Faut-il risquer son argent dans les terres maliennes?

Terres de la zone de l’Office du Niger au Mali. (Photo : Antonella Lacatena / SOS Fairm)

Défis Sud n° 91 | octobre, novembre 2009

Un entretien avec Moussa Djiré

Le Mali attire de nouveaux investisseurs qui lorgnent la terre.  Chinois, Américains, Libyens et Sud-Africains convoiteraient des milliers d’hectares dans la zone de l’Office du Niger, un organisme public géré par l’état malien. Le phénomène de « l’accaparement des terres » prend-il de l’ampleur au Mali ? Que faut-il faire pour promouvoir l’agriculture paysanne auprès du gouvernement de Bamako ? Réponses avec le juriste malien Moussa Djiré.

Le Millenium Challenge Account (MCA) est un projet financé par les états-Unis, qui prévoit l’aménagement de 14 000 hectares de terres dans la région de l’Office du Niger. L’objectif du gouvernement malien est d’aménager au moins 200 000 hectares dans cette zone (de nos jours, 80 000 hectares sont emblavés annuellement). La Libye par l’entremise du CEN-SAD (la Communauté des états sahélo-sahériens) a reçu 100 000 hectares du gouvernement malien afin de drainer des investissements sur des terres non exploitées.

Faut-il s’en inquiéter et craindre que le Mali rejoigne le giron des pays pauvres qui voient de plus en plus leurs terres accaparées ?

Pour répondre à cette question, Défis Sud a rencontré le juriste Moussa Djiré. Dans le cadre de sa participation aux récentes publications de l’IIED, de la FAO et du Fida sur les « accaparements de terres », Moussa Djiré a étudié la question des investissements fonciers étrangers au Mali.  « La complexité de la situation foncière au Mali est liée à la pluralité des droits (coutumiers, étatiques, de propriété privée)et des systèmes juridiques qui encadrent l’accès à la terre», explique Moussa Djiré.  Cette complexité a des  conséquences sur la situation foncière des ruraux pauvres et des groupes marginalisés.

Défis Sud : Quel est le système foncier en vigueur au Mali ?

Moussa Djiré : Les terres exploitées par le monde rural malien ne sont pour la plupart pas immatriculées et sont régies par des droits coutumiers. Ces droits sont reconnus par l’État mais ne sont pas à proprement parler des droits de propriété.  En conséquence, si l’État a envie de ces terres, il peut les reprendre à condition d’indemniser préalablement et de manière juste les acteurs concernés. Les terres non immatriculées sont protégées par le Code domanial et foncier du Mali. Cependant, ce Code n’est pas toujours respecté, et les paysans se retrouvent donc dans une situation assez précaire… Aujourd’hui, ce sont d’abord des investisseurs nationaux qui cherchent à acquérir des titres fonciers au Mali car ils ont compris que le prix de la terre augmente de jour en jour et ils escomptent donc faire des investissements spéculatifs. Les achats de terre sont un phénomène récent au Mali. Parce qu’avant, la terre n’avait pas une valeur marchande.

DS : Faut-il privilégier l’octroi de titres de propriété privée des terres aux investisseurs nationaux ?

MD : Pourquoi pas ? Mais avant de délivrer ces titres, il faut d’abord sécuriser les ressources publiques et les  ressources communes. Parce que dès que vous donnez un titre de propriété, la propriété est exclusive. C’est pourquoi la délivrance de titres de propriété doit être précédée par la mise en oeuvre d’un schéma et d’un plan d’aménagement qui définissent la vocation des différents espaces (pâturages et pistes de passage pour les animaux, réserve foncière, terres agricoles, infrastructures publiques) C’est en fonction de cela, quand la vocation des espaces est définie, que l’on peut mettre en oeuvre la délivrance de titres définitifs.  C’est l’État qui doit mettre en place les règles visant à bien encadrer les investant nationaux qu’étrangers. Mais la société civile doit également s’organiser pour que les règles établies soient respectées. Parce que l’État laissé à lui-même ne les respectera jamais. Et parallèlement l’État doit continuer à apporter tout l’appui nécessaire aux exploitations familiales. Il ne serait pas bon de voir disparaître les exploitations familiales parce que l’on a délégué la production alimentaire à des firmes étrangères.

DS : Le Millenium Challenge Account (MCA) – projet financé par les États-Unis et qui prévoit l’aménagement de 14 000 hectares de terres dans la région de l’Office du Niger – encourage la propriété paysanne en délivrant des titres fonciers. Qu’en pensez-vous ?

MD : Je pense que ce projet est une bonne chose dans la mesure où le MCA apporte des capitaux pour l’aménagement des infrastructures. Mais comment les terres vont-elles être distribuées ? Comment la production et la  commercialisation vont-elles être accompagnées ? Voilà les vrais problèmes. La question épineuse au Mali n’est pas tant l’accès à la terre, mais la question de savoir comment sécuriser durablement cet accès. Il faut aussi se demander comment avoir les moyens d’exploiter la terre. Parce que sans équipement adéquat pour son exploitation, la terre ne vous sert à rien. Et le défi final est de savoir comment accéder au marché et vendre son produit à un prix convenable.

DS : Que pensez-vous des promesses d’investissement de la Lybie sur 100 000 hectares de terres à l’Office du Niger ?

MD : Il faut d’abord préciser que la Libye ne s’est pas « approprié » ces terres, comme on le lit parfois. C’est le gouvernement malien qui les a données à la CEN-SAD (la Communauté des états sahélo-sahériens dont le Mali fait partie) afin de drainer des investissements et d’aménager ces terres non exploitées. Selon moi, il est nécessaire de faire une différence entre les investissements faits par des États étrangers et les investissements privés étrangers de grande envergure, car ce sont ces derniers qui suscitent de réelles inquiétudes.

DS : Ces inquiétudes sont-elles justifiées ?

MD : Tout d’abord, il faut préciser que ces investissements n’entraînent pas de droits de propriété au sens strict du terme: ce sont généralement des baux emphytéotiques et non des titres fonciers qui sont délivrés. Cependant, l’inquiétude pour les populations rurales ne disparaît pas. En effet, si les investisseurs étrangers et les États peuvent tirer profit de ces investissements, les producteurs agricoles ne peuvent pas gagner.

DS : Pourquoi ? Quelles sont leurs craintes ?

MD : Les organisations paysannes et de producteurs, tant au Mali qu’ailleurs en Afrique, craignent avant tout qu’on les transforme en ouvriers agricoles. Leur inquiétude me semble légitime, car ils revendiquent depuis des années que l’état prenne des mesures pour renforcer l’agriculture familiale, qui demeure de nos jours la principale source de ravitaillement en produits agricoles. Donc personnellement je ne vois pas ce que les petits producteurs peuvent gagner avec des investissements privés étrangers de masse. Si les investissements fonciers, tant nationaux qu’étrangers, visent des terres déjà occupées par les paysans, ou des zones de pâturages, il faut que les paysans soient dédommagés. Pas avec des petites compensations financières, mais avec les moyens qui leur permettent d’assurer la pérennité des activités qu’ils exercent : leur donner d’autres parcelles, ou leur trouver de nouvelles zones de pâturages.

DS : Est-il possible de trouver une solution qui bénéficierait tant aux paysans qu’aux États et aux investisseurs étrangers ?

MD : Pour qu’il y ait une solution « gagnant-gagnant », il me semble qu’il faudrait aller vers des contrats de production où les exploitations agricoles familiales sont aidées par l’État, et peut-être par des entreprises qui pourront ensuite racheter la production. Mais en faisant attention : il ne pourrait pas s’agir d’une course de vitesse comme cela a été le cas à Madagascar. Il devrait s’agir de contrats à l’élaboration desquels participent les populations rurales bien informées de toutes les étapes du processus. Il me semble que la solution « gagnant-gagnant » serait le fruit d’une situation où les producteurs ruraux continuent à produire sur leurs terres, soient équipés et assurés qu’il y aura un marché équitable pour l’écoulement de leurs produits, et qu’ils pourront ainsi avoir avantage à participer au processus.

DS : Faut-il maintenir le débat à un niveau manichéen qui confronte le monde paysan à l’agrobusiness ?

MD : Je pense qu’au Mali, il est vain et inutile d’opposer radicalement l’agriculture familiale et l’agrobusiness. Le Mali s’est de toute façon engagé dans le libéralisme, la liberté d’entreprise. Un investisseur qui a les moyens financiers et qui voudrait intervenir dans le secteur agricole, a aujourd’hui le droit de risquer son argent au Mali. Mais ces investisseurs ont tout intérêt à se rappeler que c’est l’agriculture familiale qui nourrit actuellement le pays, que l’économie du pays est fondée en premier lieu sur l’agriculture et l’élevage.

Propos recueillis par Alice Verges, le 4 septembre 2009

Moussa Djiré est juriste et enseigne à l’Université de Bamako. Il a développé des partenariats avec plusieurs institutions, notamment l’IIED (www.iied.org) et la FAO (www.fao.org), en participant à des recherches internationales sur les questions de droit, d’environnement et de développement. Il est l’auteur de nombreuses publications sur les problématiques foncières et sur la gestion des ressources naturelles.

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