Eco Matin (Cameroun) | 2 septembre 2024
Bourse du Luxembourg : de nouvelles accusations de violations de droits humains à la Société Camerounaise des Palmeraies
Violations graves des droits du travail, violences sexuelles et harcèlement des femmes par des superviseurs et agents de sécurité des plantations… Une enquête du Comité d’éthique du fonds de pension norvégien, actionnaire du groupe Bolloré, sur les opérations de Socfin au Cameroun imputent de graves méfaits à ce mastodonte de l’agro-industrie qui contrôle Socapalm et Safacam. Détenteur de 39,75% de parts dans Socfin, le groupe Bolloré et son partenaire Fabri s’activent sur la place luxembourgeoise pour tenter de sauver la face.
Par Simon Pierre Mbarga
Le rapport du Comité d’éthique du fonds de pension norvégien (Norwegian Government Pension Fund Global-GPFG) est venu enfoncer la situation du géant luxembourgeois de l’agro-industrie Socfin, dans lequel le groupe français Bolloré détient des parts. Ce rapport, publié en juin 2023 après 15 ans de dénonciations diverses et variées, met en évidence un catalogue des comportements erratiques dans certaines filiales de la Société financière des caoutchoucs (Socfin), dont celle du Cameroun où le groupe est actionnaire majoritaire de la Société Camerounaise des Palmeraies (Socapalm) et la Société africaine forestière et agricole du Cameroun (Safacam). Socfin est respectivement contrôlé à hauteur de 39,75% et 55,38% par le groupe Bolloré et la famille Fabri. Les 5% restants (le flottant) sont listés à la bourse du Luxembourg.
Ainsi, la liste des méfaits imputés à ce mastodonte est impressionnante et longue : violations graves des droits du travail, viols, violences sexuelles et harcèlement des femmes par les superviseurs et les agents de sécurité des plantations. « Il est ressorti que les viols se produisent souvent lorsque les femmes sont obligées de traverser les plantations de la Socapalm pour rejoindre la propriété́ familiale, où elles récoltent les fruits du palmier à huile. Les hommes accusent couramment les femmes de voler la Socapalm pour "justifier" leurs agressions. Les viols ne semblent pas avoir fait l’objet d’enquêtes ni de sanctions importantes, et la Socapalm n’a versé́ aucune indemnisation autre qu’à la victime de l’affaire de 2016 », peut-on lire.
GPFG pointe également du doigt l’agro-industriel, d’utiliser une main-d’œuvre principalement constituée de travailleurs contractuels ou journaliers dans ses exploitations agro-industrielles, d’absence de contrat de travail, de payer des salaires inférieurs au salaire minimum légal. Celui-ci est réduit pour ne pas payer des prestations sociales aux employés. Sur les 7 335 employés que comptait la Socapalm, au 31 décembre 2022, moins de la moitié étaient des salariés permanents. Et même dans cette fourchette, les contrats que leur propose le mastodonte de l’agro-industrie sont jugés contraignants par GPFG. « Dans les contrats de travail examinés, des éléments clés manquaient. Cela comprend le nombre d'heures de travail par jour et de jours de travail par semaine, les dispositions relatives aux heures supplémentaires et aux congés de maladie, les conditions de licenciement et le délai de préavis. (…) Les salaires variaient entre 0,1 et 0,3 euro par heure. Pour atteindre le salaire minimum légal au Cameroun, qui correspond à 55,24 euro par mois, un employé permanent devrait travailler 200 à 550 heures par mois ».
Cette rafale de traitements inhumains a conduit le comité d’éthique de ce fonds de pension norvégien à demander de sortir le groupe Bolloré de son portefeuille d’investissement « en raison du risque que ces sociétés contribuent à des violations graves et systématiques des droits de l’Homme ». GPFG détient en effet 1,15 % des actions de la société Bolloré et 0,13% de Cie et l’Odet, également la propriété du groupe français.
Radiation à la Luxembourg Stock Exchange
Mais acculée de toutes parts par cette mauvaise image, le groupe a adhéré à une fondation internationale à but non lucratif. Earthworm, qui travaille avec des entreprises, des gouvernements et des communautés pour promouvoir des pratiques durables dans l’agriculture, la sylviculture, et d’autres industries ayant un impact sur l’environnement a volé au secours de l’agro-industriel en publiant son propre rapport qui nuance les griefs qui lui sont reprochés. De plus, le groupe Bolloré annonce ne pas avoir de responsabilité opérationnelle directe dans ces méfaits compte tenu de sa part minoritaire au capital.
En mai 2023, Bolloré et Fabri ont entamé́ une démarche de radiation de Socfin de la bourse du Luxembourg. Ce processus vise à renforcer l’influence de l’actionnaire majoritaire a été validé par le régulateur du marché financier luxembourgeois, la CSSF. Le 27 août dernier, l’institution, après avoir marqué son accord pour ce retrait a fixé le prix de sortie de l’action à 32,05 euros.
Socfinaf, la filiale africaine reste cotée
Toutefois, les deux filiales du géant luxembourgeois, Socfinaf pour l’Afrique et Socfinasia pour l’Asie, continueront à être cotées malgré cette décision de la CSSF. Seulement, ces deux filiales n’intéressent pas assez les investisseurs en raison de leur valeur boursière dégressive. En juin 2017 par exemple, note la presse luxembourgeoise, le cours de l’action de la Socfinaf se négociait à 20 euros ; aujourd’hui, l’on tourne autour de 10 euros ; tandis que la Socfinasia, autrefois qui trônait à 24 euros à la même période, plafonne autour des 15 euros aujourd’hui. Le groupe Socfin est présent dans huit pays d’Afrique centrale et de l’Ouest et deux pays d’Asie du Sud-Est via 14 sociétés exploitant 191.000 hectares de plantations dont 68% de palmier à huile et 32% d’hévéas. Il compte un total de 36 sociétés et 35.000 employés.
Au Cameroun, Socfin, à travers la Socapalm, produit 41% de l’huile de palme consommée dans le pays. La société pour le compte de l'exercice 2023, a réalisé un chiffre d'affaires de 87,825 milliards de Fcfa contre 76,278 milliards de Fcfa en 2022, et un résultat net positif en hausse de 11,943 milliards de Fcfa. A travers la Société africaine forestière et agricole du Cameroun (Safacam), l’autre filiale de Socfin qui produit l’hévéa dans le pays, la holding luxembourgeoise présente des états financiers qui affichent un résultat net de 612,5 millions de Fcfa au 31 décembre 2023. Comparé aux 2,747 milliards de Fcfa enregistrés en 2022, les bénéfices de la filiale camerounaise de Socfin ont connu une chute drastique de 2,135 milliards de Fcfa en valeur absolue et 77,7% en valeur.