Béatrice Héraud
La ruée vers les terres agricoles, en Afrique et en Amérique latine, ne cesse de prendre de l'ampleur. Pour la seule année 2009, les transactions ont porté sur 45 millions d'hectares, précise la Banque mondiale dans son rapport très attendu. Parallèlement, plus d'1 milliard d'individus ne mangent toujours pas à leur faim… Peut-on responsabiliser ces investissements, qui proviennent de plus en plus des pays riches, pour qu'ils profitent aux pays pauvres ?
Avec des transactions portant sur près de 45 millions d’hectares sur la seule année 2009, et dont la grande majorité (70%) se situent en Afrique, la ruée vers les terres agricoles prend une ampleur aussi inédite qu’inquiétante. Alors qu’entre 1998 et 2008, la moyenne des échanges s’établissait autour de 4 millions d’hectares par an, la crise alimentaire de 2008, le développement des agrocarburants et la crise économique ont accéléré un mouvement qui ne semble pas prêt de s’arrêter et fait craindre une main basse des capitaux étrangers (portant sur 15 à 20 millions d’hectares entre 2006 et 2009 ), provenant de Chine, du Japon, des Etats du Golfe mais aussi de l’Union Européenne, sur les terres des pays pauvres à faible gouvernance.
« Ces acquisitions de terres de grande échelle peuvent avoir un coût élevé. Le voile du secret qui entoure souvent ces transactions financières doit être levé si l’on ne veut pas que les populations pauvres payent le prix fort en perdant leurs terres », a ainsi déclaré la directrice générale de la Banque mondiale, Mme Ngozi Okojo-Iweala, lors de la remise du rapport, « L’intérêt croissant pour les terres agricoles peut-il apporter des bénéfices équitables à long terme ? », qui étudie 14 pays ciblés (1) par ces investissements (voir document lié). Un rapport dont la remise a été longuement retardée, notamment par le manque de données fiables sur ces transactions dont toutes n’ont pas abouties et, surtout, dont aucune institution n’arrive aujourd’hui à évaluer la valeur…
Peut-on passer de l’accaparement des terres à des opportunités pour les pays du Sud ?
Les dommages de ces investissements, souvent spéculatifs, sur les populations locales sont connus depuis longtemps : menace sur la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables alors que plus d’un milliard d’individus souffrent aujourd’hui de la faim, déplacements ou expropriations, troubles sociaux…Dans un tel contexte, peut-on transformer ces investissements étrangers en opportunités pour les populations locales, comme le suggère les institutions internationales (BM, FAO, etc)? Nombre d’Ong en doutent, tel Grain qui avec des dizaines d’autres associations a lancé la pétition « Pour l’arrêt immédiat de l’accaparement des terres ». Mais pour la Banque mondiale, « quand ils sont réalisés dans de bonnes conditions, les acquisitions de terres agricoles de grande échelle peuvent apporter des bénéfices : accès à de meilleures techniques agricoles, création d’emplois pour la population et les petits fermiers ». Et de citer dans son rapport un système péruvien de mise aux enchères des terres où les investisseurs intéressés doivent montrer patte blanche (garanties financières et sociales) pour pouvoir participer. Reste que cela demande un réel engagement des gouvernements des pays hôtes, ce qui est loin d’être évident quand l’on sait que les investisseurs ciblent en priorité des pays à faible gouvernance… Pour de nombreux observateurs, le modèle de l’agriculture contractuelle, où une organisation investit de l’argent et fournit technologies, semences, engrais aux producteurs locaux en échange de droits d’achats exclusifs sur les produits agricoles dont le prix de vente est contractualisé à l’avance, semble plus prometteur.
Le 24 août, le gouvernement a rendu – très en retard- son plan d’action national (PAN) destiné à mettre en œuvre la directive européenne sur les énergies renouvelables. L’objectif des 10% d’Enr dans les transports sera atteint presque exclusivement avec les agrocarburants de première génération et un peu de ceux de deuxième génération à partir de 2012. Pour les associations du Réseau action climat, « les intérêts agricoles et industriels ont donc une fois de plus eu le dernier mot », faisant fi du « risque d’accaparement des terres dans les pays du Sud et des surfaces à mobiliser en Europe, de la perte de la biodiversité (…) ou de la volatilité des prix de certaines denrées alimentaires », estime Antoine Bouhey de Peuples Solidaires. Plusieurs sociétés françaises investissent dans les terres africaines pour produire des agrocarburants : Dreyfus, Bolloré ou encore Tereos qui bénéficie d’une concession gratuite de 150 ans au Mozambique où elle cultive actuellement de la canne à sucre sur 15 000 des 100 000 hectares dont elle a la jouissance…
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Liens utiles
- Rapport de la banque mondiale : « L'intérêt croissant pour les terres agricoles peut-il apporter des bénéfices équitables à long terme ? » (en anglais)
- Rapport du conseil d'analyse stratégique : « Les cessions d'actifs agricoles à des investisseurs étrangers dans les pays en développement »
- Le site internet de la Global Donor Plateform for rural development:
- Rapport des Amis de la terre : « Afrique : terre(s) de toutes les convoitises »
- Rapport de l'Oakland Institut : (Mis)investiments in Agriculture (en anglais)
- Rapport de Grain « main basse sur les terres agricoles »