« C'est du colonialisme et, à terme, une bombe à retardement »

Ouest France | mardi 09 décembre 2008

Sylvain Urfer. Jésuite installé à Madagascar pendant trente-trois ans. Il dénonce le rachat des terres agricoles des pays les plus pauvres par des fonds d'investissement.

Recueilli par Patrice MOYON.

Les investisseurs sont de plus en plus nombreux à s'intéresser aux terres agricoles des pays tropicaux. Une bonne nouvelle pour les paysans du Sud ?

Nourrir l'humanité, c'est l'un des enjeux du XXIe siècle. Les pays qui manquent de terres agricoles l'ont bien compris. La Chine, les pays du Golfe, des fonds d'investissement commencent à faire leur marché, en Afrique ou en Asie, pour garantir leurs approvisionnements alimentaires. Cette politique passe par l'acquisition de grands domaines ou des concessions de 99 ans. Pour les pays les plus pauvres, c'est une véritable catastrophe. Cela revient à renoncer à leur souveraineté politique.

Vous venez d'être expulsé pour avoir dénoncé un projet de concession de 99 ans entre Daewoo et l'État de Madagascar. Les Coréens promettaient pourtant des investissements considérables ?

Ce projet de concession de 1,3 million d'hectares représente à peu près la moitié des terres arables de l'île de Madagascar. Le pays renoncerait ainsi à tout droit de regard sur une portion essentielle de son territoire, alors que 70 % de la population vivent encore à la campagne. Le projet des Coréens est très clair : développer des grandes exploitations agro-industrielles destinées à alimenter le marché coréen.

Pour des populations locales déjà dans la misère, c'est une véritable provocation. Quant aux contreparties, elles ne portent que sur la construction de routes, de dispensaires ou d'écoles. La population locale située dans cette zone va aller rejoindre les quartiers miséreux de la capitale où elle n'aura pas de travail. Où est le développement rural ?

Ce projet est une enclave coréenne en terre malgache qui ne profitera qu'à la Corée. Il y a un risque de casse sociale. Sans compter que l'emprise de la concession intègre un reste de forêt primaire. Dans quel état seront rendues les terres dans un siècle ?

C'est un retour à des pratiques coloniales ?


Oui, c'est bien comme ça qu'il faut parler, malheureusement. C'est du colonialisme et, à terme, une bombe à retardement. Dans un pays comme Madagascar, la propriété de la terre relevait d'un droit coutumier. Avec la complicité des autorités locales, on nie ce droit. Or, cette terre accueille aussi les tombeaux familiaux. On risque d'assister à des révoltes paysannes. Aucune répression n'arrivera à en venir à bout.

Aujourd'hui, le gouvernement malgache semble faire machine arrière. Mais les pourparlers vont sans doute se poursuivre en coulisses. La société malgache sera mise devant le fait accompli. Les requins ne lâchent pas prise comme ça.

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