La Banque mondiale accusée de favoriser l’accaparement des terres africaines par des groupes étrangers

Interrogés par Ouestafnews, les responsables de la SFI n’ont pas totalement nié les accusations sur la question des investissements privés étrangers dans les terres. Elle a plutôt tenté de minimiser les accusations, en arguant que la question foncière est « compliquée ».

 

Ouestaf News | Mardi 25 Mai 2010

Un rapport accablant, produit par un « think tank » (centre de recherche) américain a accusé la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale) de faciliter « l’accaparement des terres » en Afrique par des groupes privés étrangers.

Le rapport, obtenu par Ouestafnews, passe en revue les réformes foncières dans près d’une trentaine de pays, dont près d’une vingtaine en Afrique et une demi-douzaine en Afrique de l’Ouest, dénonce l’action de la Banque mondiale à travers sa composante privée, la SFI.

Ce rapport est produit à un moment où l’insécurité alimentaire se pose avec acuité dans les pays du Sahel, ramenant à l’ordre du jour la question de l’accaparement des meilleures terres agricoles en Afrique, à la faveur de la nouvelle ruée vers ce continent, favorisée par les politiques libérales imposées par la Banque mondiale aux Etats africains.

« Suite à la crise alimentaire et financière de 2008, la Banque devait jouer un rôle central dans ce qui aurait dû être une offensive en faveur de la sécurité alimentaire dans les pays en développement», affirme les deux rédactrices du rapport de l’Oakland Institute, Anuradha Mittal et Shepard Daniel

Basé aux Etats Unis, le Oakland Institute s’est donné comme mission de favoriser « la participation publique et un débat démocratique sur les problèmes cruciaux au plan social , économique et environnemental », à l’échelle nationale ou internationale.

Toutefois, accusent les deux auteurs, « les faits révèlent que le Groupe de la Banque mondiale est justement en train de faire le contraire, par le biais de ses programmes ‘Access to land’ (accès à la terre) et ‘Land market for investment’ (marché foncier pour l’investissement) ».

Les agissements de la SFI, notamment la promotion des « investissements directs dans le secteur agricole, posent la dangereuse question de la terre dans des pays déjà parmi les plus vulnérables », note par exemple Shepard Daniel, co-auteur du rapport.

« Près de 50 millions d’hectares de terres cultivables dans les pays en développement sont actuellement aux mains d’investisseurs privés », a-t-elle encore affirmé.

Ces accusations sont corroborées par des informations obtenues par Ouestafnews à partir d’autres sources.

Ainsi, selon un article daté du 25 mai 2009 et publié sur le site internet du journal « Les Afriques », depuis 2004, ce sont « au total de 2,49 millions d’hectares de terres qui ont fait l’objet de transactions, soit des concessions, soit des ventes » rien que dans cinq pays africains, dont deux en Afrique de l’Ouest.

Les cinq pays concernés sont l’Ethiopie, le Ghana, Madagascar, le Mali et le Soudan.

L’article en question cite un rapport commandité par le Fonds international pour le développement agricole (Fida) et l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao), qui averti contre le risque d’accentuation de la situation de pauvreté dans laquelle se trouve des populations déjà démunies.

Ces transactions, à l’origine de la dépossession des petits propriétaires africains, sont rendues possibles, selon le rapport de l’Oakland Institute, par les pratiques de la SFI, qui pousse les Etats à modifier leur législation en matière d’investissement dans le but de faciliter l’implantation de groupes privés issus des pays du nord.

En Afrique de l’ouest, le texte cite les cas de la Sierra Leone et du Liberia où « 21 modifications ont été opérées sur les textes régissant les affaires en un temps record de quatre mois» et au Mali où le programme de réforme de l’environnement des affaires imposé au gouvernement n’avait d’autre but que de « favoriser l’investissement privé dans le secteur de l’agro-business, du tourisme et des mines…»

D’autres pays ouest africains (Guinée Bissau, Bénin), où l’action de la Banque mondiale et de sa filiale a des effets néfastes sur la propriété et le contrôle des terres, sont aussi cités dans le document.

Les accusations de collusion entre les intérêts de la Banque mondiale et ceux du secteur privé, que ne sont pas nouvelles, sont fondés sur le fait que sa filiale SFI a parfois des intérêts dans les projets d’investissements ou détient des parts dans les sociétés qui investissent.

«La SFI conseille ainsi les gouvernements en étant dans la position d’un investisseur et dans le but d’accroître et de renforcer non seulement les investissements directs étrangers mais aussi son propre programme d’investissement et de croissance », affirment les auteurs du rapport.

Interrogés par Ouestafnews, les responsables de la SFI n’ont pas totalement nié les accusations sur la question des investissements privés étrangers dans les terres.

Elle a plutôt tenté de minimiser les accusations, en arguant que la question foncière est « compliquée », assurant même vouloir aider la Sierra-Léone, par exemple à « atteindre son objectif de créer 25.000 emplois directs dans les zones rurales ».

« Notre objectif premier est de favoriser les investissements privés, qu’il soient locaux ou étrangers afin d’encourager la croissance économique et la création d’emplois », a affirmé la SFI dans sa réponse transmise par email à Ouestafnews.

La même source précise qu’au Libéria tout comme en Sierra-Léone, le but est de «simplifier la (procédure pour) la création d’entreprises.»

Pourtant selon le Oakland Institute, « plusieurs exemples de grands projets » existent qui prouvent que les terres vont aux étrangers.

Au Mali par exemple, plus de « 160.000 hectares » ont été cédés à un groupe privé pour développer la culture du Jatropha, plante utilisée dans la production de biocarburants.

En Sierra-Léone, une multinationale helvétique va produire « 100.000 mètres cubes de bioéthanol à partir de la canne à sucre locale».

Cette compétition entre biocarburants et produits alimentaires est l’un des gros arguments de ceux qui s’opposent à l’expropriation des petits exploitants agricoles.

En dehors de ces deux pays d’Afrique de l’ouest, ailleurs sur le continent, les rapporteurs ont mis en relief le cas éthiopien « un pays où plus de 13 millions de personnes souffrent de la faim et paradoxalement où le gouvernement a mis plus de 7,5 millions d’acres (soit un peu plus de 3 millions d’ha) de terres aux mains de groupes étrangers qui exportent la nourriture vers leurs propres pays ».

En République démocratique du Congo (Rdc), le gouvernement devrait « céder à partir de 2009 près de dix millions d’hectares de terres cultivables à des exploitants étrangers ».

Selon certains analystes, cette dépossession des terres est porteuse de réels dangers pour le continent.

Ainsi dans sa préface au rapport de l’ Oakland Institute, Howard G. Buffet, homme d’affaires, philanthrope, avertit que si « l'Afrique a besoin d'investissements dans l'agriculture », elle n’a pas besoin, par contre, « de politiques qui permettent aux investisseurs étrangers de cultiver et d’exporter la nourriture vers leurs propres peuples au détriment de la population locale ».

« Je vais être encore plus audacieux », écrit le préfacier, par ailleurs fils du milliardaire Warren Buffet : « de telles politiques vont nuire à l’Afrique, en aggravant les conflits liés à l'eau, à la terre » avant de rappeler que « l'Afrique n'est pas une marchandise avec une étiquette ‘ouverte à tous’ ».

Ce n’est pas la première fois que la SFI est accusée de collusion avec les intérêts privés, dans des secteurs où elle sert aussi de « conseiller » aux Etats, en Afrique principalement.

Avant le foncier et l’agriculture, de pareilles objections étaient apparues dans ses opérations dans le secteur minier africain, où certains experts du continent ont souvent dénoncé une véritable situation de « conflit d’intérêts ».

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