Poursuites : pour les ONG, une menace tout sauf fantôme

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Libération | 11 février 2018

Poursuites : pour les ONG, une menace tout sauf fantôme

Par Renaud Lecadre

Pour faire plier les organisations militantes, les grandes entreprises multiplient les «procédures bâillons», ces plaintes qui visent leurs portefeuilles.

C’est dans l’air du temps. Les ONG s’en prennent aux multinationales, les cadors du CAC 40 s’en prennent aux militants altermondialistes. Plaintes, contre-plaintes, chacun est dans son rôle. Nonobstant cette règle du jeu, émerge le concept de «procédure bâillon», en vue de faire taire l’adversaire sous les dommages et intérêts, les uns ayant sur ce point l’avantage financier sur les autres. Apple contre Attac, 150 000 euros réclamés par la multinationale, de quoi couper les vivres des impétrants, si ce n’est leur ardeur militante. Veolia contre la Fondation Danielle-Mitterrand, le marchand d’eau réclamant à chaque fois 5 000 euros dans de multiples procédures en diffamation - montant dépassant le petit budget annuel de cette association qui dénonce les coupures d’eau des usagers les plus modestes. Vinci contre Sherpa, le cador du BTP avait déposé une contre-plainte en diffamation contre cette association de juristes qui a eu l’outrecuidance de dénoncer les conditions de travail à l’occasion des chantiers du Mondial de foot 2022 au Qatar. Equilibre de la terreur sur ce point, Vinci renonce à poursuivre Sherpa le temps que la justice française ne tranche leur différend sur le «travail forcé» dont l’accuse l’ONG. Justice qui vient de botter en touche sur ce point…

On ne résiste pas à cette dernière pour la route, BNP-Paribas contre «faucheurs de chaises», encore un happening engagé à la bonne franquette, les militants embarquant des repose-fesses dans les locaux d’une agence pour les restituer par la suite au Trésor public ou devant un tribunal, histoire de souligner symboliquement la contribution des banques au nomadisme fiscal. Seule la BNP a cru utile de porter plainte pour «vol en réunion» : en janvier 2017, le tribunal correctionnel de Dax relaxait Jon Palais, militant altermondialiste, au motif d’un simple «emport» de chaises «pacifique et bon enfant»…

Incongruité.
Mais la roue tourne, parfois. Depuis, le président des Amis de la Terre, Florent Compain, a été condamné à Bar-le-Duc (Meuse) pour le même motif - peu importe ou pas sa peine symbolique, 500 euros d’amende. Autre procès en cours dans la même veine, celui d’une faucheuse septuagénaire, Nicole Briend, cette fois à Carpentras (Vaucluse). Elle ne se laisse pas démonter : «Nous avons dit à BNP-Paribas que nous lui rendrions ses chaises quand elle fermerait ses filiales dans les paradis fiscaux.» Ce qui fut partiellement fait, dans un sens comme dans l’autre. Avec cette incongruité procédurale : la BNP est la seule banque française «victime» des faucheurs de chaises à oser porter plainte, avant de se rétracter peu avant l’audience pénale. Par peur du ridicule ?

Ces différents procès signent un changement de paradigme. Longtemps, les multinationales ont fait mine de ne pas s’alarmer de l’agitation des altermondialistes. Mais leurs simples piqûres de moustiques ont fini par faire office de frelons. «Nos actions sont symboliques, non violentes, menées à visage découvert et sans aucune dégradation matérielle», se défend pourtant la porte-parole d’Attac, Annick Coupé. «Il s’agit d’intimider, réduire au silence les acteurs de la société civile, museler le débat public», s’indigne derechef Sandra Cossart, au nom de Sherpa.

«Colère légitime».
Exemple avec Vincent Bolloré, attaqué à tort ou à raison par les ONG pour ses activités africaines, notamment dans l’huile de palme, suspectées d’empiéter sur les terres de paysans. L’homme d’affaires a beau jeu de plaider qu’il n’est qu’un actionnaire minoritaire (39 %) de ses plantations, leur direction opérationnelle étant confiée à son partenaire belge, Hubert Fabri. N’empêche : les ONG préfèrent s’en prendre à Dieu qu’à ses saints. Bolloré est connu pour attaquer en justice quiconque mettrait en cause son imperium - dans les médias, l’industrie, le portuaire, les plantations, en France comme en Afrique. Non seulement en diffamation - ce serait alors de bonne guerre -, mais aussi en dénigrement. France Télévisions se voit ainsi réclamer la coquette somme de 50 millions d’euros devant… le tribunal de commerce, pour un documentaire diffusé dans le cadre de Complément d’enquête.

Bolloré encore. Audience peu banale le 25 janvier : la Socfin attaque en diffamation deux ONG, Sherpa et React, mais aussi trois médias, l’Obs, Mediapart et le Point, toujours à propos de plantations africaines et de l’expropriation de villageois aux alentours. L’avocate de Sherpa Léa Forestier plaide alors qu’il «ne s’agit pas de vol de terres au sens pénal du terme, mais d’appropriation, les paysans exprimant une colère légitime de s’être vu déposséder de leurs terres». Le président de l’ONG, William Bourdon, s’en prend parallèlement à un «climat d’intimidation». Le parquet de Paris, représentant de l’accusation, requiert leur relaxe, au motif que «la Socfin et Bolloré sont des puissances économiques qui doivent accepter la critique ou de voir leurs actions remises en cause». On ne saurait dire mieux. En plus des ONG ciblées, un collectif de médias a signé une pétition intitulée «On ne nous fera pas taire». A la justice française de s’extraire de ce bourbier procédural.

Renaud Lecadre
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