Que serait l’agriculture africaine sans les femmes ?

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APIC | 5.3.2012

Rencontre avec Pauline Ndiaye, du Sénégal, invitée de la campagne de carême 2012

Que serait l’agriculture africaine sans les femmes ? 
 

Jacques Berset, agence Apic

Fribourg, 5 mars 2012 (Apic) Au Sénégal comme dans d’autres pays d’Afrique, la présence des femmes dans l’agriculture est primordiale: elles jouent un rôle déterminant pour nourrir la famille. La campagne de carême, intitulée cette année "Plus d’égalité, moins de faim", a invité en Suisse romande la Sénégalaise Pauline Ndiaye, coordinatrice de programme de l’ONG ENDA-PRONAT (Protection naturelle) à Dakar. L’Apic a rencontré cette catholique très ouverte à l’oecuménisme lors de son passage à Fribourg.

Diplômée en géographie humaine, Pauline Ndiaye s’occupe d’accompagner les femmes dans des zones rurales au sein d’ENDA-PRONAT, une ONG créée au Sénégal en 1982 suite au constat des limites du modèle agricole basé sur l’utilisation massive et incontrôlée des intrants chimiques.

Le message de la dynamique quadragénaire, partenaire de l’œuvre d’entraide protestante "Pain pour le prochain" par le biais de l’EPER (Entraide protestante), est clair: "Nous nous battons pour une agriculture sans engrais chimiques et pour un développement durable, car l’utilisation irrationnelle des engrais chimiques a conduit à l’acidification de nombreux hectares devenus impropres à l’agriculture. L’introduction des pesticides auprès de paysans en majorité illettrés, sans mesures d’accompagnement, a provoqué d’importants dommages à la santé des hommes et des animaux".

Plus de femmes dans les instances politiques
"Les femmes sont très présentes dans l’agriculture vivrière, commente Pauline Ndiaye. Je travaille essentiellement avec elles, auprès de deux unions de groupes de femmes, à Diender, dans la région de Thiès, et Keur Moussa, au nord de Dakar. Je propose des programmes d’amélioration de l’aviculture traditionnelle et de formation sur les pathologies. Il s’agit notamment d’éviter la contamination de la volaille par la maladie de Newcastle ou pseudo-grippe aviaire. Nous cherchons également à améliorer la race, notamment en procurant d’autres coqs. Pour les femmes, avoir un poulailler à côté de leur case, c’est un petit capital, qu’elle peuvent mobiliser en cas de besoin".

Pauline Ndiaye forme des "femmes-relais" qui dispensent cette formation à la base, dans les villages. Un autre secteur d’engagement de la coordinatrice d’ENDA-PRONAT est le renforcement de la capacité de négociation des femmes. Elles jouent un rôle économique déterminant, insiste-t-elle, mais elles restent sous représentées dans les instances locales de décision, comme les Conseils ruraux, qui
dirigent la communauté rurale regroupant un ensemble de villages.

"Notre message-clé est que les femmes soient élues dans ces instances, mais on n’impose pas de partis politiques. Pour arriver à ces postes électifs, elles doivent passer par des partis, et être bien positionnées sur les listes. Depuis les élections locales de 2009, le nombre de femmes élues a augmenté sensiblement, pour atteindre entre 20 et 30%. C’est un grand progrès et cela change la vie!". Les femmes, rappelle Pauline Ndiaye, sont plus sensibles que les hommes face à certains problèmes, comme installer une maternité.

"C’est la touche féminine! Elles apportent leurs préoccupations au niveau du Conseil rural, prônent l’électrification des villages, la construction d’écoles, la mise en place de structures de santé et de dispensaires, l’accès à l’eau potable…"

L’accaparement des terres
Un autre axe du combat de Pauline Ndiaye est la lutte contre l’accaparement des terres par des nationaux ou des entreprises étrangères. Les grands projets d’agrobusiness que le pouvoir veut pousser aujourd’hui détruisent l’économie familiale et les terroirs. C’est pourquoi elle participe au combat pour empêcher cette privatisation. Ainsi dans la communauté rurale de Fanaye, dans la vallée du fleuve Sénégal, des Sénégalais et des Italiens se sont associés pour acquérir plus de 20’000 hectares de terres dans le but de produire de l’éthanol, à partir de graines de tournesol.

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Malgré la stratégie de promesse d’emplois et d’infrastructures industrielles, une bonne partie de la population s’oppose à ce projet privé de production de biocarburant. Les cultivateurs estiment que rien ne pourra remplacer leurs terres qu’ils se transmettent de générations en générations. Les gens luttent sous le slogan "Ne touche pas à ma terre!", organisant manifestations et marches de protestation. En octobre dernier, les heurts provoqués par le projet industriel de Fanaye ont fait deux morts et des dizaines de blessés.

"L’accaparement des terres agricoles se fait souvent de façon assez subtile, cachée, mais c’est un phénomène grave. Il s’est accentué au Sénégal depuis 2006 avec les programmes REVA (Retour vers l’Agriculture) et GOANA (Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance), une initiative qui a officiellement pour but de mettre fin à la dépendance alimentaire du Sénégal". Les programmes de production de biocarburants initiés par l’Etat n’ont fait qu’aggraver la situation.

"On nous a présenté la culture du jatropha, une plante apte à la fabrication de biocarburants qui pousse sur des terres arides, comme une alternative à l’importation de carburant…. Le gouvernement dit que cela ne concurrence pas les cultures vivrières, mais la réalité est toute autre!"

Pauline Ndiaye déplore que dans les campagnes, il n’existe pas de cadastre ni de titres de propriétés: les terres sont cultivées selon le droit foncier ancestral. "Pour l’Etat, il s’agit d’un droit d’usage, pas d’un droit de propriété. Ainsi il est nécessaire de mener la réflexion sur la sécurisation au niveau foncier, pour empêcher l’accaparement des terres. Cette mainmise provoque le déplacement des villages ou la perte des terres où se trouvent notamment les cimetières, causant un important déracinement culturel de la population.

Des investisseurs nationaux et étrangers - Espagnols, Américains, Français, etc. - sont désormais à l’affût. Ils se heurtent pour le moment à la vigilance du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR), appuyé par ENDA-PRONAT. JB

Pauline Ndiaye, militante des droits des paysans sénégalais
Pauline Marie Hélène Ndiaye est née dans une famille d’instituteurs à M’Bour, une ville située sur la Petite-Côte, à environ 80 km au sud de Dakar. Aînée d’une famille de 3 filles et de 4 garçons, elle a étudié dans l’enseignement privé catholique, et a passé son bac au Collège de l’Immaculée Conception de Dakar, avant d’obtenir une maîtrise en géographie à l’Université Cheikh-Anta-Diop, dans la capitale sénégalaise. Mariée, elle a trois enfants âgés de 6 à 12 ans. Après avoir travaillé de 2000 à 2007 pour Caritas Kaolack, Pauline Ndiaye est engagée par l’ONG de lutte contre la pauvreté et la protection de l’environnement ENDA-PRONAT, où elle est chargée de programme.

Cette ONG promeut le développement rural durable en accompagnant les communautés de base dans le contrôle et la gestion écologique de leurs ressources, ainsi que dans l’appropriation de la gouvernance de leur terroir. ENDA-PRONAT travaille directement avec les populations rurales et s’engage pour transformer les conditions politiques, juridiques et économiques en leur faveur. Pauline Ndiaye est présente en Suisse du 1er au 18 mars. JB

Le rôle crucial des exploitations agricoles familiales
Les exploitations familiales (95% des exploitations agricoles du pays) contribuent à hauteur de près de 70% dans l’alimentation des Sénégalais, tandis que les ¾ des emplois nationaux sont fournis par les activités rurales. Les femmes sont généralement actives dans la récolte et la transformation des aliments. Peu de femmes ont accès à la terre. Si toutefois elles en possèdent, quand les terres des familles sont menacées, elles risquent de les perdre, ce qui accroît leur précarité. La privatisation de milliers d’hectares réduit également leurs aires de récolte. JB

La carte d’électeur vaut quelque chose!
Pauline Ndiaye se réjouit que la campagne présidentielle au Sénégal ait débouché sur un deuxième tour: "Les Sénégalais ont vu que leur carte d’électeur valait quelque chose! On avait déjà vécu une première transition démocratique pacifique en l’an 2000, lors du départ du président Abdou Diouf, qui avait cédé le pouvoir à Abdoulaye Wade". Elle salue le rôle de la presse privée, qui a informé la population durant la campagne électorale et a participé au contrôle des votes. "Je suis soulagée qu’il y ait un 2ème tour, car si Abdoulaye Wade avait été élu au 1er tour, on risquait d’assister à des troubles graves. Les religieux ont appelé au calme, des chaînes de prières ont été mises sur pied. Tant les imams que les responsables catholiques ont appelé au calme et à la non-violence. "La démocratie va gagner, et ce sera la seconde transition démocratique après celle de 2000!" (apic/be)


   
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