Terres à louer, terres aliénées

Les Echos | 02/12/08

Dernières nouvelles de la mondialisation : la société sud-coréenne Daewoo Logistics négocie avec le gouvernement de Madagascar la location, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, de quelque 1,3 million d'hectares de terres agricoles. Soit un quarante-cinquième de la superficie de l'île : comme si la France accordait pour un siècle à un investisseur étranger la libre disposition de deux de ses départements... 1 million d'hectares, à l'ouest du pays, seront consacrés à la culture du maïs (semences américaines) ; le reste, à l'est, à l'huile de palme (semences du Costa Rica). Voilà un « choc des civilisations » que n'avait pas envisagé le politologue Samuel Huntington quand il publia en 1996, sous ce titre, son livre fameux.

Cette opération, bien qu'exceptionnelle par son ampleur, n'est pas la seule du genre : d'autres pays africains - le Soudan, l'Ethiopie, l'Angola, la Tanzanie... - proposent aussi des ventes de territoires ou des concessions de longue durée. Les pays intéressés sont ceux qui manquent de terres cultivables et possèdent - ou peuvent se payer - les compétences nécessaires pour les mettre en valeur : la Corée du Sud et les Etats du Golfe, notamment. De telles transactions, au dire des spécialistes, se sont multipliées depuis la flambée mondiale des prix agricoles, fin 2007.

La presse britannique y voit une forme de « néocolonialisme ». La presse sud-coréenne réplique que les nations occidentales sont mal placées pour faire la morale dans ce domaine. On pourrait même soutenir cyniquement que les pays d'Asie possèdent un avantage politique sur les puissances européennes dans leurs relations avec l'Afrique : ils n'ont jamais prétendu lui donner des leçons de démocratie.

Tout dépendra, bien sûr, de la façon dont ces contrats seront appliqués. Daewoo promet d'énormes investissements en infrastructures. En revanche, l'essentiel de la production agricole partira vers la Corée et le sort des petits exploitants malgaches ne semble pas être sa priorité. Surtout, de telles opérations ont une énorme portée symbolique : la cession, moyennant finance, de contrées entières semble une pratique d'un autre âge - c'est Napoléon vendant, en 1803, la Louisiane aux Etats-Unis... La mondialisation est bénéfique parce qu'elle permet d'affecter les investissements aux emplois les plus productifs, à l'échelle de la planète. L'ennui est qu'on connaît mal ses limites politiques : au nom du marché, un peuple peut-il accepter l'aliénation de sa propre terre ?

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