Accaparement des terres à Madagascar : la pression des investisseurs continue…

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Très souvent, l’opinion publique n’est informée de l’existence d’un nouveau projet sur le terrain qu’en apprenant l’expulsion de villageois de leurs terres.

Grotius | le 27 janvier 2014 

Accaparement des terres à Madagascar : la pression des investisseurs continue…

par Mamy Rakotondrainibe

Madagascar, ce pays riche en ressources naturelles et en potentialité pour soutenir son propre développement alors que sa population est l’une des pauvres du monde, se trouve confronté à une forte pression d’accaparement de ses terres par les investisseurs aux dépens des paysans et des communautés locales.

Rendu public le 19 novembre 2008 par le Financial Times, le projet de location de 1,3 millions d’hectares de terres malgaches concocté par la société sud-coréenne Daewoo Logistics et les hauts dirigeants de l’époque avait mis Madagascar sous les feux des projecteurs. Les terres convoitées s’étendant sur 4 régions devaient produire du maïs et de l’huile de palme entièrement destinés à l’exportation vers la Corée du sud.

Aucune compensation financière n’était prévue, uniquement des promesses de création d’emplois et de construction d’infrastructures. Cette information communiquée au journaliste par un haut responsable de la société Daewoo Logistics suscita l’indignation de l’opinion publique et le principal ministre responsable démentit en disant que seule une autorisation de prospection de terrains avait été accordée.

Ce projet a contribué au renversement du régime début 2009 et à la mise en place d’un gouvernement de transition qui s’est empressé de déclarer l’annulation du projet.

La réalisation de ce projet aurait spolié des centaines de milliers de familles des régions Melaky et Menabe dans l’Ouest, ainsi que Sava et Atsinanana dans l’Est, de leurs droits d’usage et de culture et entraîné leur éviction. Les populations concernées n’avaient été ni consultées ni informées, alors que plusieurs demandes d’acquisition de vastes surfaces avaient déjà été déposées auprès des services fonciers. Il s’agissait donc bel et bien d’une menace grave d’accaparement de terres, selon la définition communément admise.

Par la suite, les recherches entreprises ont permis de mettre à jour bien d’autres transactions et acquisitions foncières par des sociétés nationales ou étrangères : outre le cas de la société indienne Varun, l’Observatoire du Foncier identifia une cinquantaine de transactions menées entre 2005 et 2009 sur de vastes surfaces destinées à des agrocarburants (jatropha et canne à sucre), des cultures agroalimentaires, de la foresterie. L’ensemble des projets ainsi recensés couvrait 3 millions d’hectares. Certains ont été arrêtés ou suspendus, alors que d’autres sont toujours en cours(1).

Les Malgaches n’aiment pas vendre leur tanindrazana, textuellement ”terre des ancêtres”. Or une location de 99 ans ressemble fort à une vente si l’on considère la perte de l’accès et du contrôle sur les terres. La colère des Malgaches liée à l’affaire Daewoo étant l’une des raisons qui a porté au pouvoir les nouvelles autorités, on aurait pu penser qu’elles allaient arrêter les transactions sur les vastes superficies, mais ce ne fut pas le cas.

Après une brève pause,
reprise des transactions pour l’achat des terres malgaches

Au début, le régime de transition laissa les négociations sur les terres se dérouler au niveau des communes et des régions, de manière formelle ou informelle, puis reprit la main au niveau central en octobre 2010 en sortant la circulaire 321-10/MATD/SG/DGSF du Ministère de la Décentralisation et de l’Aménagement du Territoire relative aux procédures à suivre en vue de la location de vastes surfaces – supérieures ou égales à 2500 ha.

Ainsi, au cours de ces quatre dernières années, les accaparements de terres se sont poursuivi pour donner satisfaction aux investisseurs nationaux et étrangers dans les secteurs agricole, minier, immobilier et touristique, dans la foresterie et le développement des aires protégées au détriment des paysans, agriculteurs, éleveurs et pêcheurs. La fameuse «Vision Durban» vise à tripler la surface des aires protégées de Madagascar, passant de 1 700 000 ha à 6 000 000 ha. (2).

Comme souvent dans d’autres pays, les négociations se déroulent dans l’opacité, d’autant plus que les investisseurs et leurs représentants connaissent l’attachement des Malgaches à leurs terres : s’ils étaient tenus informés des tenants et aboutissants de celles-ci, ils risqueraient de protester vigoureusement.

Dans les rares cas où les communautés locales sont consultées, elles ne disposent pas toujours de toutes les données et techniques relatives aux contrats face aux juristes et négociateurs représentant les investisseurs. La circulation des informations pose problème à Madagascar et très souvent, l’opinion publique n’est informée de l’existence d’un nouveau projet sur le terrain qu’en apprenant l’expulsion de villageois de leurs terres.

Le Collectif TANY demande régulièrement mais vainement aux autorités de rendre public sur un site internet l’état des lieux des acquisitions foncières par les sociétés nationales et étrangères. Plusieurs sources mentionnent que quasiment tout le territoire a fait l’objet d’expression de convoitise ou de négociation et que la fin du processus électoral actuel marquera le démarrage de la phase de concrétisation et de mise en oeuvre. Les propos d’un conférencier du Centre de réflexion des économistes de Madagascar fin novembre semblent aller dans ce sens : « les terrains proches des infrastructures publiques et des zones pittoresques sont déjà acquis par des investisseurs étrangers »(3).

La grande île de Madagascar possède-t-elle réellement de vastes terres arables non occupées au point de susciter autant de convoitise ?

En fait, si l’on exclue les pentes abruptes des hautes terres où les cultures ne sont pas indiquées, les nombreux carrés miniers destinés à l’exploitation du sous-sol riche en minerais, les aires protégées de conservation de la nature que la population rurale n’est pas autorisée à utiliser pour des cultures de subsistance, ainsi que les zones arides sans adduction d’eau et les zones de pâturage où les Malgaches pratiquent l’élevage extensif de zébus, la surface supposée inoccupée et disponible se restreint considérablement.

Les lois malgaches actuelles ne reconnaissent pas le droit coutumier non écrit sur les terres, alors que seul 1/10è des parcelles est muni d’un titre ou d’un certificat foncier. La majorité de la population rurale, qui constitue environ 80% des habitants, ne possède pas de document officiel et a du mal à défendre ses droits face aux transactions foncières à grande échelle.

Même si la règlementation foncière continue à interdire la vente de terres aux étrangers, la loi n° 2003-028 fixant l’organisation et le contrôle de l’immigration a autorisé depuis 2003 l’achat de terres par les sociétés étrangères qui prévoient un investissement de plus de  500 000 USD. Et en janvier 2008, la loi sur les investissements 2007-036 a autorisé l’achat de terres par les sociétés enregistrées à Madagascar, même si elles sont majoritairement détenues par des capitaux étrangers. L’utilisation de la dénomination de la filiale locale comme « prête-nom » complique souvent l’identification du vrai propriétaire. L’acquisition de la nationalité malgache, grâce à la facilitation et à la connivence de certaines autorités haut placées, fait partie des procédures utilisées par des dirigeants de puissants fonds étrangers pour acquérir des terres.(4)

Les dirigeants, les décideurs et une partie de l’élite malgache favorisent en effet les investisseurs étrangers. Les familles rurales se retrouvent ainsi en compétition directe avec les firmes transnationales sur les terres et même lorsqu’un paysan possède un document officiel, le rapport de forces est tel qu’il sort rarement gagnant lors d’un conflit foncier. La location de longue durée ou bail emphytéotique est le mode d’appropriation foncière souvent usité par les investisseurs étrangers.

Une autre tendance consiste à découper les grandes surfaces visées en plusieurs petites tranches et à établir des baux de location sur une courte durée, quelquefois inférieure à 10 ans, mais renouvelable. Normalement, la législation malgache exige une étude d’impact environnemental pour chaque projet. Mais dans le cas où cette étude est réalisée, des doutes demeurent sur sa validité et son caractère indépendant, car c’est l’investisseur qui règle les dépenses liées à l’étude. L’Etat malgache a également octroyé des concessions à des sociétés privées ces dernières années.

Ces projets d’investisseurs sont toujours présentés aux populations rurales comme des projets de développement alors qu’ils ont des conséquences irrémédiables sur leur accès à la terre et sur leur environnement, détruisent les fondements de leurs sources de revenus et de leur organisation sociale, comme l’ont attesté les visites sur le terrain de six projets relatées dans le rapport publié par l’association italienne Re:common, la plateforme malgache Solidarité des Intervenants sur le Foncier – SIF – et le Collectif TANY intitulé « Les accaparements de terres à Madagascar – Echos et témoignages du terrain – 2013 » (5).

Les paysans sont déplacés et expulsés, avec ou sans indemnisation. La compensation financière est souvent dérisoire par rapport aux préjudices subis. Les emplois promis ne compensent pas les pertes. Les paysans deviennent des ouvriers agricoles ou saisonniers aux droits souvent précaires. Aussi se battent-ils souvent pour demeurer sur leurs terres fertiles, sur les terres héritées de leurs ancêtres, où ils ont vécu des décennies et où se trouve le tombeau familial. Cette résistance a amené certains d’entre eux en prison et des procès sont en cours.

Les acteurs des accaparements de terres viennent de tous les continents et sont souvent des firmes transnationales. Le projet agricole d’accaparement de terres le plus connu actuellement est celui d’une société italienne Tozzi Green dans le domaine des agrocarburants. Delta Petroli cultive également du jatropha.

Dans le secteur minier, l’exploitation du cobalt et du nickel par la société Ambatovy fait l’objet d’une joint-venture entre trois compagnies venant du Canada, de Corée du Sud et du Japon. Dans l’extraction de l’ilménite, Mainland Mining est une société chinoise, tandis que QMM-Rio Tinto est une firme anglo-australienne exportant les produits de Madagascar vers le Canada. Dans la foresterie c’est Mada Woodlands, venant de Norvège, qui agit tandis que Bionexx, qui cultive de l’artemisia pour l’industrie pharmaceutique, est une société de droit malgache, filiale d’une société mauricienne – financée par des fonds français, mauriciens et malgaches – et louant des terres malgaches titrées au nom d’une société libyenne.

Les impacts de l’industrie du tourisme sur l’accès des communautés locales à la terre ont fait également l’objet d’un recueil de témoignages sur l’île de Nosy Be où les terres ont été partagées principalement entre des intérêts français, italiens et indiens et où les infrastructures hôtelières empiètent directement sur le bord de mer, contrairement à la loi, au vu et au su des autorités.

Daewoo revient à la charge

Les perspectives sont inquiétantes : Le gouvernement sud-coréen est revenu ouvertement à l’offensive en 2013, annonçant clairement son intention de remettre en place le projet initial de grande envergure de Daewoo Logistics. Pour cela, il a effectué entre autres des expérimentations de culture de maïs sur de petites surfaces en accord avec des autorités locales, se serait rapproché d’opérateurs indo-pakistanais qui connaissent mieux l’environnement économique du pays et a participé financièrement à l’organisation des élections présidentielles et législatives de décembre 2013.(6)

En vue de les attribuer à la société chinoise Madagascar Wuhan Iron and Steel Corporation – WISCO, qui prévoit d’extraire du minerai de fer, l’Etat malgache a titré à son nom 43 000 ha de terres incluant des villages, sans que les maires des deux communes concernées n’en aient été informés. La société WISCO avait donné au régime de la Transition 100 millions de dollars dont l’utilisation a été à la seule discrétion des hauts dirigeants sans aucune transparence et sans retombées substantielles sur les populations des communes impactées.(7)

Les futurs travaux d’infrastructures et d’exploitation d’ilménite de la compagnie Toliara Sands Project, filiale de la société australienne World Titanium Resources, font courir de gros risques d’expropriation et d’expulsion aux centaines de familles riveraines, en plus des risques de tarissement des ressources en eau et de l’émission de radioactivité.(8) L’autre menace, contre laquelle le Collectif TANY a déjà diffusé des alertes relatives aux aspects fonciers et aux conséquences probables sur l’accès des paysans à la terre et à leurs moyens de subsistance, est le projet de la Commission de l’Océan Indien de faire de « Madagascar, le grenier de l’Océan Indien », projet qui a déjà identifié trois régions pilotes, Menabe, Sofia et Vakinankaratra, pour cultiver des plantations vivrières destinées à l’exportation (9).

La nouvelle ruée vers les terres observée dans le monde depuis 2008 n’a pas épargné Madagascar alors que les vestiges du passé y sont encore présents : les concessions coloniales, les réserves indigènes et les terrains titrés au nom de colons continuent à garder un statut obsolète et flou. Les familles malgaches qui vivent sur ces terrains depuis des générations font partie des plus vulnérables en termes d’insécurité foncière.

Selon la Banque mondiale, 92% des 22 millions de Malgaches vivaient au-dessous du seuil de pauvreté en 2013. Un appui fort à l’agriculture familiale améliorera sûrement l’emploi, les revenus et l’alimentation de la majorité de la population malgache, contrairement à l’agro-industrie que les accaparements de terres sont en train de favoriser.

(1)  After Daewoo? Current status and perspectives of large-scale land acquisitions in Madagascar
(2)  Conservatoire national
(3) Sortie de crise : une politique anti-pauvreté
(4) Le nouvel essor des relations entre la Chine et Madagascar
 (5) Rapport sur l’accaparement des terres à Madagascar
(6) Cauchemar en vue, DAEWOO LOGISTICS de nouveau à l’offensive ?
(7) Projet d’exploration et d’exploitation de gisement de fer à Soalala et Besalampy
(8) Mines : Toliara Sands face à un public exigeant
(9) Quels impacts attendre du projet d’exploitation de fer par la societé chinoise Wisco et de la construction du port de Soalala ?


A propos de l'auteur

Mamy Rakotondrainibe, présidente du Collectif pour la défense des terres malgaches, TANY, qui a pour but de contribuer à la défense des terres et des ressources naturelles malgaches et de soutenir les citoyens et les paysans de Madagascar dans leur développement et dans leurs luttes pour la défense de leurs terres et ressources naturelles : http://terresmalgaches.info/

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