Ces paysans victimes de l'accaparement des terres au Guatémala

(Photo : Flickr/Plearn)

Le Monde | 19 novembre 2010

Les années qui passent renforcent un constat : l’alimentation est l’un des enjeux majeurs de notre siècle. La terre est devenue une ressource rare que s’arrachent les pays soucieux d’assurer leur sécurité alimentaire, les entreprises qui produisent des agrocarburants ou encore les fonds d’investissement à la recherche de nouvelles valeurs pour diversifier leurs portefeuilles et spéculer. Cette ruée sur les terres arables se fait au détriment des pays du Sud qui monnayent des milliers d’hectares, attirés par la perspective de renflouer leurs trésoreries et impuissants à résister aux pressions économiques et politiques.

Selon un récent rapport d’Oxfam Grande-Bretagne, environ 45 millions d’hectares de terre dans le monde, dont les deux-tiers en Afrique, ont été vendus à des investisseurs étrangers entre octobre 2008 et août 2009. “L’accaparement des terres, c’est-à-dire l’acquisition à grande échelle de surfaces par des investisseurs privés - des compagnies ou des pays - engendre un impact négatif sur le bien-être et la sécurité alimentaire des populations locales en réduisant leur accès aux ressources naturelles et en les déplaçant”, prévient l’organisation. Dans le cadre de la campagne Privés de terre, privés d’avenir d’Oxfam, Ernesto Tzi, directeur de l’ONG guatémaltèque Sank, expose les enjeux autour de la terre dans son pays et les solutions qu’il développe pour protéger les agriculteurs.

Quels sont les conflits à l’œuvre autour des terres agricoles au Guatemala ?

Ernesto Tzi : Le Guatemala est un petit pays, d’une superficie d’un peu plus de 100 000 km2, mais ses terres sont fertiles, car volcaniques. Son économie est principalement basée sur l’agriculture et les paysans représentent près de la moitié de la population. En 1934, le gouvernement a mené une réforme agraire et a entrepris de faire des paysans des propriétaires. Le problème est que cette réforme n’a pas été menée jusqu’à son terme : les droits de possession des agriculteurs n’ont jamais été enregistrés comme des titres de propriété formels.

Avec l’amélioration des infrastructures, les multinationales, ainsi que des grandes entreprises guatémaltèques liées à des capitaux étrangers, ont commencé à acheter des terres dans le pays pour y cultiver de la canne à sucre, du coton ou de la banane. Depuis cinq ans, ces acquisitions se sont accélérées en raison de l’essor des agrocarburants. Des multinationales, comme la française Tereos, sont nombreuses à venir s’implanter au Guatemala, essentiellement au nord-est du pays. Elles achètent des hectares par milliers afin d’y planter des palmiers à huile. Les paysans, à 80 % des indigènes, se voient forcés de vendre les terres qui leur permettaient de subvenir à leurs besoins alimentaires.

De quelle manière se déroule cet accaparement des terres par les investisseurs ?

Les entreprises commencent souvent par acheter quelques terrains comprenant des sources d’eau. Elles bloquent ensuite l’accès à l’eau aux paysans et leur font comprendre que leurs parcelles ont perdu toute valeur. Les sociétés font aussi intervenir leurs avocats, que les agriculteurs ne peuvent pas affronter dans la mesure où ils possèdent souvent seulement des titres de propriété provisoires. Dans les cas extrêmes, les paysans peuvent faire l’objet de menaces.

Quelles sont les conséquences de ce phénomène ?

Elles sont d’abord sociales : les conditions de vie des paysans, déjà précaires, s’aggravent. Certains se font embaucher par les multinationales, qui les exploitent. Les autres se retrouvent souvent à revendre des produits dans la rue ou cherchent du travail. Sans ressources, ils tentent parfois de se rabattre sur d’autres terres, ce qui crée des conflits, à savoir des vols et agressions, entre agriculteurs. Sans compter qu’en raison de la diminution de la culture de subsistance, les prix des denrées alimentaires augmentent, ce qui entraîne des phénomènes de dénutrition.

Enfin, au niveau environnemental, le passage d’agricultures paysannes à des grandes exploitations entraîne la destruction de forêts et des dégradations des sols. Les produits chimiques utilisés par les multinationales menacent aussi la faune et la flore.

Que faites-vous pour limiter cet accaparement des terres ?

Dans les communautés indigènes de Chisec et de Raxruha, nous tentons de convaincre les paysans de conserver leurs terres, par de la sensibilisation, des animations ou même des concours. Nous leur expliquons aussi comment développer de la polyculture afin de vendre leurs produits sur les marchés, des agrumes, des épices, de la cannelle, du poivre, au lieu de s’en tenir à de la culture de subsistance, le plus souvent du maïs, des haricots ou des tubercules. Enfin, nous mettons sur pied une petite école de formation pour leur permettre d’acquérir des connaissances sur les différents produits.

Malgré tout, nos actions sont loin d’être suffisantes pour contrer la pression des multinationales et du gouvernement. Nous essayons d’organiser un mouvement pour nous rendre au Congrès, mais pour l’instant, nous ne parvenons pas à nous faire entendre.

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