépendant". En 2007, 75% de ses importations alimentaires provenaient notamment de l’Arabie Saoudite (16%), de l’Inde (14%) ou encore de l’Australie (12%).

Un constat partagé par Hatem Belhouchette, Docteur en agronomie (SupAgro de Montpellier) et ingénieur agronome qui précise aussi que "lorsque le prix des denrées au Qatar est monté, le pays a perdu beaucoup de sa population étrangère. Les autorités ne sont pas restées indifférentes". 

Une volonté de se rattraper

"Il n'y a pas de raisons que le Qatar ne parvienne pas à remplir son objectif. Le pays a des possibilités considérables en matière de recherche et développement". Nabil Enasri, doctorant sur le Qatar et auteur de l'ouvrage "L'énigme du Qatar", est plus qu'optimiste sur l'aboutissement du projet. "Le Qatar est un pays sorti de l'anonymat depuis une quinzaine d'années. Il y a comme une envie de rattraper le retard" précise ce spécialiste. 

Hervé Guyomard, directeur scientifique à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), reste lui sceptique même si il reconnaît la bonne volonté du pays de se lancer dans un "projet pharaonique". "Je pense qu'ils parviendront tout juste à augmenter leur production sous serre (fruits et légumes) mais dès qu'ils auront véritablement besoin de milliers d'hectares pour les céréales par exemple cela va être beaucoup plus compliqué".

Techniquement impossible

Bien que le pays compte actuellement près de 1.400 exploitations (production de fruits et légumes principalement), il est encore loin d'avoir mis en culture l'ensemble de ses parcelles cultivables. En 2008, sur les 70.000 hectares de terres agricoles, moins de 20% étaient cultivés. Autant dire que "transformer un semi-désert en terre fertile ne se fera pas sans l'utilisation de technologies modernes" explique Matthieu Brun dans son article "Qatar, une stratégie agricole au service de la puissance ?

Mais malgré les nombreux investissements du Qatar dans le domaine agricole et le développement de techniques modernes telles que la production hydroponique qui remplace la terre par un substrat artificiel et qui permet un gain de rendement conséquent, la réussite du projet est "largement remise en cause sur le plan technique" explique Hatem Belhouchette, Docteur en agronomie (SupAgro de Montpellier) et ingénieur agronome. "Le sol est inexploitable en l'état, l'eau manque cruellement et le Qatar devra trouver la main-d'oeuvre nécessaire, ouvriers et ingénieurs", insiste Matthieu Brun.

L'irrigation, véritable défi 

Viande blanche et rouge, riz, sucre et céréales(dont le blé) sont les cinq produits visés par le programme de sécurité alimentaire (QNFSP). Autant de denrées très consommatrices d'eau. "Pour obtenir un kilogramme de viande rouge, 15.000 litres d’eau sont nécessaires alors qu'il en faut 2.500 pour la production d’un kilogramme de riz", écrit Matthieu Brun dans son article sur la stratégie agricole du Qatar. 

Pour braver le défi de l'irrigation, le QNFSP compte sur ses usines de désalinisation de l'eau qui fonctionnent actuellement avec des énergies fossiles. Mais là aussi le Qatar a tout prévu. Gros producteur de CO² par habitant, le pays tente "de redorer au mieux son image", indique Nabil Enasri. En 2012, dans un reportage, la chaîne Al Jazeera confirmait que la firme américaine Chevron testait une centrale solaire à Doha, la capitale. Pour parvenir à ses fins tout en respectant l'environnement, le Qatar pourrait bien faire fonctionner l'intégralité de ses usines avec des panneaux solaires soit "l'équivalent de 350 hectares (la surface de Central Parc) de panneaux solaires", selon Matthieu Brun.

Le Qatar montre la voie

Malgré les obstacles techniques, Hervé Guyomard, directeur scientifique à l'INRA explique que le projet permet aussi de faire avancer la recherche. "C'est une bonne chose que le Qatar veuille investir dans la question de l'irrigation et de l'économie de l'eau. C'est une manière de répondre à la question qui anime beaucoup de chercheurs. Comment continuer à nourrir la planète malgré les changements climatiques (réchauffement de la planète)?"

Reste donc à savoir si le QEERI (Qatar Environnement & Energy Research Institute), lancé en 2011 et membre de la Qatar Foundation, sera en mesure de faire face aux différents défis environnementaux pour remplir les objectifs du programme d'autosuffisance alimentaire. En 2008, l'Arabie Saoudite a renoncé constatant que la culture du blé avait bu 80 % de la nappe phréatique fossile. A l'horizon 2016, le pays pourrait définitivement arrêter sa production de blé et redevenir totalement dépendant des importations. 

Xavier Bonnehorgne

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