Le marché du riz, “une fabuleuse représentation de la façon dont marche le monde”

Télérama | 13 avril 2010

LE FIL TéLéVISION - Ne pas rater ce soir sur Arte une remarquable enquête sur le riz, une céréale qui nourrit aujourd'hui la moitié de l'humanité, dont le prix s'est envolé en 2008 provoquant ce que l'on a appelé les "émeutes de la faim”. Entretien avec Jean Crépu, réalisateur de "Main basse sur le riz".

Samuel Gontier

Dans une remarquable enquête diffusée ce soir sur Arte, Main basse sur le riz, le journaliste Jean-Pierre Boris et le réalisateur Jean Crépu dévoilent les coulisses du marché du riz, la céréale qui nourrit près de la moitié de l'humanité. Ils permettent ainsi de comprendre comment ont pu survenir les « émeutes de la faim » du printemps 2008. Et de prendre conscience du défi alimentaire auquel est confrontée l'humanité. C'est aussi une nouvelle réussite de Jean Crépu, auteur éclectique dont nous avions déjà salué Enfants de collabos, L’Histoire secrète de “L’Archipel du goulag” ou Les Fantômes de My Lai (sur le massacre des habitants d'un village vietnamien). « Je ne veux pas être le spécialiste d’un sujet », confie le réalisateur, qui préfère conserver intacte sa curiosité pour « raconter le réel et en comprendre les enjeux ».

Est-ce les « émeutes de la faim » qui vous ont décidé à enquêter sur le marché du riz ?

Jean Crépu : Non, l’idée m’était venue dès le printemps 2007. Je réalisais un reportage sur la scolarisation des enfants au Mali. Comme tout le monde, je pensais que les Maliens mangeaient du mil, du sorgho. J’ai découvert l’omniprésence du riz. Déjà, des gens me disaient que la hausse des prix était insupportable et s’inquiétaient de la dépendance du pays aux importations. La crise était annoncée : beaucoup de gens avaient tiré la sonnette d’alarme avant le printemps 2008, notamment les chercheurs du Centre du riz pour l’Afrique. J’ai eu envie de reconstituer le puzzle. D’où vient le riz importé ? Comment fonctionne ce commerce ? Qui tient les rênes ? J’ai découvert que personne ne s’était intéressé au sujet.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Les relations de Jean-Pierre Boris, sa connaissance du milieu des matières premières étaient indispensables. Comparé aux marchés du pétrole ou du blé, celui du riz, même s’il est vital, est minuscule. C’est aussi une filière très discrète, un milieu où l’on n’aime pas se livrer. Pour accéder aux exportateurs thaïlandais, nous avons eu besoin d’être introduits par les intermédiaires du marché, les traders genevois présents dans le film. Ils pratiquent un vieux commerce, de gré à gré, avec des codes très précis. D’ailleurs, les investisseurs s’y cassent les dents. Le fait d’enquêter après la crise nous a aidés : tous les acteurs étaient sonnés, cherchaient à comprendre ce qui s’était passé. Ils étaient plus enclins à confier leurs réactions. Peu à peu, l’histoire a pris des proportions énormes. L’étape aux Philippines, par exemple, n’était pas prévue. Nous avons décidé d’y aller en découvrant le rôle des importations de ce pays dans la crise. Bref, nous sommes entrés dans un vaste réseau, très compliqué.

Votre documentaire paraît pourtant limpide. Comment avez-vous procédé ?

Je n’ai pas cherché à réaliser de prouesses stylistiques : la construction du film reprend le déroulement de l’enquête, l’enchaînement de nos découvertes. Travailler sans œillères, affronter la complexité, la rendre compréhensible, c’est ce qui me motive. Le traitement de la crise dans les médias était très simplificateur. On nous présentait des reportages sur les « émeutes de la faim » en annonçant « des images qu’on croyait appartenir au passé » alors que plus de 800 millions de personnes dans le monde souffraient de sous-alimentation bien avant ces manifestations. Quant à la fameuse « galette de terre » dont se seraient nourris les Haïtiens… c’est d’abord un remède gastrique traditionnel. D’ailleurs, a-t-on vu réapparaître des galettes de terre après le séisme, parmi les survivants affamés ?

Main basse sur le riz étonne aussi en montrant que cette céréale peut être cultivée en Afrique. Au terme de votre enquête, qui décrit ces tentatives d'amoindrir la dépendance aux importations, êtes-vous optimiste ?

Pas vraiment. Le marché a montré qu'on ne pouvait compter seulement sur lui : il supprime les pots-de-vin, mais pas la spéculation. De l'autre côté, je ne suis pas sûr que l'on ait avancé dans le domaine de la gouvernance. Quand on pense que le Laos, tout en bénéficiant de l'aide du Programme alimentaire mondial, vend ses terres à des investisseurs étrangers… Dans le film, nous prenons l'exemple des 100 000 hectares exploités au Mali par les Libyens pour y cultiver du riz, sans concertation avec les populations locales, qui manquent de terres pour développer des exploitations viables. Pendant longtemps, on s'est plaint de l'absence d'investisseurs en Afrique. Maintenant qu'ils arrivent, reste à savoir dans quelles conditions… Plus généralement, ces mois de travail m'ont révélé que le marché du riz était une fabuleuse représentation de la façon dont marche le monde. A chaque étape de notre enquête se posait la question de la responsabilité individuelle de chaque acteur.

A voir: Main basse sur le riz, Arte, 20h35.

Le documentaire est également disponible en DVD (Arte éditions). Et se prolonge par un livre, Main basse sur le riz, de Jean-Pierre Boris (éd. Fayard/Arte éditions).

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