L'Ukraine ambitionne de redevenir un "grenier à céréales" mondial

LE MONDE | 02.07.10 | English

Kiev

Envoyée spéciale

L'Ukraine pourrait bien retrouver d'ici quelques années un statut de "grenier à grains" au niveau mondial. Consciente de son énorme potentiel agricole, cette ex-République soviétique réputée pour ses fameuses terres noires (chernozems), parmi les plus fertiles au monde, en nourrit l'ambition. Comme pour la Russie et le Kazakhstan avec lesquels elle dessine une nouvelle "écharpe céréalière" - la Corn Belt de l'Est par analogie à la Corn Belt américaine -, l'agriculture est l'un de ses atouts. Voire son premier, car l'Ukraine n'a pas les ressources gazières et minérales qui assurent à ses deux voisins une rente confortable.

Déjà premier fournisseur mondial d'orge et deuxième en tournesol et en colza, l'Ukraine produit autour de 50 millions de tonnes de grains, dont 23 millions pour l'exportation. "Mais d'ici dix à quinze ans, le pays a vocation à tripler sa capacité exportatrice. Et à devenir un des grands fournisseurs, si ce n'est le principal fournisseur, des pays importateurs du grand bassin méditerranéen, note Jean-Jacques Hervé, ex-conseiller du ministre ukrainien de l'agriculture et aujourd'hui chez Index Bank, la filiale locale du Crédit agricole. Ce pays a un potentiel de production de 100 millions de tonnes."

L'Ukraine est loin d'exploiter tout ce potentiel. Un tiers de ses 42 millions d'hectares de surfaces arables est en friche et un autre tiers est mal exploité. Lancée dès 1992, la privatisation des terres s'est faite en attribuant aux ex-kolkhoziens un titre de propriété de 2 à 5 hectares. Aussi pour éviter une dislocation du foncier, un moratoire sur la vente des terres agricoles a été décidé et prorogé depuis. Or nombre d'Ukrainiens préfèrent louer leurs droits fonciers plutôt que d'exploiter leur parcelle.

Certains se sont regroupés pour former de petites exploitations mais ils n'ont pas les moyens de se développer. D'autant qu'avec un secteur bancaire anémié depuis la crise de 2008, le crédit est rare. Sur les 50 000 exploitations existantes, seules 8 500 ont les moyens de se moderniser et d'être compétitives. A savoir celles s'étendant sur plus de 500 hectares et tenues par des entreprises agricoles ukrainiennes ou des entrepreneurs étrangers - scandinaves ou anglo-saxons principalement.

Formidable potentiel

Des groupes étrangers venus investir en 2006-2007, lors de la flambée des prix des céréales, doivent aujourd'hui revoir leur stratégie. Les déboires du fonds anglais Landkom, installé depuis 2007 dans l'ouest du pays et qui a perdu 56 millions de dollars (45 millions d'euros) en 2008, illustrent les limites d'implantations mues par la seule logique spéculative. Mais l'Ukraine garde cependant un formidable potentiel pour les investisseurs.

L'entrepreneur français Charles Beigbeder, qui a misé sur la production agricole en 2007, en fait partie. Son agro-holding Agro Génération exploite six fermes en Ukraine reparties sur plus de 45 000 hectares et produisant 150 000 tonnes de blé, orge, maïs, seigle, colza ou tournesol. Dont un tiers vendu sur le marché local. Et M. Beigbeder escompte bien d'ici fin 2012 exploiter 100 000 hectares.

Chaque hectare acquis - certains étant en friche ont dû être remis en culture - a nécessité un investissement initial de 700 euros. Mais la modernisation des exploitations et de l'application de nouvelles méthodes de production ont entraîné de réels progrès. "Nous avons des rendements de 40 quintaux par hectare, que nous escomptons porter à 53 quintaux d'ici peu, relève Charles Vilgrain, cofondateur d'Agro Génération qui emploie 350 salariés permanents. C'est certes moitié moins que dans la Beauce, mais nous avons des coûts de production nettement moins importants." Agro Génération affiche aujourd'hui une rentabilité, par ferme, de 15 % à 20 % par an... sans subvention.

Non subventionnées, les exploitations agricoles en Ukraine bénéficient néanmoins d'une exonération d'impôt sur les sociétés et d'un régime spécifique de TVA. "Même si ces aides étaient supprimées, nous resterions largement rentables, note cependant Alexandre Joseph, le directeur financier. Car nous sommes sur un modèle à bas coûts, avec de fortes économies d'échelle du fait de la taille des exploitations."

Laetitia Van Eeckhout

Article paru dans l'édition du 03.07.10
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