Au Mali, les nouvelles mises en culture bénéficient surtout aux investisseurs libyens

LE MONDE | Sécurité alimentaire (2/5) | 15.04.09 | Article paru dans l'édition du 16.04.09


NIONO, SÉGOU, TONGORONGO ENVOYÉE SPÉCIALE

Ils ont des mines inquiètes. Ce matin-là, à Niono, dans le centre du Mali, des petits producteurs de riz sont réunis au siège de leur syndicat, le Sexagon. En bout de table, Lamine Fané se lance : "La politique du gouvernement est tournée vers les investisseurs étrangers. Mais nous, qu'allons-nous devenir ?" Il enchaîne : "Si on installe de grands opérateurs privés, le réseau d'eau pourra-t-il satisfaire tout le monde ?" Dans les exemples qu'il a en tête, les étrangers se portent candidats pour exploiter des milliers d'hectares, quand les paysans en cultivent trois en moyenne dans cette zone de l'Office du Niger.

Lors de la création de l'établissement public par les colons français dans les années 1930, le potentiel de la zone était estimé à 1 million d'hectares. Aujourd'hui, 80 000 seulement sont cultivés. Le gouvernement a confié à l'office la mission d'en faire exploiter 120 000 de plus d'ici à 2020. Ici, il y a de quoi rendre autosuffisant le Mali en riz, voire d'en faire une puissance exportatrice, un atout en période de crise alimentaire. Mais faute de moyens, l'Etat compte sur les capitaux étrangers pour mettre des terres en culture, et construire des routes et des canaux d'irrigation.

Les paysans ont fait l'addition : parmi les projets d'extension, ceux portés par les étrangers concernent 360 000 hectares, contre 9 000 pour ceux des petits paysans. Leur inquiétude est en outre alimentée par le gigantisme des dossiers et la crainte des expulsions. Ils citent des aménagements sur 14 000 hectares financés par le gouvernement américain en coopération avec le Mali, sous le nom de Millennium Challenge Account. Une partie des terres nouvellement irriguées sera distribuée aux autochtones. Mais le reste ?

L'octroi de 100 000 hectares à la société Malibya, liée à la famille du dirigeant libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, fait grand bruit. "Les hectares des Libyens sont au début des canaux d'irrigation, ils seront servis en eau avant nous", regrette un paysan. "Même s'ils disent opérer dans le cadre de la coopération, nous ne comprenons pas bien quels sont les intérêts derrière tout cela", résume Mamadou Goïta, de l'ONG malienne Afrique verte.

Les producteurs redoutent aussi les intentions des Chinois de développer la canne à sucre, gourmande en eau. Ils en cultivent déjà 6 000 hectares et contrôlent la sucrerie Sukala.

Ce n'est pas l'inquiétude qui règne à l'Office du Niger, mais l'optimisme. Tous ces projets sont qualifiés par Seydou Traoré, le PDG, de "précurseurs". Le style colonial du siège, à Ségou, en impose, tout comme lui. "Tous les partenaires qui le souhaitent doivent nous aider", dit-il. Les aménagements ne se feront pas du jour au lendemain. Les Libyens, auxquels des baux de trente ans renouvelables ont été octroyés, commencent par 25 000 hectares. Seydou Traoré rallonge la liste dressée par les producteurs : un projet de culture de canne à sucre d'un groupe à capitaux américains et sud-africains, pour 15 000 hectares. Et 11 000 autres attribués à l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), où seront installés des ressortissants des huit pays membres.

"Je suppose que tous ceux qui viennent chercher des terres veulent exporter, mais nous pensons qu'il en reviendra un peu pour le Mali", lâche M. Traoré. Tout juste ajoute-t-il qu'il faut s'assurer que les paysans ne deviendront pas des ouvriers agricoles. Il réclame aussi des écoles ou des dispensaires.

Le PDG est conscient que le partage de l'eau s'annonce difficile. Des dents grincent déjà. A vingt minutes de piste de Niono, de rares parcelles de riz de "contre-saison" - l'éventuelle deuxième récolte de l'année - verdissent le paysage. Pour la première fois, la redevance à acquitter auprès de l'Office pour utiliser ses canaux d'irrigation est la même que pour la récolte principale, contre 10 % du montant auparavant.

"C'est parce qu'ils veulent garder l'eau pour la culture de la canne à sucre des Chinois et des Américains", suppose Faliry Boly, du Sexagon. Son syndicat s'interroge sur l'attitude future du gouvernement. Le 10 avril, un remaniement ministériel a été annoncé. L'Office du Niger va devenir un secrétariat d'Etat rattaché au premier ministre et basé à Bamako, la capitale. Faut-il s'en inquiéter ?

Pour l'heure, les paysans espèrent que leur sort sera pris en compte. Ils voudraient, eux aussi, profiter de l'engouement qu'a suscité la flambée des cours. De plus en plus, ils se regroupent en coopératives pour vendre à meilleur prix. Ils ont applaudi l'"Initiative riz", lancée par le gouvernement en 2008, qui a subventionné les engrais à hauteur de 50 %. Mais ceux-ci ne sont pas arrivés à temps.

En amont du fleuve, à Tongorongo, village situé hors de la zone de l'Office, on a pu en revanche en profiter. Alors l'espoir renaît. Allassan Maïga, qui suit la production de 33 villages, fait le compte : "Nous avons 3 500 hectares et nous n'en cultivions que 2 300. Nous sommes passés à 2 600 en 2008 et ce sera 3 050 en 2009."

Amadou Moussa Tanapo a bénéficié en plus d'herbicides apportés par une fondation française, Farm. Il a pu cultiver cinq hectares au lieu de deux. "Je n'avais jamais assez de riz pour nourrir ma famille. Cette année, cela devrait suffire", dit-il. Il pourra même peut-être en vendre. Dans ces villages où les paysans sourient, on n'entend pas, pour l'heure, parler d'investissements étrangers.

Prochain volet : les Maldives.

Laetitia Clavreul

  • Sign the petition to stop Industria Chiquibul's violence against communities in Guatemala!
  • Who's involved?

    Whos Involved?


  • 13 May 2024 - Washington DC
    World Bank Land Conference 2024
  • Languages



    Special content



    Archives


    Latest posts