Lettre ouverte au Fonds de pension norvégien

A l’attention de :
Nicolai Tangen, directeur général, Norges Bank Investment Management
Øystein Børsum, président du comité de propriété du conseil exécutif de la NBIM
Kristine Ryssdal, membre du comité de propriété du conseil exécutif de la NBIM
Nina Udnes Tronstad, membre du comité de propriété du conseil exécutif de la NBIM

En copie :
Carine Smith Ihenacho, Chief Governance and Compliance Officer, NBIM
Snorre Gjerde, Lead Investment Stewardship Manager, Corporate Governance, NBIM

Objet :
Votre décision de rester actionnaire du groupe Bolloré

31 juillet 2024

Monsieur Tangen, Mesdames et Messieurs les membres du conseil d'administration

En tant qu'organisations et alliés des communautés affectées par les plantations de palmiers à huile et d'hévéas du groupe Socfin en Afrique et en Asie, nous souhaitons exprimer notre mécontentement face à votre décision du 26 juin 2024 de ne pas vous retirer de l’actionnariat de Bolloré SE et de la Compagnie de l'Odet SE. Ces deux sociétés financent et dirigent les opérations du groupe Socfin. Les impacts négatifs des plantations de Socfin dans une série de pays sont bien documentés et ne cessent de croître. Votre décision de chercher à engager le groupe Bolloré sur ses responsabilités au cours des deux prochaines années, plutôt que de prendre des mesures décisives maintenant, est insatisfaisante et met les gens et l’environnement en danger.

Le Conseil d'Éthique du Fonds de Pension Norvégien vous a clairement recommandé de vendre vos actions sur la base d'un rapport d'enquête approfondi sur la situation au Cameroun. L'enquête a mis en évidence les mauvaises conditions de travail, les violences sexistes et le harcèlement sexuel dans les plantations. Elle a fait état du conflit foncier qui sous-tend cette relation tendue et des tentatives infructueuses de résolution de ces problèmes pendant de nombreuses années. Le fait que le groupe Bolloré n'ait pas “éclairé” les enquêteurs sur la situation est révélateur du désintérêt de l'entreprise à trouver une solution équitable à ces conflits.

L'exercice des droits de propriété comme moyen d'atténuer les risques en matière de droits humains peut s’appliquer lorsqu'une entreprise n'est pas consciente des risques, qu'elle n'est pas en mesure de les gérer elle-même ou qu'elle fait preuve de progrès pour les résoudre. Dans le cas présent, comme le reconnaît la NBIM dans sa décision, le groupe Bolloré est bien conscient des problèmes et a la capacité de les résoudre. Pourtant, loin d'améliorer la situation au Cameroun et ailleurs, le groupe Bolloré ignore délibérément les problèmes. En témoigne le refus du groupe Bolloré de mettre en œuvre comme convenu le plan d’action élaboré avec les organisations de la société civile pour résoudre les problèmes rapportés dans leur plainte (« circonstance spécifique ») déposée auprès du Point de Contact National français de l’OCDE. Compte tenu de ce refus, les communautés n’ont eu d’autre choix que de saisir le juge français afin d’obtenir l’exécution forcée du plan d’action. Et en défense, Bolloré n’a eu de cesse d’utiliser tous les arguments à sa disposition pour tenter d’empêcher que leur action puisse être portée devant la justice.

La situation au Cameroun et dans d'autres pays s'est encore détériorée depuis que le Conseil d'Éthique a émis ses recommandations.

• La Socfin a indiqué qu'elle cherche à vendre la Salala Rubber Corporation au Libéria, une plantation d’hévéas de 8 000 hectares qui est source de grandes souffrances pour les communautés voisines. Leurs terres ont été détournées, des femmes riveraines ont été la cible d'abus sexuels et de violences, et les travailleurs se plaignent de mauvaises conditions de travail et de vie. Des procédures sont en cours devant les tribunaux nationaux ainsi que la Société financière internationale, et les communautés craignent que la Socfin ne se débarrasse de ces problèmes non résolus par le biais de la vente. Suite aux violences qui ont éclaté le 27 juin 2024, la plantation a été fermée pour une durée indéterminée. La situation n'est pas tenable.

• Au Cameroun, les membres de la communauté d'Apouh, dont des terres sont occupées par les plantations d’une filiale du groupe Socfin, luttent pour obtenir suffisamment de terres pour assurer leur subsistance. Ils tentent actuellement d'empêcher l'entreprise de replanter des palmiers à huile près de chez eux. Ce mois-ci, le bétail de la plantation de Socfin a détruit leurs maigres jardins, les plongeant encore plus dans le désespoir. Eux aussi ont essayé, sans grand succès, d'engager la compagnie, les autorités locales et le gouvernement national à résoudre cette situation qui ne cesse de s'aggraver.

• La Fondation Earthworm, qui a été chargée par Socfin d'enquêter sur ces plaintes, vient de publier un rapport accablant sur la situation en Sierra Leone. Earthworm a produit un certain nombre d’enquêtes de ce type au Nigeria, au Liberia et au Cameroun au cours de l'année écoulée, mais celle-ci est consternante. Elle confirme de nombreux problèmes que les communautés locales de Malen tentent en vain de résoudre depuis de nombreuses années, qu'il s'agisse de l'accès à la terre, de la sécurité alimentaire, des violations du droit du travail, du harcèlement sexuel, etc.

Nous avons nous-mêmes parlé directement de ces questions aux dirigeants des groupes Bolloré et Socfin lors de la réunion annuelle de Socfin en mai. Bien qu'ils aient reconnu l'existence de ces problèmes, aucune action n'est prévue. Nous avons également alerté directement la NBIM sur les impacts négatifs à partir de décembre 2023.

Nous vous demandons instamment de reconsidérer votre décision et de vous engager à désinvestir immédiatement du groupe Bolloré. En s'ajoutant à la recommandation de l'association suisse des fonds de pension de faire de même, cela enverrait le bon message sur le fait que ces entreprises sont en réalité irresponsables.

A défaut, vous contribuerez aux effets négatifs continus de Socfin.

Nous vous remercions et vous prions d'agréer, Mesdames, Messieurs, l'expression de nos salutations distinguées,

Signé :

ActionAid France
Advocates for Community Alternatives (Ghana)
Alliance for Rural Democracy (Liberia)
Association Française d'Amitié et de Solidarité avec les Peuples d'Afrique (AFASPA) (France)
Bunong Indigenous Peoples Association (BIPA) (Cambodia)
Confédération Paysanne (France)
Down to Earth Consult (Allemagne)
FIAN Belgium
FIAN Switzerland
GRAIN (international)
HEKS (Suisse)
INSPIRIT Creatives NGO (Allemagne)
Milieudefensie (Pays-Bas)
Mouvement mondial pour les forêts tropicales (international)
ReAct Transnational (France)
SOLIFONDS (Suisse)
SOS FAIM (Luxembourg)
Synergie Nationale des Paysans et Riverains du Cameroun (SYNAPARCAM) (Cameroun)
The Oakland Institute (États-Unis)

En solidarité:

Collectif pour la défense des terres malgaches - TANY (Madagascar / France)
Community Forest Watch (Nigeria)


Version PDF : Lettre ouverte au Fond de pension norvégien 2024-07-31.pdf 
Version anglaise : https://farmlandgrab.org/32338
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https://farmlandgrab.org/post/32339
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