GRAIN | 1er septembre 2009 | Portuguese version | English version
Le ministre des Affaires étrangères mauricien affirme que son gouvernement a acquis au Mozambique une vaste étendue de terre destinée à la production de riz pour son pays. Au cours d'une « séance de brainstorming » le 13 août dernier, Arvin Boolell a expliqué que son ministère a « pesé de tout son poids diplomatique pour acquérir des terres de qualité » à des fins de production de riz sur 20 000 hectares. La majeure partie se trouve dans le département de Marracuene dans la province méridionale de Maputo qui connaît déjà d'intenses conflits fonciers.
L'acquisition de terres au Mozambique fait partie d'un "méga projet" lancé par l'île Maurice il y a environ un an, suite à des contacts initiés par la société singapourienne Vitagrain. Vitagrain est sous le contrôle d'une société de capital-risque, Intrasia Captial, fondée par le financier australien Graeme Robertson, l'un des principaux acteurs dans les domaines de l'exploitation minière, de l'immobilier et de l'énergie. Robertson est l'un de ces investisseurs qui, depuis le début de la crise alimentaire l'an dernier, sont de plus en plus nombreux à considérer l'agriculture comme un jeu d'investissement d'intérêt stratégique. L'entreprise a l'intention de développer des variétés spéciales de riz hybride pour les vendre sur le marché mondial.
L'île Maurice est censée servir de base à l'entreprise pour ses activités de développement et de production de riz hybride. Le gouvernement de l'île a accordé à l'entreprise un bail à long terme sur 500 hectares de terre provenant d'une ancienne plantation de canne à sucre et a mis en place un programme commun de recherche et développement concernant le riz hybride avec les principaux instituts de recherche agricole du pays. Selon certaines informations sur la transaction, il est également question de mettre en vigueur la législation sur la protection des obtentions végétales.
Même si l'on a pu évoquer la possibilité de produire du riz pour l'alimentation à l'île Maurice, l'idée semble être bien davantage d'établir la base financière et de produire les semences sur l'île, tout en réservant des terres dans d'autres pays pour y cultiver le riz. On peut entrevoir à travers les diverses déclarations et commentaires des représentants du gouvernement ce à quoi va ressembler le véritable plan du méga projet :
- Les semences de riz hybride seront produites par Vitagrain à l'île Maurice
- Les semences seront cultivées à grande échelle dans les pays avoisinants sous le contrôle de Vitagrain
- Le riz sera alors ramené à l'île Maurice pour le minotage par Vita Rice, la filiale mauricienne de Vitagrain.
Satish Faugoo, ministre de l'Agro-industrie déclare que l'intention est de produire 150 000 tonnes de riz par an durant le projet. Depuis la signature de l'accord avec Vitagrain, l'île Maurice a envoyé des missions diplomatiques dans plusieurs pays pour essayer d'acquérir des terres. Elle a signé un protocole d'accord (MOU en anglais) avec Madagascar, afin de faciliter le commerce des produits agricoles ; les deux pays étaient parvenus à un stade avancé des négociations sur un accord qui permettrait à l'île Maurice d'investir dans la production alimentaire, quand le gouvernement malgache a été renversé en mars 2009. Le Mozambique est le premier pays où le gouvernement mauricien a réussi à acquérir des terres.
Sur les 20 000 hectares que l'île Maurice affirme avoir acquis au Mozambique, 10 000 sont censés être utilisés par Vitagrain. Le gouvernement mauricien gardera le bail de ces terres et les sous-louera à Vitagrain. Selon M. Boolell, Vitagrain a déjà soumis la proposition pour ce projet de riz mozambicain de 43,5 millions de dollars US. Une tournée de scientifiques est prévue vers la fin de septembre 2009, quand, en collaboration avec le ministère de l'Agriculture du Mozambique, Vitagrain commencera à tester ses variétés de riz hybride dans le pays.
M. Boolell soutient que ceci n'est que le début de son projet de production alimentaire au Mozambique. L'île Maurice travaille en effet avec Nin Group, une entreprise du Swaziland, sur une autre transaction concernant 10 000 hectares. Pour M. Boolell, « la porte est ouverte également à tout nouveau projet sur d'autres terres qui deviendraient accessibles ».
Une nouvelle tendance
Alors que l'encre de l'accord avec l'île Maurice n'est pas encore sèche, un autre groupe d'investisseurs a annoncé le lancement d'un projet similaire de 20 000 hectares de production de riz au Mozambique. Le fonds d'investissement Libya Africa Portfolio (le LAP), un fonds souverain du gouvernement libyen, et la société mozambicaine Ubuntu SA affirment avoir acquis des terres destinées à la production de riz à Bela Vista, la capitale du département le plus au Sud du Mozambique : Matutuine. Ils prétendent être prêts à démarrer d'abord la production sur 9 000 hectares, pour arriver graduellement à couvrir les 20 000 prévus.
Pour le LAP, il s'agit de son troisième grand projet de production de riz en Afrique. Il a en effet un projet riz de 15 000 hectares au Libéria, et par l'intermédiaire de sa filiale locale Mailbya, un projet de 100 000 hectares au Mali destiné principalement à la production de riz . Ces deux projets concernent la production à grande échelle et mécanisée de riz hybride. Ils mettent l'accent sur la production pour les marchés domestiques et sur les bénéfices que les gens pourront en retirer. Toutefois, le but est clairement de produire pour exporter. Qui plus est, dans le cas du Mali, la Coordination nationale des organisations paysannes (la CNOP) et la section locale de Via Campesina ont déjà pu documenter un certain nombre d'effets négatifs sur les communautés locales.
Les investissements présumés de la Chine dans les terres agricoles du Mozambique soulèvent également bien des questions. La Chine a promis 800 millions de dollars US pour "moderniser" l'agriculture mozambicaine et il semblerait qu'elle utilise un prêt de 2 milliards de dollars pour la construction d'un barrage sur le Zambèze, afin d'obtenir « des baux fonciers importants pour établir des fermes géantes gérées par des Chinois ». En juin 2007, les deux pays sont censés avoir signé un protocole d'accord qui permettrait à 3 000 Chinois de s'installer dans les provinces de Tete et de Zambésie. La Chine s'est aussi engagée à établir un centre de recherche agricole et de transfert de technologie à Umbelezi, dans la province de Maputo ; celui-ci testera et introduira des variétés chinoises de riz hybride.
Le Vietnam, de son côté, a signé un contrat de trois ans pour le développement de la production de riz, également en Zambésie. Cet accord comprend la création d'un centre de recherche sur le riz.
Esperança Chamba est responsable de la coopération à l'Institut national de recherche agricole du Mozambique. Ce poste a été créé l'an dernier afin d'aider le gouvernement à mieux évaluer ce type d'accord. Dans un entretien avec un journaliste de l'Institut international du journalisme (IIJ), elle admet cependant que le gouvernement mozambicain ne comprend pas encore parfaitement les motivations de cette vague d'intérêt étranger pour les investissements dans l'agriculture du pays : « Nous ne savons pas exactement ce que recouvrent ces accords et ces stratégies, mais il appartient au gouvernement d'être vigilant et de prendre des mesures qui garantissent la durabilité ainsi que la participation et la propriété des habitants ».
Toutefois, vu l'importance donnée aux semences de riz hybride que les paysans ne peuvent pas conserver et qui sont destinées à une agriculture industrielle mécanisée, il est difficile d'imaginer que « la participation et la propriété des habitants » puissent être un élément essentiel de projets comme celui de Vitagrain.
Certaines organisations locales mozambicaines ont reçu la nouvelle de l'accord avec Vitagrain avec surprise. Diamantino Nhampossa, coordinateur de l'Union nationale paysanne du Mozambique (l'UNAC) rappelle qu'un décret a été pris en 2007 pour mettre un terme à la cession des terres dans la province de Maputo où l'île Maurice affirme avoir acquis ses terres. Selon lui, « ce décret n'a pas été annulé et nous serions surpris que les terres soient mises à la disposition d'investisseurs étrangers ».
« Marracuene [le site du projet] ne possède même pas cette quantité de terres ; tout cela n'a aucun sens », ajoute Diamantino. « Cette région est connue pour ses conflits fonciers entre les paysans locaux et les riches de Maputo. Céder des terres ne peut qu'aggraver le conflit ».
Les pressions exercées sur le Mozambique sont absolument énormes. Klaus Deininger de la Banque mondiale explique que, depuis que le gouvernement a ouvert la porte à l'investissement foncier il y a environ un an et demi, il a provoqué des demandes de concessions foncières équivalant à 13 millions d'hectares. Selon lui, environ 1,3 million de ces hectares ont déjà obtenu des droits de concession provisoires, connus sous le nom de Direito de uso e aproveitamento da terra (DUAT). Jusqu'à présent, les Mozambicains n'ont pas été mis en courant de ces transferts massifs de leurs terres. Au fur et à mesure que les détails vont se faire jour et que les choses vont commencer à bouger sur le terrain, les investisseurs ne peuvent que se heurter aux communautés locales qui ne partagent pas leur enthousiasme et qui n'ont nullement l'intention de céder les terres qui assurent leur subsistance et nourrissent leurs propres familles.
(Pour plus d'information, voir le blog de GRAIN sur le riz hybride :
http://www.grain.org/hybridrice/?lid=221)