Une loi pour réguler l’accès aux terres agricoles… qui rate le coche

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« Ce texte [est] trop faible, voire contre-productif, pour lutter contre l’accaparement de terres », ont dénoncé plusieurs organisations paysannes et environnementales dans un communiqué.

Reporterre | 25.05.2021

Une loi pour réguler l’accès aux terres agricoles… qui rate le coche

Lorène Lavocat (Reporterre)

La proposition de loi sur la régulation de l’accès au foncier agricole portée par la majorité au pouvoir part d’un constat partagé, celui de la concentration des terres. Mais pour ses opposants, ses lacunes comme les nombreuses dérogations qu’elle prévoit tuent dans l’œuf l’espoir du changement attendu.

Des milliers d’hectares de céréales et plusieurs centaines de vignobles sont récemment passés aux mains d’investisseurs : en France, l’accaparement des terres agricoles est un « phénomène exponentiel » selon le député socialiste Dominique Potier. Contre cette dynamique délétère, une proposition de loi de la République en marche arrive au menu de l’Assemblée nationale ce mardi 25 mai.

Déposé par le député Jean-Bernard Sempastous, ce texte « portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires » souligne la « préservation indispensable » des terres, « s’agissant d’une ressource rare, non reproductible et garante de notre souveraineté alimentaire ». Or depuis quelques années, une logique infernale est à l’œuvre : tandis que le nombre de paysans ne cesse de diminuer, la taille des exploitations continue d’augmenter. Entre 1988 et 2013, la surface moyenne d’une ferme a ainsi doublé. Ce phénomène a un nom : la concentration des terres. Elle se fait souvent au bénéfice d’agriculteurs — qui élargissent goulûment leur patrimoine et empochent davantage d’aides publiques — mais elle peut également profiter à des investisseurs qui ne mettront jamais (ou si peu) les pieds dans la terre.

Près des deux tiers de la surface agricole utile sont aujourd’hui gérés par des sociétés : la plupart sont composées de familles d’agriculteurs, mais une part croissante — 44 000, soit 10 % selon la proposition de loi — constitue « une agriculture de firmes avec des structures pouvant atteindre plusieurs milliers d’hectares ». Aujourd’hui, les pouvoirs publics — Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), préfecture, DDT — peuvent limiter l’agrandissement des fermes lors de ventes de parcelles. Elles n’ont en revanche aucun pouvoir sur les transactions financières : en clair, elles ne peuvent pas empêcher la prise de contrôle d’une exploitation agricole par un investisseur, étranger ou non. Ces opérations financières auraient concerné quelque 616 000 hectares en 2019.

Cet accaparement menace directement notre agriculture, observe le député Sempastous, en favorisant le développement de monocultures gourmandes en pesticides et en détruisant des emplois en milieu rural. « L’installation de jeunes agriculteurs s’en trouve entravée », note aussi le texte de loi. « Pour la vitalité d’un territoire, il vaut bien mieux des exploitations diversifiées et à taille humaine qu’une agriculture de firme, résume M. Potier, joint par Reporterre. Sinon, l’enrichissement de quelques-uns provoque l’appauvrissement de tous. »

Un texte « trop faible, voire contre-productif »

Le député socialiste se bat depuis près de dix ans en faveur d’une « grande loi foncière » à même de protéger nos terres. Las, le gouvernement a remis cette ambition aux calendes grecques, et préfère aujourd’hui prendre le problème par le petit bout de la lorgnette. « Ce texte [est] trop faible, voire contre-productif, pour lutter contre l’accaparement de terres », ont dénoncé plusieurs organisations paysannes et environnementales dans un communiqué.

Qu’est-ce qui bloque ? « La proposition de loi [entend soumettre] à autorisation préalable les mouvements de parts sociales qui, réalisés au profit d’agriculteurs ou d’investisseurs financiers, leur confèrent, directement ou indirectement, un pouvoir de contrôle sur une surface de terres agricoles excédant un certain seuil », salue certes le juriste François Collart-Dutilleul, dans un billet de blog, mais il pointe d’importants « trous dans la raquette » : notamment, elle « laisse de côté la question des investissements dans la terre agricole réalisés par des étrangers ».

Elle prévoit en outre tant de dérogations possibles qu’elle en deviendra inefficace, craint le juriste : en effet, la concentration de terres pourra être autorisée si elle contribue « au développement du territoire ou à la diversité de ses systèmes de production au regard notamment des emplois créés et des performances économique, sociale et environnementale qu’elle présente », indique le texte. « On peine à imaginer un seul cas dans lequel il ne sera pas possible de voir dans une grande concentration de terres une possibilité de "développement", accompagnée de quelques "emplois" et justifiant une "performance économique" ou sociale », observe M. Collart-Dutilleul. Résultat, « le remède pourrait être pire que le mal », craint le député Potier.

Les organisations paysannes et écolos appellent donc les parlementaires à « agir pour que cette loi ne soit pas un coup d’épée dans l’eau ». M. Potier a déposé en ce sens dix-sept amendements. Il demande entre autres que soit fixé un seuil pour l’agrandissement, et que soit institué un « traitement équitable entre tous les requérants », jeunes aspirants paysans ou fonds d’investissement. « Notre conviction profonde est qu’il n’y aura pas d’agroécologie sans relève et qu’une relève est impossible sans une politique foncière juste », dit le député.

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