L’échec des transactions foncières dans l'agriculture laisse des séquelles de plus en plus désastreuses et pénibles

GRAIN | 11 juin 2018

L’échec des transactions foncières dans l'agriculture laisse des séquelles de plus en plus désastreuses et pénibles

« Vu de l'extérieur, le projet a toutes les apparences d’un “échec”, mais il faut maintenir la pression et exiger que la terre soit rendue aux gens. Il ne suffit pas que l’entreprise retire ses investissements.”
Premrudee "Eang" Daoroung du Project Sevana, en Thaïlande, à propos de la plantation de canne à sucre de Mitr Pohl au Cambodge [1]

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Illustration: Stefano Vitale.

L’année 2017 s’est avérée l’une des années les plus mortelles pour les défenseurs des terres. [2] L’année a été assez mauvaise aussi pour plusieurs accapareurs de terres. Un nombre important de grandes transactions concernant des terres agricoles se sont effondrées, s’ajoutant à la liste de plus en plus longue des projets qui ont échoué au cours des dernières années. C’est certes une bonne nouvelle pour les communautés, mais beaucoup d’entre elles se retrouvent aujourd’hui à devoir faire face aux retombées et continuent à se battre pour récupérer leurs terres. L’arrêt des projets peut avoir certains avantages, mais nous devons de toute urgence essayer de chercher des solutions à ce qui se passe quand les projets échouent. [3]

Idées à retenir :

  • GRAIN a réuni des informations sur au moins 135 transactions foncières destinées à la production de plantes alimentaires qui ont échoué entre 2007 et 2017. Elles représentent 17,5 millions d’hectares, presque la superficie de l’Uruguay !
  • Il ne s’agit pas d’un échec de l’accaparement des terres, puisque la terre ne revient quasiment jamais aux communautés, mais bien plutôt de l’échec de projets d’agrobusiness.
  • S’il est vrai que des normes plus strictes de vigilance et des formes renforcées de redevabilité sont certainement nécessaires, le véritable défi reste de rendre la terre aux communautés. Personne ne doit jamais baisser les bras avant d’atteindre cet objectif !
  • L’énormité et le nombre de ces transactions ratées nous indiquent qu’elles n’auraient jamais dû avoir lieu. Les investissements sont nécessaires pour mettre en place des mesures et des initiatives de soutien pour aider les communautés locales à produire leur alimentation, et non pas pour ouvrir les portes à l’agrobusiness.

Ce qu’on observe

La dernière fois que GRAIN a mis à jour sa base de données des transactions foncières dans le secteur alimentaire et agricole, nous avions identifié 125 transactions couvrant 13 millions d’hectares qui avaient été annulées ou abandonnées, semblaient avoir disparu ou s’être effondrées. Nous les avions alors mis de côté dans un autre tableau, hors de notre champ de vision. C’était en 2016.

En 2017, nous avons été frappés par le nombre et l’importance des échecs de transactions foncières qui étaient annoncés. Beaucoup d’entre eux étaient des projets emblématiques qui avaient fait la une des médias mondiaux ou frappé les esprits au départ. Karuturi, investisseur indien dans l’agrobusiness, proclamait son départ d’Éthiopie. Le gouvernement français déclarait qu’il se retirait de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN) du G8. Le Président du Sénégal envoyait promener Anas Sefrioui, troisième fortune du Maroc, qui avait obtenu une concession de 10 000 hectares pour produire du riz à Dodel. Nous nous sommes demandé s’il fallait se réjouir, mais avons décidé finalement d’observer ce qui se passait et ce que cela signifiait. Pour ce faire, nous avons demandé leur avis à nos alliés et nos partenaires. [4]

En termes de données dures, nous pouvons faire plusieurs remarques [5]:

  • Pour la décennie allant de 2007 à 2017, nous disposons d’informations fiables sur 135 transactions foncières destinées à la production de plantes alimentaires ayant échoué pour une raison ou une autre (voir schéma 1). Ces transactions représentent une superficie énorme de 17,5 millions d’hectares, soit quasiment celle de toute l’Uruguay !
  • Les échecs en matière de transactions foncières destinées à la production agricole ont atteint un maximum en 2010, mais se sont mis à augmenter à nouveau depuis 2015.
  • Nous n’avons pas trouvé de constante géographique, ni aucune constante spécifique concernant les investisseurs eux-mêmes.
  • Les échecs ont clairement évolué au fil du temps : ils sont passés de projets qui ne se sont jamais matérialisés en réalité (il n’y a pas eu de production agricole) à des projets ratés (voir schéma 2).
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Schéma 1. Dix ans d’échec des transactions foncières : un pic est atteint en 2010, mais les chiffres augmentent à nouveau.

Ce que nous regroupons sous le terme de transactions “ratées” recouvre des réalités différentes. Dans certains cas, les investisseurs ont perdu leur terre parce que le gouvernement a annulé ou grandement réduit un permis ou une concession, comme dans le cas d’Herakles au Cameroun. Dans d’autres cas, les investisseurs se sont retirés parce qu’ils perdaient de l’argent ou avaient à faire face à d’autres conséquences négatives, comme dans le projet Senhuile du groupe italien Tampieri au Sénégal. D’autres cas peuvent être considérés comme des échecs parce que l’opposition de la base est si forte que les projets ont été bloqués ou se sont enlisés. Parfois des projets entrent dans cette catégorie parce qu’ils ne sont pas à la hauteur des attentes. Et quelquefois, l’investisseur a tout simplement fait faillite.

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Schéma 2. La non-réalisation des plans laisse la place à des projets ratés.

Ce qu’il faut absolument souligner, c’est qu’on ne parle pas ici de transactions foncières ratées parce que les communautés qui y vivaient auparavant auraient récupéré leur terre. Bien au contraire. Les projets passent souvent aux mains d’autres investisseurs ou de l’État. En ce sens, ce n’est pas l’accaparement des terres lui-même qui échoue ! Ce sont les investisseurs et leurs projets qui échouent. C’est pourquoi nous ne parlons pas d’accaparement des terres raté, mais de transaction foncière ratée. Nous ne le dirons jamais assez.

 

Pourquoi tant d’échecs dans les transactions foncières ?

Le cas du projet PDIDAS, soutenu par la Banque mondiale au Sénégal, permet de comprendre l’échec récent de certains projets et transactions ayant trait au foncier. L’acronyme PDIDAS correspond à « Projet de développement inclusif et durable de l’agrobusiness au Sénégal ». Il a été lancé en 2014 pour une période de cinq ans, avec un prêt de 80 millions de dollars US de la Banque mondiale. L’idée était de promouvoir de grandes exploitations agricoles commerciales tournées vers l’exportation, sans faire disparaître les petits paysans et les éleveurs qui forment la base de l’économie. Les investisseurs étrangers, de même que les investisseurs nationaux, auraient accès à la terre qui serait partagée en deux entre leurs entreprises et les agriculteurs familiaux des environs. Ainsi les infrastructures mises en place pour le projet (routes, irrigation, électricité, clôtures) seraient disponibles et utilisables pour tous.

Fondamentalement, le projet visait à mettre en place en parallèle deux voies de “développement” agricole, la grande agriculture industrielle aux côtés de l’agriculture familiale, dans un effort idéologique forcené pour démontrer qu’on ne doit pas avoir l’une sans l’autre. Les investisseurs seraient libres de produire leurs propres récoltes pour l’exportation ou de proposer aux petits agriculteurs des contrats de production agricole. Pour cela, certains éléments de la législation foncière sénégalaise seraient contournés sans rien y changer pour permettre de louer les terres à la fois aux investisseurs et aux communautés, ce qui fournirait peut-être même un nouveau “modèle” pour la réforme foncière alors en cours.

Voilà pour la théorie.

En fait, le projet a été un désastre et l’est toujours, affirment des groupes sénégalais. Selon Ardo Sow, un activiste de la société civile originaire de la zone où est situé le projet, sur les 20 000 hectares identifiés et mis à disposition pour le projet, seuls 200 ha (le site pilote lui-même) avaient été développés et mis en production au début de 2018. [6] Pourquoi ? Des maires locaux expliquent que le projet s’est empêtré dans sa propre rigidité, la bureaucratie et le manque de clarté. « Bénéfice zéro », déplorent-ils. « Dysfonctionnel », disent certains autres. « Laisse à désirer » avoue la Banque mondiale, sachant qu’à la fin du projet en 2019, les résultats seront bien minces. [7] Et pourtant, comme le fait remarquer Sow, les contribuables sénégalais vont devoir rembourser le prêt.

La faille fondamentale de PDIDAS est que son plan général de promotion d’un agrobusiness consensuel vise et visait à faciliter les choses pour les investisseurs en gagnant la confiance des communautés locales. L’idée n’est pas de renforcer l’agriculture paysanne, mais de faire progresser l’agrobusiness, en cultivant les bonnes relations avec des communautés qui vivent sur cette terre depuis des générations et sont réticentes à céder leurs terres à l’agrobusiness. En fin de compte, c’est aussi ce qui explique l’effondrement de l’ambitieux Fonds du Couloir de Nacala qui était censé générer de multiples projets agrolimentaires entre des entreprises étrangères et les petits paysans du nord du Mozambique, et l’échec de la NASAN du G8 en Afrique. Ces deux projets cherchaient à imposer les modèles de l’agrobusiness à la situation des paysans africains.

Un autre facteur de l’échec de tant de transactions réside dans l’incompétence des entreprises. Souvent, les hommes d’affaires (et oui, des hommes) qui sont derrière les projets n’ont que peu, voire aucune, expérience en agriculture et ne savent pas grand-chose des endroits où ils ont acquis des terres agricoles. Le projet de Karuturi en Éthiopie est un cas emblématique (voir encadré). L’homme d’affaires états-unien Calvin Burgess, qui a fait sa fortune dans les prisons privées, a subi de lourds revers avec les tentatives de production rizicole à grande échelle de Dominion Farms au Kenya puis plus tard au Nigeria. Plusieurs grands projets financés par des groupes d’entreprises saoudiens ont aussi échoué, comme le programme Foras 7 x 7 qui était censé convertir 700 000 hectares de terres d’Afrique de l’Ouest en plantations de riz ou encore le projet de canne à sucre d’Arafco au Kenya, projet qui était soutenu par un prince saoudien ; ce projet n’a rien donné et est aujourd’hui le sujet d’une enquête de la commission anti-corruption kenyane. [8] On pourrait parler aussi de l’empire de plantations de palmiers à huile que le milliardaire indien de l’informatique Sivasankaran avait amassé en quelques années, un empire qui s’étendait de la Papouasie-Nouvelle-Guinée à l’Afrique de l’Ouest. Tous les projets de plantations de Sivasankaran, soit une superficie de plus de 500 000 ha, sont en attente depuis qu’il a déclaré faillite aux Seychelles en 2014. [9]

Un dernier facteur qu’on ne peut ignorer quand il s’agit d’expliquer le nombre croissant de transactions foncières ratées est l’opposition qu’elles suscitent. Les mouvements de résistance locaux ont remis en cause nombre de transactions foncières et ont contribué à les bloquer, à les faire échouer ou à les modifier complètement. C’est évident dans beaucoup de cas et le fait doit être reconnu. Au Cameroun, la concession foncière d’Herakles a été réduite à un quart de sa taille initiale, grâce à la campagne intense menée par les organisations communautaires et les ONG du pays soutenues par des groupes internationaux. Au Sénégal, la pression persistante au niveau local et le renfort des recherches menées par les groupes alliés internationaux ont contribué à émasculer le projet de Senhuile qui existe toujours, si l’on peut dire, mais sous une forme extrêmement réduite. [10] Au Mozambique, la vive résistance des organisations paysannes soutenue par des collègues japonais et brésiliens a réduit le projet trilatéral ProSavana à sa plus simple expression et éliminé les investisseurs étrangers impliqués dans cette affaire, le Fonds pour le couloir de Nacala. En Argentine, c’est l’impact de la résistance sociale qui a empêché Beidahuang, un énorme groupe d’agrobusiness chinois, d’obtenir 320 000 ha dans le Rio Negro. La même chose est arrivée à Madagascar à Daewoo qui avait tenté d’obtenir 1,3 million d’hectares de terre agricole dans le pays.

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Récolte dans une plantation de canne à sucre à Omliang, au Cambodge. Photo : Axelrod/Ruom.

Plus récemment, la résistance de la population à Dodel a provoqué l’annulation du projet Afripartners au Sénégal. C’est encore les fortes pressions exercées par des ONG françaises, ajoutées au tollé de leurs collègues africains, qui ont amené le gouvernement français à remettre en question la Nouvelle Alliance du G8 puis à s’en retirer, après avoir pris conscience des risques posés par l’accaparement des terres. De fortes mobilisations des ONG ont réussi à bloquer l’entreprise sucrière Mitr Phol au Cambodge ou Cargill en Colombie. Et c’est la persévérance des organisations communautaires qui a aidé à chasser Dominion Farms du Kenya.

Au Mali, les leaders locaux soulignent que même si son effondrement n’est pas dû à une résistance locale, une transaction foncière ratée comme le projet Malibya a contribué à déclencher un mouvement de résistance populaire qui est aujourd’hui une force sociale puissante et a influé sur le remaniement de la législation foncière nationale.

Quelles leçons tirer de ces transactions ratées pour en empêcher d’autres ?

La répétition de tant d’échecs indique de manière évidente que les gouvernements ne font pas leur travail correctement pour trier les investisseurs potentiels. Les fraudes, notamment les fausses allégations concernant la capacité des investisseurs à se lancer dans l’agrobusiness, sont courantes. De nos jours, toutes les entreprises prétendent avoir une norme quelconque en matière d’investissement responsable, mais le respect des normes semble rarement les préoccuper et on constate que les entreprises qui acquièrent des terres agricoles n’hésitent pas à violer leurs propres normes. [11]

Par conséquent, une vérification approfondie (due diligence) de la part des États-hôtes et des conditions imposant aux investisseurs de véritablement cultiver la terre sont plus nécessaires que jamais. Mais le problème est que la diligence se limite souvent à une vérification superficielle sur Internet pour détecter les signaux d’alarme. Les groupes de la société civile et les journalistes sont souvent plus efficaces que les autorités pour révéler la corruption cachée dans les transactions foncières. Et c’est un problème partout, y compris en Australie, en France, aux États-Unis et au Canada, où des entreprises étrangères acquièrent des terres agricoles quasiment sans contrôle et souvent même en toute discrétion.

Nous devons utiliser cette accumulation de preuves d’échec des transactions pour réclamer avec plus d’insistance des moratoires, des interdictions ou des contrôles plus stricts en matière d’acquisition de terres agricoles par les entreprises étrangères, ou même par les entreprises du pays. Ce n’est pas une tâche facile. Certains gouvernements refusent en effet systématiquement de modifier leur politique d’investissement dans le domaine foncier, même quand ils sont confrontés à de multiples transactions ratées, ou à une opposition massive et des conflits violents, comme c’est le cas en Éthiopie, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Cambodge (voir l’encadré : L’accaparement des terres comme politique nationale est aussi un échec).

Un autre enseignement important à tirer de nos réflexions est qu’il faut obliger les entreprises et leurs investisseurs à répondre de leurs actes. Les entreprises et les gouvernements font toutes sortes de promesses aux communautés pour les convaincre de céder leurs terres : emplois, écoles, cliniques, etc. Quand les projets s’effondrent et que les engagements ne sont pas tenus, les communautés récupèrent rarement leurs terres et ne reçoivent pas la compensation qui leur avait été promise. Le cas d’Addax en Sierra Leone en est un bon exemple, mais il est loin d’être le seul (voir encadré sur Addax).

Pour certains des groupes impliqués dans la lutte contre le projet d’Addax, cela montre qu’il ne suffit pas que les investisseurs s’engagent à respecter ou prouvent qu’ils ont respecté telle ou telle norme, que ce soient les normes de performance de la Société financière internationale ou les directives volontaires sur les régimes fonciers du Comité de la sécurité alimentaire des Nations Unies, pour ne nommer que les deux plus respectées. Il faut réserver une partie du financement pour faire face à un éventuel échec, afin de disposer d’une vraie “stratégie de sortie”, disent-ils. L’argent ne résout pas tout, certes, mais les besoins matériels des communautés qui, à la suite d’un projet, se retrouvent dans une situation pire qu’avant, ne peuvent être ignorés.

Tout cela est vrai. Mais peut-être que le cas d’Addax soulève un problème plus vaste qui est qu’en fin de compte, personne n’a été tenu pour responsable. Aucun recours permettant d’engager une action en justice contre Addax ou contre les institutions financières de développement n’était possible, pour tenter de remédier à la situation provoquée par l’échec du projet. Ce n’est pas acceptable. Les investisseurs, qu’ils soient publics ou privés, doivent être légalement responsables de leurs échecs.

Actuellement, ce genre de remède n’existe que pour les entreprises qui peuvent traîner en justice les gouvernements grâce aux clauses des accords de commerce et d’investissement bilatéraux ou multilatéraux, quand leurs projets échouent (voir encadré sur l’ISDS). On est ici face à une situation rétrograde et fondamentalement injuste qu’il faut inverser de toute urgence.

Mais le message le plus important n’est-il pas qu’au départ, ces transactions foncières, et toutes les autres, n’auraient jamais dû pouvoir se faire. Des investissements sont nécessaires pour mettre en place des mesures et des initiatives pour aider les communautés locales à produire leur alimentation, et non pas pour ouvrir les portes à l’agrobusiness.

Que faire une fois que les projets ont échoué ?

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En 2017, le Président du Sénégal a annulé une concession foncière de 10 000 ha pour Afri Partners, qui appartient au milliardaire marocain Anas Sefrioui.

Comme nous l’avons déjà souligné, après l’échec d’une transaction foncière, la terre n’est pas nécessairement rendue aux communautés. Ce serait une erreur de présumer que dès qu’un accord est annulé ou abandonné, la terre revient à ceux qui y vivaient avant l’arrivée de l’investisseur. Ce cas de figure arrive rarement et c’est justement un point essentiel du problème des investissements agricoles en général.

Dans de nombreux cas, l’entreprise initiale est remplacée par une autre et souvent la communauté n’est même pas au courant. La nouvelle entreprise peut être pire que la première et peut refuser d’honorer les engagements initialement promis aux communautés. Les concessions peuvent aussi être réallouées ou vendues à de nouvelles entreprises. Quelquefois, c’est l’État qui reprend les terres pour d’autres usages. Il se peut même que l’entreprise n’ait disparu momentanément de la scène que pour attendre dans les coulisses des jours meilleurs pour redémarrer le projet.

Quel que soit le cas, les conséquences d’une transaction foncière ratée sont généralement désastreuses pour les communautés. Même si celles-ci récupèrent une partie de leurs terres, les terres ont de grandes chances d’avoir été défrichées ou épuisées et les ressources traditionnelles en eau n’existent peut-être plus. Il est donc difficile pour les communautés d’y pratiquer l’agriculture, la chasse et la cueillette comme ils le faisaient auparavant pour assurer leur nourriture et leurs besoins fondamentaux. Il peut aussi rester des tensions sociales persistantes entre les membres de la communauté qui se sont battus contre le projet et ceux qui l’avaient accepté.

Les communautés peuvent encore se retrouver isolées soudainement, sans les réseaux de soutien nationaux et internationaux dont elles disposaient durant leur lutte contre le projet ou l’investisseur initial.

L’échec d’une transaction foncière n’est pas le moment de relâcher la pression. Pour l’alliance des groupes opposés au projet, il s’agit au contraire d’intensifier le travail et de passer à une nouvelle phase. L’objectif est désormais de soutenir les communautés concernées, pour les aider à récupérer leurs terres et remettre celles-ci en condition. Les accapareurs de terres et leurs soutiens financiers doivent être tenus pour responsables des dégâts, ce qui requiert des stratégies innovantes et un soutien continu de la part des alliés, dans le pays et à l’étranger.

Il est en outre important de reconnaître que les leaders des communautés qui ont réussi à mettre fin à des accords fonciers possèdent une expérience de grande valeur qui doit être partagée avec les autres communautés. Ces leaders doivent être soutenus et encouragés à participer aux mouvements de lutte contre l’accaparement des terres, particulièrement aux niveaux national et régional.

Les meilleurs moyens de défense contre les futurs risques d’accaparement sont une plus large prise de conscience et davantage de cohésion au sein des communautés.

Pour aller plus loin :

▪ GRAIN a publié des sets de données sur l’accaparement des terres en 2008, 2012 et 2016.

▪ Le site Internet à publication ouverte http://farmlandgrab.org suit les transactions foncières destinées à la production agricole.

▪ La plateforme ISDS à publication ouverte contient une rubrique spécialement dédiée au règlement des différends investisseur-État (ISDS en anglais) et aux droits fonciers : https://isds.bilaterals.org/?-land-rights-&lang=fr

 

L’accaparement des terres comme politique nationale est aussi un échec

La législation foncière cambodgienne de 2001 autorise l’État à accorder des concessions foncières à des fins économiques (ELC en anglais) sur des terres privées de l’État pour y faire de l’agriculture industrielle ou installer de grandes plantations (teck, caoutchouc, canne à sucre, etc.). Ces concessions se font sur la base d’un bail à long terme. Ils accordent à des entreprises nationales ou étrangères les droits exclusifs pour défricher et exploiter de vastes superficies de terre agricole pour une période pouvant aller jusqu’à 99 ans. Une ELC ne doit pas excéder 10 000 hectares et aucune entreprise ne peut avoir un total d’ELC de plus de 10 000 ha. Le but affiché du programme cambodgien d’ELC est de soutenir la croissance économique et d’accélérer la réduction de la pauvreté. Pour les communautés cambodgiennes et les ONG qui les accompagnent, cette politique a encouragé l’accaparement des terres et n’a absolument pas rempli ses promesses. À leurs yeux, cette politique elle-même est un échec.

Les avocats défenseurs des droits humains sont bien d’accord. C’est pour cette raison qu’ils ont engagé une action pour cause d’accaparement des terres contre l’État cambodgien auprès de la Cour pénale internationale [CPI] de La Haye. La CPI a décidé que si des pratiques systématiques de la part d’un État provoquent un accaparement des terres, elles peuvent être examinées par la Cour. Le Cambodge est un parfait candidat. La procédure pourrait également s’appliquer à l’Éthiopie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. [12]

Il n’existe pas de fichier statistique central, mais en 2012, plus de 11 % du territoire du pays avait été cédé par le biais des ELC. [13] Un moratoire sur les nouvelles concessions a donc été déclaré, pendant que le gouvernement s’engageait à revoir les concessions passées. Mais il n’y a guère eu de changement. Dix nouvelles ELC ont même été attribuées depuis le début du moratoire.

La réponse de l’État au tollé a été d’accélérer son programme d’attribution des titres fonciers qui lui aussi est un échec. Les efforts faits précédemment pour attribuer les titres, généreusement financés par la Banque mondiale, ont eu pour résultat l’allocation de plus d’un million de certificats fonciers. Mais cette allocation a été arbitraire et est restée éloignée des concessions ; elle n’a donc pas touché du tout les grandes concessions. Dans les communautés rurales, cela a provoqué plus, et non pas moins, d’insécurité et d’inégalité.

En 2016, le gouvernement a déclaré que la révision menée durant le moratoire était un succès, car elle avait permis d’identifier 1 million d’hectares qui seraient redistribués aux communautés. Mais nul ne sait où se trouvent ces terres ni qui est responsable de la redistribution.

Selon Ang Cheatlom, le président de Ponlok Khmer, une organisation communautaire de la province de Preah Vihear, « Seuls ceux qui possédaient un certificat foncier dans les anciennes ELC pourront récupérer leur terre. Mais la majorité des gens n’ont pas de certificat. Et donc la terre sera réallouée à l’État qui en fera ce qu’il veut. C’est pour cela que le conflit foncier au Cambodge est sans fin. » [14]

 

Le mécanisme de règlement des différends investisseur-État et l’accaparement des terres : comment ça marche ?

La plupart des accords de libre-échange et des accords d’investissement bilatéraux assurent une protection spéciale aux investisseurs étrangers. Le but est surtout d’attirer les entreprises qui amènent des capitaux, des infrastructures et des emplois. Ces mesures de protection affectent les droits fonciers d’au moins deux manières importantes.

Premièrement, en termes de principes, ces accords ont tendance à affirmer que les investisseurs étrangers ne doivent pas subir de discrimination pour simple cause de nationalité. Ceci prévaut sur toute législation nationale ou toute clause constitutionnelle qui empêcherait les étrangers de posséder des terres, y compris des terres agricoles, dans le pays. Ceci est un grave problème dans beaucoup de pays. De nombreux pays d’Europe de l’Est avaient ainsi interdit aux étrangers d’acquérir de la terre mais ont dû en théorie abandonner cette réserve pour pouvoir entrer dans l’Europe. En réalité ils sont encore confrontés à ce problème de restrictions. Dans d’autres pays, comme la Thaïlande ou les Philippines, la constitution interdit la propriété étrangère et les investisseurs ne peuvent que prendre à bail ou louer les terres. Même les baux peuvent être limités par certains gouvernements, comme c’est le cas au Brésil ou en Australie. Les accords de libre-échange protègent également les investisseurs contre l’expropriation. Les droits fonciers sont un domaine inattaquable et toute tentative de les interdire ou de les limiter peut être considérée comme une expropriation si l’affaire vient en justice.

Deuxièmement, et oui, la justice. Beaucoup d’accords de commerce et d’investissement donnent aux investisseurs le droit de traîner un gouvernement étranger en justice pour un montant illimité de dommages et intérêts, si les bénéfices attendus ne sont pas au rendez-vous. Ceci peut arriver, parce que les législateurs ont adopté une nouvelle loi (par ex. pour limiter le droit des investisseurs à accumuler des terres) ou que les autorités décident de leur retirer une partie de leur propriété (par ex. en annulant un bail ou leur retirant un permis de cultiver). C’est la clause qu’on appelle le mécanisme de règlement des différends investisseur-État (ISDS en anglais). Au cours des dernières années, elle est devenue la cible des campagnes d’intérêt public pour mettre fin aux accords commerciaux. L’ISDS est critiqué tout particulièrement parce qu’il attribue aux entreprises étrangères des droits que les entreprises nationales n’ont pas et que les procédures juridiques s’effectuent non pas dans de véritables tribunaux, mais par arbitrage. Pire encore, les dommages accordés aux investisseurs peuvent se monter à des centaines de millions de dollars.

Des investisseurs en terres agricoles ont traduit en justice des gouvernements dans le cadre du mécanisme de l’ISDS et continuent à le faire (voir quelques cas ci-dessous). Le message doit être clair. Il est important de garantir que les gouvernements aient les mains libres pour restreindre les droits de n’importe quel investisseur à acquérir des terres agricoles et que tous les privilèges accordés aux investisseurs étrangers dans le cadre des accords de commerce et d’investissement soient annulés.

Cas actuels d’ISDS concernant des investissements en terre agricole :

Cas résolus d’ISDS concernant des investissements en terre agricole :

 

Karuturi : la balance incessante

Impossible de parler des transactions foncières ratées sans mentionner Karuturi. Cette entreprise indienne, dirigée par l’homme qui porte ce nom, a fait les gros titres en 2009 quand elle a acquis des concessions couvrant plus de 300 000 hectares de terre agricole en Éthiopie, dans la région de Gambela. Karuturi, qui avait de grandes ambitions et prétendait devenir le Cargill de l’Afrique, a essayé d’obtenir plus de terres dans des pays comme la Tanzanie et le Nigeria. Karuturi

a réussi à clôturer et labourer plusieurs milliers d’hectares à Gambela. Pour réaliser son projet, il a déraciné de nombreuses communautés autochtones qui sont convaincues qu’on leur a volé leurs terres, que les compensations ont été insuffisantes et qu’on les a privées de leur accès à la nourriture, à l’eau et à leurs moyens de survie. Mais Karuturi n’est jamais parvenu à produire beaucoup et a choisi de blâmer Mère Nature.

En 2013, Le gouvernement d’Addis-Abeba s’impatiente et menace de retirer à Karuturi son permis d’exploitation. Comme dans d’autres pays, la politique de l’Éthiopie est « tu l’utilises ou tu le perds » (use it or lose it) : si un investisseur acquiert des terres mais ne les exploite pas correctement pendant un certain temps, la concession lui est retirée et donnée à d’autres investisseurs. Karuturi menace alors d’attaquer en justice les autorités éthiopiennes en utilisant les protections prévues pour les investisseurs par l’Agence de garantie des investissements (MIGA) de la Banque mondiale ou les dispositions concernant les différends investisseur-État prévues dans l’accord d’investissement bilatéral Inde-Éthiopie (voir encadré sur l’ISDS). Autant qu’on le sache officiellement, Karuturi n’avait aucune protection dans le cadre de la MIGA et il aurait donc été obligé d’utiliser l’accord d’investissement ou la pression diplomatique directe. Mais il n’existe aucune trace publique des moyens employés par Karuturi. Quelle qu’ait été la stratégie choisie, en septembre 2017, Karuturi annonce comme si de rien n’était qu’il reconnaît sa défaite et va quitter l’Éthiopie.

Les communautés concernées allaient-elles récupérer leurs terres ? Ceux qui avaient cherché refuge au Kenya allaient-ils pouvoir enfin retourner à Gambela ? À l’indignation générale, quelques mois plus tard, en mars 2018, le balancier repart dans l’autre sens et Karuturi annonce qu’il a réussi à renégocier un bail, probablement avec le nouveau gouvernement, pour 25 000 ha. On a peine à comprendre comment un projet aussi complètement raté que celui de Karuturi ait pu obtenir un nouveau bail, surtout au détriment des communautés locales qui étaient en droit d’espérer mieux du nouveau gouvernement.[15]

 

Addax : un désastre dans tous les sens du terme

En 2010, encouragée par la directive européenne sur les biocarburants, l’entreprise suisse Addax & Oryx Group, signe un protocole d’accord avec le gouvernement de Sierra Leone pour prendre à bail 10 000 ha pour une durée initiale de 50 ans près de Makeni, dans le nord du pays, et y cultiver de la canne à sucre. La canne serait transformée en éthanol pour l’exporter vers l’UE, tandis que les résidus seraient convertis en énergie pour le réseau électrique sierraléonais. L’exploitation a démarré, puis en 2014 la production d’éthanol et d’électricité. Peu après, le bail a été élargi à 57 000 ha. Les institutions financières de développement (IFD) du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Suède, l’Allemagne, la Belgique et la Suisse ont été mandatées comme co-financiers et des programmes sociaux ont été mis en place pour soutenir les communautés concernées par le projet. Ce projet était censé servir de vitrine en termes de durabilité et de redevabilité. Vers le milieu de l’année 2015 cependant, les activités cessent ; les dépenses excessives et de soi-disant mauvaises récoltes avaient mis l’entreprise en grande difficulté financière. Au début de 2016, les investisseurs abandonnent l’affaire. L’argent est rendu aux IFD et le projet vendu à un consortium sino-britannique pas très net. Dans toute cette histoire, 60 villages ont perdu leurs terres, près de 4 000 personnes ont perdu leur emploi et les communautés souffrent encore plus de la faim qu’avant le début du projet. Mais les Européens, eux, s’en tirent sans une égratignure. Comment expliquer un tel désastre ?

Le projet était entaché de problèmes depuis le départ. Les communautés n’avaient pas été consultées et se sentaient effectivement dépossédées de leur terre. Une partie seulement des emplois promis se sont matérialisés et les villageois ont subi la double perte de leurs sources de nourriture et de leurs ressources en eau salubre. Des conflits ont éclaté sans être jamais correctement résolus. De toute évidence, cette transaction n’a fait qu’accroître la pauvreté et la misère et le projet de production de biocarburant ne s’est guère matérialisé.

Quand les investisseurs se sont retirés, les paysans se sont retrouvés dépossédés de leurs terres, sans aucun moyen de les récupérer. Les groupes de la société civile qui, en Sierra Leone et en Europe, qui avaient suivi de près ce qui se passait sur le terrain, ont publié plusieurs rapports accablants.[16] Selon les agences de développement Bread for All [Pain pour le prochain] et Bread for the World :

« Les IFD n’ont pas subi de dommages et n’ont pas perdu le capital nécessaire à la continuation de leur mandat, car elles avaient récupéré leurs prêts et leur capital-investissement à la fin de 2015. Mais les acteurs les plus faibles du projet, les communautés au nom desquelles le projet était co-financé, ont été mal informées, elles ont été prises au dépourvu par l’abandon des opérations et ont été laissées dans des conditions difficiles. » [17]


Annexe

 


Références

[1]    Communication personnelle avec GRAIN, avril 2018.

[2]    Matthew Taylor, “2017 on course to be deadliest on record for land defenders”, The Guardian, 11 octobre 2017, https://www.theguardian.com/environment/2017/oct/11/2017-deadliest-on-record-for-land-defenders-mining-logging

[3]    Par “raté”, nous faisons généralement allusion à des projets qui ont été abandonnés, annulés, suspendus, peu performants ou ceux dont les investisseurs se sont retirés ou dont l’échelle a été réduite.

[4]    Les groupes que nous avons consultés resteront anonymes, mais nous leur sommes extrêmement reconnaissants ! Une grande partie de leurs remarques ont été utilisées ici.

[5]     En nous appuyant sur les données collectées publiquement par GRAIN par l’intermédiaire de son site farmlandgrab.org, et après validation par contact direct avec des journalistes et des groupes locaux 

[6]    Communication personnelle avec GRAIN, 3 avril 2018.

[7]    “PDIDAS : Entre tâtonnements, déceptions et contestations”, NDAR Infos, 27 septembre 2017, https://www.ndarinfo.com/PDIDAS-Entre-tatonnements-deceptions-et-contestations_a19998.html

[8]    Kinyuru Munuhe, “Mystery as Sh2b Malindi sugar ‘plant’ probe stalls”, Mediamax, Nairobi, 29 avril 2016, http://www.mediamaxnetwork.co.ke/people-daily/217075/mystery-as-sh2b-malindi-sugar-plant-probe-stalls/

[9]    Voir GRAIN, “Comment nourrir le 1 %”, 7 octobre 2014, https://www.grain.org/article/entries/5049-comment-nourrir-le-1 et Surajeet Das Gupta et al, “C Sivasankaran: Once the country's most astute deal maker, now a bankrupt entrepreneur”, Business Standard, 6 septembre 2014, http://www.business-standard.com/article/companies/c-sivasankaran-once-the-country-s-most-astute-deal-maker-now-a-bankrupt-entrepreneur-114090501264_1.html

[10]   Début 2018, il semblerait que la terre ait à nouveau changé de mains : les Italiens l’avaient laissée à leur partenaire sénégalais qui l’a maintenant passée à … des Russes ??

[11]   Ceci a été particulièrement bien mis en évidence dans le cas des membres de la Table ronde pour l’huile de palme durable (RSPO en anglais). Voir par exemple, Friends of the Earth Europe, “External concerns on the RSPO and ISP certification schemes”, 2018, http://www.foeeurope.org/sites/default/files/eu-us_trade_deal/2018/report_profundo_rspo_ispo_external_concerns_feb2018.pdf

[12]   Le programme “Special Agriculture and Business Leases” ou SABL [le mécanisme utilisé en Papouasie Nouvelle-Guinée pour les acquisitions récentes de terres] en tant que politique nationale peut lui aussi être considéré comme un échec en soi. Voir Act Now PNG pour plus d’informations : http://actnowpng.org/campaign/sabl

[13]    Les données d’Open Development Cambodia font état de 257 ELC accordées jusqu’en 2012, tandis que la Ligue cambodgienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme parle de 274 ELC couvrant 2,1 millions d’hectares.

[14]   Communication personnelle avec GRAIN, mars 2018.

[15]   Pour plus de détails sur la question, voir Anywaa Survival Organisation, “It’s time to end land grabs and establish food sovereignty in Gambela”, mai 2018, http://www.anywaasurvival.org/wp-content/uploads/2018/05/ASO_Report_May_2018.pdf

[16]   Voir en particulier Swedwatch, "No business, no rights", 6 novembre 2017, http://www.swedwatch.org/en/regions/africa-south-of-the-sahara/swedfund-fmo-lacked-responsibility-leaving-project-without-exit-strategy/ et Brot für Alle & Brot für die Welt, "The weakest should not bear the risk – The case of Addax Bioethanol in Sierra Leone", septembre 2016, https://brotfueralle.ch/content/uploads/2017/07/1609_Addax_The-Weakest-Should-not-Bear-the-Risk.pdf

[17]   Brot für alle & Brot für die Welt, “The weakest should not bear the risk”, 2016, https://brotfueralle.ch/content/uploads/2016/06/The-Weakest-Should-not-Bear-the-Risk.pdf

 

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