La France agricole encore à l'écart des appétits chinois

La Chine est à la recherche de grandes exploitations agricoles à l'étranger à des fins d'investissement et pour assurer son autosuffisance alimentaire selon des critères qui excluent pour l'instant la plupart des pays européens dont la France. (Photo d'archives/REUTERS/Pascal Rossignol)

Reuters | le 21/09/2009

La Chine est à la recherche de grandes exploitations agricoles à l'étranger à des fins d'investissement et pour assurer son autosuffisance alimentaire selon des critères qui excluent pour l'instant la plupart des pays européens dont la France.

"L'agriculture offshore est rentable sur des exploitations de 10.000 ou 50.000 hectares", souligne Robert Levesque, directeur de Terres d'Europe, le bureau d'étude des Safer (Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural). "A ce titre, la France n'intéresse pas encore la Chine, celle-ci va plutôt en Amérique latine ou en Afrique."

Si la taille des exploitations en France, premier pays agricole de l'Union, augmente régulièrement - plus de 20% d'entre elles affichaient entre 100 et 200 hectares en 2007 - la surface moyenne dans l'Hexagone tourne toujours autour de 80 ha.

"Ce que lorgnent avant tout les fonds d'investissement, qu'ils soient privés ou souverains, ce sont des coûts de production très inférieurs", ajoute Alain Karsenty, chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).

"L'Argentine, par exemple, est un pays beaucoup plus vide, avec des propriétés en vente mesurant des dizaines, voire des centaines de milliers d'hectares, ce qui permet de jouer sur des effets d'échelle", ajoute-t-il.

Le Cirad a organisé au début du mois à Montpellier un séminaire consacré au processus d'appropriation à grande échelle à l'oeuvre dans les pays du Sud. "Bien que les prix des matières premières agricoles soient retombés des plus hauts de 2007 et 2008 et que les annonces de grands projets ne soient pas toujours suivies d'effets, les terres arables sont devenues depuis plusieurs années un actif stratégique, et elles le restent aujourd'hui", poursuit Alain Karsenty.

DIX MILLIONS DE PAYSANS CHINOIS EN AFRIQUE ?

La Chine, mais aussi des pétromonarchies du Golfe, ne cachent pas leurs ambitions agricoles à l'étranger. Outre le souci de devoir élargir une surface agricole utile trop limitée pour nourrir leur population, l'objectif est aussi purement financier grâce à des cultures très rentables, comme l'hévéa pour le caoutchouc ou le palmier à huile.

En Europe, précise l'ONG internationale Grain, qui cherche à promouvoir la biodiversité agricole, ce sont surtout des fonds privés européens qui occupent le terrain, comme AgriSar lancé en 2008 par Sarasin au Royaume-Uni, ou le suédois Alpcot Agro, dédié à la Russie et à l'Ukraine.

Les agriculteurs français investissent aussi en Roumanie, où 15% de la surface totale seraient aujourd'hui aux mains de propriétaires européens selon l'hebdomadaire France agricole, tandis que la Deutsche Bank a l'intention d'investir dans l'élevage en Chine, d'après un rapport de Grain intitulé "Main basse sur les terres agricoles".

"Les journées du Cirad ont montré que les investissements se font beaucoup dans les pays où les droits de propriété ne sont pas forcément très clairs et où règnent un certain nombre d'ambiguïtés", souligne Alain Karsenty. "En France, vous avez un régime de propriété privée fortement établi, cela paraît donc beaucoup plus difficile."

Mais pas impossible, précise Robert Levesque dans le cas de certaines exploitations sociétaires. Et cette forme juridique gagne du terrain: beaucoup de Gaec "père-fils" se transforment en exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) au départ à la retraite de l'exploitant le plus âgé. Plus grandes, moins familiales, les structures foncières se rapprochent ainsi des critères de choix des investisseurs offshore.

Les accords de coopération agricole que Pékin a signés avec plusieurs pays africains ont permis l'installation de plus d'une dizaine de fermes expérimentales en Zambie, au Zimbabwe, en Ouganda et en Tanzanie. Certains estiment qu'un million de paysans chinois pourraient travailler la terre en Afrique d'ici 2010, surtout des victimes de l'exode rural qui accompagne l'industrialisation à marche forcée du pays.

Cette ruée sur les terres agricoles est parfois bien accueillie car elle stimule la concurrence et apporte des techniques permettant d'améliorer les rendements. Elle peut aussi provoquer des remous sociaux et politiques, comme dans le cas du projet du coréen Daewoo Logistics de louer plus d'un million d'hectares à Madagascar.

"C'est une tendance très forte et qui va continuer", prédit Devlin Kuyek, chercheur à Grain. "Mais l'objectif est surtout de produire pour l'exportation, ce qui laisse peu de place aux paysans locaux."

"L'enjeu qui se dessine très rapidement, ce sont deux modèles de développement: une grande agriculture mécanisée sur de grandes surfaces, ou bien un modèle d'agriculture familiale, plus intéressant pour le développement local", résume Alain Karsenty. "Le débat ne fait que commencer."

Edité par Marc Joanny

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