Les contrats d’investissement agricole, opportunité à encadrer

Paysage à l’est du Congo. « Entre 15 et 20 millions d’hectares de terres agricoles ont fait ainsi l’objet de transactions fermes, ou de promesses de transactions, au profit d’investisseurs étrangers. »

Les Afriques | 23-10-2009

Une vingtaine de millions d’hectares, pour une valeur d’environ 30 milliards de dollars, ont été cédés à des investisseurs étrangers. La transaction n’est pas mauvaise en soi pour Aboubacar Fall, conseiller juridique de la BAD. Il faut toutefois l’encadrer.

Propos recueillis par Hance Guèye, Dakar

Les Afriques : Des pays africains signent de plus en plus des contrats d’investissement agricole avec des investisseurs du dehors du continent. Qu’est-ce qui explique cette subite tendance ? Comment le problème se présente-t-il aujourd’hui ?

Aboubacar Fall : L’un des effets majeurs de la récente crise alimentaire a été la multiplication des contrats ou accords par lesquels certains pays acquièrent, dans des pays en développement, des terres ou surfaces agricoles destinées à garantir leur sécurité alimentaire. C’est ainsi que plusieurs pays africains ont conclu de tels accords, impliquant d’importantes surfaces agricoles cédées sous une forme ou une autre à des investisseurs étrangers.

« Le risque majeur réside dans le déséquilibre entre les petits paysans locaux et les puissants investisseurs étrangers, en cas de négociation d’une transaction. »

C’est, notamment, le cas du Soudan, de la République démocratique du Congo, de l’Ethiopie ou de Madagascar. Des recherches ont indiqué qu’en Afrique entre 15 et 20 millions d’hectares de terres agricoles ont fait ainsi l’objet de transactions fermes, ou de promesses de transactions, au profit d’investisseurs étrangers. Selon l’Institut international de recherche sur la politique agricole, ces transactions sont estimées à environ 30 milliards de dollars.

LA : Quelle est la justification de ce phénomène ?

AF : Il faut dire que les investissements étrangers dans le secteur agricole des pays en développement ne sont pas un phénomène nouveau. Mais, alors que ces investissements avaient un objectif purement commercial, il s’agit aujourd’hui, d’une démarche d’ordre stratégique. En effet, le but recherché par ces investisseurs étrangers est d’assurer à leurs pays respectifs des approvisionnements réguliers en produits agricoles, destinés à les protéger contre les effets des récentes crises alimentaires et énergétiques. En d’autres termes, il s’agit pour les pays qui manquent cruellement de terres agricoles et de ressources en eau, de pallier ce manque par la conclusion de contrats de concessions ou de baux de longue durée contre des devises étrangères, au profit des pays pauvres.

Le paradoxe est que, par exemple, un pays tel que l’Ethiopie a conclu ce type de transaction avec l’Arabie saoudite, alors même que sa propre population est confrontée à une crise alimentaire et dépend de l’aide humanitaire d’urgence du Programme alimentaire mondial (PAM).

LA : L’Afrique peut-elle tirer quelque avantage de ces contrats, en dehors bien sûr du gain financier immédiat ?

AF : Les bénéfices peuvent être nombreux pour les paysans et s’exprimer par la création d’un nombre important de fermes ou d’emplois salariés sur ces fermes, la création d’infrastructures rurales, d’écoles, de postes de santé, etc.

D’autres aspects positifs pourraient se traduire par l’acquisition de nouvelles technologies et de pratiques agricoles, de même qu’une stabilité des prix et une augmentation de la production agricole profitant tant au marché intérieur qu’à celui de l’exportation.

LA : Ces investissements présentent-ils des risques ?

AF : S’il est vrai que les investissements dans le secteur agricole sont nécessaires dans les pays africains, il faut cependant reconnaître que les conditions juridiques et financières qui encadrent ces transactions, ainsi que l’importance des surfaces arables cédées, restent, en général, très confidentielles, provoquant ainsi de violentes réactions des populations. C’est ainsi qu’au Mozambique, les paysans se sont opposés à l’établissement de milliers de travailleurs chinois sur leurs terres agricoles. Il en serait de même à Madagascar, où des négociations entre le gouvernement et la société coréenne Daewoo Logistics, relatives à la cession d’une superficie de 1,3 million d’hectares pour la culture de maïs et d’huile de palme, aurait été à l’origine des troubles sociopolitiques qui ont précipité la chute du gouvernement.

LA : Les paysans ne sont-ils pas démunis face à ces géants ?

AF : Bien sûr que si. Le risque majeur réside dans le déséquilibre entre les petits paysans locaux et les puissants investisseurs étrangers, en cas de négociation d’une transaction. En effet, non seulement leurs capacités de négociation ne sont pas les mêmes, mais en outre, les petits paysans n’ont même pas les moyens de coercition nécessaires, si les investisseurs ne respectaient pas leurs engagements contractuels.

Un autre risque important réside dans le fait que, souvent, ces paysans n’ont pas de titres leur conférant la propriété des terres qu’ils exploitent. Devant une telle situation, il est alors facile, pour l’investisseur étranger, d’obtenir, sinon leur éviction sans indemnité, du moins l’acquisition de ces terres à des conditions extrêmement avantageuses. Par ailleurs, outre leur valeur économique, les terres ainsi acquises peuvent abriter des sites à fort contenu culturel ou spirituel. Dès lors, le risque est grand de voir se développer des mouvements d’instabilité sociopolitique dans la zone agricole considérée.

LA : Quelles solutions préconiseriez-vous pour que l’Afrique tire le meilleur parti de ces investissements ?

AF : Tout d’abord, il conviendrait d’introduire plus de transparence dans la conclusion de ces transactions, notamment par l’implication de la société civile et de toutes les autres parties prenantes au projet. Compte tenu des conséquences environnementales et sociales induites par ces cessions de terres agricoles, il serait impératif de conduire des études d’impacts environnementaux et sociaux approfondies, afin de prévenir le déplacement des populations ainsi que les effets à moyen et long terme de l’épuisement des sols et de la dégradation de la biodiversité, d’une part, et d’identifier les mesures de leur atténuation, d’autre part…

La négociation des termes et conditions de ces investissements doit avoir comme objectif final d’assurer une solution gagnant-gagnant, en permettant aux populations locales de continuer de détenir et de mettre en valeur les terres agricoles dans le cadre de partenariats avec les investisseurs étrangers. A cet égard, la Facilité africaine de soutien juridique (créée avec l’appui de la Banque africaine de développement) pourrait fournir l’assistance nécessaire à des négociations relativement équilibrées. En effet, un des objectifs majeurs de cette Facilité est d’apporter aux pays africains un appui juridique à l’occasion de la négociation de « contrats commerciaux complexes ». A notre avis, il ne fait aucun doute que les transactions relatives aux investissements agricoles rentrent parfaitement dans la définition de la notion de « contrats commerciaux complexes » telle que prévue par l’accord portant création de la Facilité.

De même, l’adoption d’un code de conduite international, à l’image de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, s’avère indispensable. Un tel instrument juridique inclurait, notamment, l’interdiction faite à l’investisseur étranger d’exporter la production agricole lorsque le pays d’accueil fait face à une pénurie ou une crise alimentaire.

Il faut dire qu’en définitive, toutes les solutions préconisées ci-dessus sont dans l’intérêt de l’investisseur, qui aurait ainsi la garantie de transactions équilibrées, transparentes et inscrites dans le long terme, sans risque d’être remises en cause par les futurs gouvernements ou par les populations locales.

* Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de M. Fall et ne représentent pas nécessairement celles de la Banque africaine de développement.
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