A Madagascar, une société indienne compte louer près de 500 000 hectares

Le Monde | Article paru dans l'édition du 21.03.09 | English translation here

ANTSOHIHY (RÉGION DE SOFIA) ENVOYÉ SPÉCIAL

arun ? C'est un arbre, non ?" Réfugié sous un abri alors que des trombes d'eau s'abattent sur la place du village d'Ambalavy, dans le nord-ouest de Madagascar, André Rabenampiana connaît bien le bois "varona", mais n'a jamais entendu parler de la société indienne Varun International. L'orage passé, ce père de sept enfants retourne cultiver son quart d'hectare de riz.

Il ne se doute pas que sa parcelle et celles de ses voisins pourraient bientôt être exploitées par des étrangers. Il n'est pas le seul. Varun International compte louer

465 000 hectares de terres pendant cinquante ans, principalement dans les régions de Sofia (170 000 hectares), Menabe (165 000) et Atsinanana (100 000). Sur des terres majoritairement déjà exploitées, l'entreprise veut cultiver du riz à 80 %, mais aussi du maïs et du dal (lentilles).

Les cessions de terres à des entreprises étrangères ont nourri la révolte qui vient d'aboutir à la chute du président Marc Ravalomanana. Mercredi 18 mars, son successeur Andry Rajoelina, a annoncé l'annulation de la cession contestée de 1,3 million d'hectares de terres à la société sud-coréenne Daewoo. Conscient du contexte politique sensible, Varun cherche à se démarquer : "Daewoo voulait chasser les paysans de leurs terres, avec nous, il y aura des contrats", rassure un responsable.

Depuis plus d'un an, cette filiale du groupe Varun Industries (ustensiles de cuisine, pétrole...) avance pas à pas pour concrétiser son projet d'agrobusiness d'un montant de 1,5 milliard d'euros sur dix ans. Il a fallu tout d'abord obtenir l'accord des autorités malgaches. Le 29 janvier 2008, le président de Varun Industries, Kiran Mahta, avait rencontré Marc Ravalomanana alors chef de l'Etat.

TERRES DÉJÀ EXPLOITÉES

M. Ravalomanana a donné son accord moyennant des contreparties. Selon une source proche du dossier, "Varun devait faire des dons auprès de sa fondation personnelle, vendre à prix réduit 15 000 de ses articles d'ustensiles en inox au groupe agroalimentaire Tiko du président, et envoyer des semences de riz indiennes dans les rizicultures du chef de l'Etat". Mais les terres dont l'Etat malgache est propriétaire sont minoritaires dans le projet. Près de 85 % des surfaces ciblées sont déjà exploitées et leur cession suppose l'approbation des paysans propriétaires. Varun International leur propose un marché : accepte de louer leur terre pendant 50 ans contre le versement de 30 % de la récolte.

Les paysans ne devraient pas y perdre grâce à une hausse considérable de la productivité. Des tracteurs devraient remplacer les zébus et davantage d'engrais serait utilisé. La production devrait passer de 3 à 12 tonnes de riz à l'hectare. En restant les bras croisés, le paysan recevrait donc une quantité de riz équivalente, voire plus importante qu'auparavant.

"PARTAGER LA PRODUCTION"

Dans l'une des rares habitations du village d'Ambalavy où la tôle a remplacé le chaume, Jean-Rémi Rivondrazana, adjoint au maire, est séduit. "Gagner de l'argent sans travailler, que demander de plus ? estime ce cultivateur de deux hectares. Le seul problème, c'est la durée de contrat de 50 ans. J'aurai préféré 15 ou 20 ans. J'ai peur d'une nouvelle colonisation".

A Antsohihy, capitale régionale, un ingénieur agronome soulève d'autres questions : "Que va-t-on faire de tous ces paysans qui n'auront plus d'emploi ? Varun nous a dit qu'ils allaient travailler avec des gens d'ici, mais la plupart vivent en brousse et sont illettrés". La compagnie promet d'embaucher 10 000 personnes, soit 1 % des paysans concernés dans un pays miné par le chômage. Le chef de région, André Randriamanesy se réjouit de l'opportunité : "C'est un projet gagnant-gagnant. Ils se sont engagés à électrifier les campagnes, acheminer l'eau potable, et construire des écoles et des centres de santé."

Directeur du développement régional, Léon Mananjara dénonce un manque de transparence. "Comment peut-on pousser à des décisions sur un projet d'une si grande ampleur alors que tous les paysans ne sont pas au courant et que l'on n'a pas accès au détail des engagements ?"

L'enjeu n'est pas seulement local. Varun apparaît comme le bras opérationnel d'un Etat indien en quête de terres pour nourrir 1,1 milliard d'habitants. Représentant de la société, Tapas Kumar Bodak, ne dément pas cet objectif, mais insiste sur sa volonté "de partager la production avec les Malgaches pour que ceux-ci deviennent à terme autosuffisants". De 20 % de la production de riz exportée vers l'Inde dans les premières années, Varun compte passer à 60 % d'ici à dix ans.

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