La Corée du Sud relance la course aux terres agricoles

LE MONDE | 20.11.08

La chute du cours des céréales sur les marchés mondiaux n'a pas stoppé la course aux terres agricoles par les pays qui en manquent. La Corée du Sud, par le biais d'une filiale du conglomérat Daewoo, vient ainsi de conclure avec Madagascar un accord pour louer, pendant 99 ans, 1,3 million d'hectares dans la Grande Ile. Situées dans deux zones distinctes (l'ouest et le nord-est), les terres – actuellement des zones de savane où pâturent les troupeaux –, équivalant à près de la moitié de la superficie de la Belgique. C'est la première fois qu'un accord d'une telle importance est conclu, de l'avis des spécialistes.

Les terres louées seront mises en valeur par de la main-d'œuvre locale formée par des ingénieurs agricoles sud-africains et sud-coréens, avait indiqué, en juillet, Yong Nam-ahn, le président de Daewoo Logistics, la filiale agroalimentaire du conglomérat sud-coréen.

Selon les déclarations du directeur financier de Daewoo Logistics, Shin Dong-hyun, faites lundi 17 novembre à la presse sud-coréenne, la firme, déjà présente dans la Grande Ile, prévoit de produire 500 000 tonnes par an d'huile de palme dans la partie est de Madagascar, et 4millions de tonnes par an de maïs dans la zone ouest où la location porte sur un million d'hectares. La Corée du Sud achète chaque année sur le marché international près de 11 millions de tonnes de maïs, ce qui fait d'elle le quatrième importateur mondial.

Conclu en juillet mais révélé mercredi par le Financial Times, l'accord ne prévoit pas le versement d'argent à l'Etat malgache au titre de la location. Daewoo, en revanche, financera leur mise en valeur. Selon Shin Dong-hyun, la firme sud-coréenne a prévu d'investir 6 milliards de dollars (4,8 milliards d'euros) au cours des vingt-cinq prochaines années, et d'assurer la mise en place des infrastructures nécessaires. Les semences de palmiers seront importées d'Indonésie et du Costa Rica, celle de maïs des Etats-Unis.

L'accord conclu entre Madagascar et la firme sud-coréenne va dans le sens du projet du chef de l'Etat, Marc Ravalomanana qui, lors de la campagne présidentielle de 2006, avait fait de la filière agro-alimentaire l'axe privilégié du développement de la Grande Ile. Les experts estiment que 35 millions d'hectares pourraient être exploités dans le pays alors que les terres effectivement cultivées dépassent à peine 2 millions d'hectares.

Madagascar n'est pas le seul pays africain doté d'un potentiel agricole qui intéresse les groupes agroalimentaires. C'est aussi le cas de l'Angola.

L'ANGOLA EN NÉGOCIATION

Il y a une trentaine d'années, l'ancienne colonie portugaise exportait des denrées agricoles. Aujourd'hui, elle importe près de la moitié de ses besoins alimentaires, et à peine 10 % des terres arables sont effectivement cultivées.

Pour relancer la production, le gouvernement angolais a lancé un plan de développement de cinq ans qui fait une place importante aux opérateurs étrangers. Des investisseurs du Brésil, du Canada, des Etats-Unis et du Portugal ont été sollicités.

C'est avec le groupe britannique Lonrho, très présent en Afrique, que les discussions sont le plus avancées. Elles portent sur la location de 20 000 hectares de terres et s'intègrent dans la stratégie de cette firme qui, selon son président, Dave Lenigas, vise à louer en Afrique 2 millions d'hectares. Au printemps, c'est la firme américaine Chiquita Brands, le premier producteur mondial de bananes, qui annonçait son intention de s'implanter massivement en Angola. Il s'agit pour le groupe de contourner par ce biais les obstacles mis par l'Union européenne pour freiner l'importation des bananes d'Amérique latine.

Les firmes privées ne sont pas les seules qui cherchent à louer des terres en Afrique pour sécuriser leurs approvisionnements agricoles. Des Etats du Golfe – le Koweït, les Emirats arabes unis… – veulent eux aussi investir sur le continent noir. C'est également la stratégie de l'Arabie saoudite qui a renoncé, pour des raisons de coûts, à produire sur son territoire des céréales dont elle était devenue exportatrice sur le marché mondial.

Face à cette recherche effrénée de terres arables l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a publié récemment un document mettant en garde contre les risques de "néocolonialisme". Sa mise en garde n'a guère été écoutée.

Jean-Pierre Tuquoi avec Philippe Messmer à Tokyo et Sébastien Hervieu à Johannesburg
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Paul Mathieu, expert à la FAO sur la question des régimes fonciers
Des opportunités et des risques
LE MONDE | 20.11.08

Vous êtes expert à la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) sur la question des régimes fonciers. Votre organisation a dénoncé les risques d'émergence d'un néocolonialisme agraire. Selon vous, le phénomène d'accaparement des terres agricoles par des intérêts étrangers va-t-il s'amplifier ?

Ce phénomène est clairement en accélération. Probablement parce que la récente crise alimentaire a secoué de nombreux pays comme l'Arabie saoudite ou la Corée du Sud, qui ont pris conscience des risques globaux d'insécurité alimentaire, et de la possibilité de s'en prémunir en sécurisant leurs approvisionnements dans d'autres pays.

Bien sûr, ce phénomène comporte des risques, comme l'expropriation, mais aussi des opportunités. A l'échelle mondiale, il faut augmenter la production agricole. C'est possible dans de nombreux pays où la productivité des terres reste faible, mais où les capitaux et les technologies manquent. Si les accords sont bien négociés, d'un point de vue technologique, juridique, politique et social - les habitants ne doivent pas être sacrifiés -, il est possible d'envisager des investissements "gagnant-gagnant".

La décision de passer des contrats avec des investisseurs étrangers doit venir des Etats, qui sont responsables de l'accroissement de la production nationale de richesses. Elle doit s'inscrire dans un processus de développement rural, et pas seulement agricole, et doit servir à améliorer la situation de la population. Je pense, par exemple, au possible développement des industries de transformation, créatrices d'emplois. Pour aider les Etats concernés, le service des régimes fonciers de la FAO va publier sous peu un mode d'emploi sur les contrats de location et les méthodes de compensation.

Propos recueillis par Laetitia Clavreul
Article paru dans l'édition du 21.11.08

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