La course à la terre déstabilise les paysanneries locales des pays pauvres

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AgraPresse Hebdo | le 6 juillet 2009

La crise alimentaire a relancé la course mondiale au foncier. En quête de moyens financiers pour développer leur agriculture, les Etats africains sont prêts à céder leur foncier à des investisseurs privés. Ce qui conduit à déstabiliser les paysanneries locales, incapables de faire valoir leurs droits faute de titres de propriété. Un constat partagé par les intervenants invités à l’assemblée générale de l’Afdi (Agriculteurs français et développement international), le 25 juin à Paris.

«Investir dans l’agriculture pour la croissance économique et la sécurité alimentaire » : tel était le thème des travaux du 13e sommet de l’Union africaine (UA), organisé à Syrte en Libye du 24 juin au 3 juillet. « Nous avons des terres, de l’eau et d’autres ressources », a rappelé Rhoda Peace Tumusiime, commissaire pour l’économie rurale et l’agriculture au sein de l’UA, le 29 juin. « Et nous devons investir dans l’agriculture pour développer la croissance économique et la sécurité alimentaire », a-t-elle ajouté. Plus facile à dire qu’à faire. Seuls sept des 53 États de l’UA sont parvenus à consacrer 10 % de leur budget national à l’agriculture. C’était pourtant l’un des objectifs qu’ils s’étaient fixé en 2003 lors du sommet de Maputo, au Mozambique.

Résultat, les investisseurs lorgnent plus que jamais sur ces terres fertiles. La crise alimentaire de 2008 a démontré l’intérêt de posséder des terres cultivables, un bien qui sans être rare est finalement très convoité. Ce qui n’est pas toujours du goût des populations locales.

« Capturer la rente d’accaparement ».

« Le fait que Daeawoo Logistics ait voulu prendre en bail 1,3 million d’hectares à Madagascar a été le déclencheur de toutes les manifestations survenues dans le pays depuis janvier », a estimé le 25 juin Haja Andrianavalona, chargé de mission sur le foncier pour l’ONG Hardi et invité de l’assemblée générale de l’Afdi (Agriculteurs français et développement international), qui se tenait à Paris. Le périmètre que souhaitait acquérir la firme comprenait des terres fertiles déjà mises en valeur par des paysans malgaches. Pour Michel Merlet, directeur de l’association Agter (Améliorer la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles), il ne faut pas se tromper : les investisseurs étrangers ne cherchent pas à développer l’agriculture locale, mais à « capturer la rente d’accaparement ». Autrement dit, ils souhaitent avant tout profiter des avantages liés à la fertilité des terres, à l’absence d’impôt sur le foncier et à une main d’oeuvre peu cher. Cela, sans égard pour les systèmes précédemment en place. « Si le projet de Daewoo s’était concrétisé, il aurait détruit l’action des paysans malgaches qui auraient été déplacés sur des terres moins bonnes ou seraient devenus de simples salariés », a expliqué Haja Andrianvalona. Car ils ne disposent pas de titres officiels établissant leurs droits. Démarrée en 2005 dans un pays où être propriétaire de la terre s’oppose aux traditions ancestrales, la réforme du foncier n’est pas terminée.

L’économie des exploitations familiales bradée

Au Mali, les paysans qui travaillent sur les 83 000 hectares de périmètre irrigués gérés par l’Office du Niger, se sentent tout aussi vulnérables. Eux non plus n’ont pas de titres de propriétés.

Or, leur gouvernement est lui aussi en train de céder aux sirènes des investisseurs étrangers. Au travers du groupe Malybia, la famille Kadhafi aménagerait 100 000 ha dont plus de 10 000 d’ici  2012. Financé par le gouvernement américain, le projet Millenium Challenge concernerait 14 000 ha mis en vente par lots de 5, 10 et 30 ha. Ce qui représenterait un investissement trop important pour la population locale. « Nous avons le sentiment que le gouvernement du Mali et les bailleurs financiers bradent l’économie des exploitations agricoles familiales », a signalé Massako Konta, président de la fédération des coopératives paysannes de l’Office du Niger. Le responsable souhaiterait un remembrement à l’usage des paysans locaux, car aujourd’hui, les fermes souffrent de ne pas pouvoir s’agrandir. « En 1970, les agriculteurs s’installaient sur 2 hectares, a expliqué le responsable. Aujourd’hui, 14 personnes minimum doivent vivre sur ces 2 hectares ». Mais ce projet ne semble pas à l’ordre du jour. « C’est une illusion de croire que les multinationales sont de bons paysans, a résumé Marc Lefebvre, de l’Afdi de la Meuse, le 25 juin. Ce n’est pas dans le foncier que manquent les capitaux, mais au niveau de la collecte et de la transformation ». Un message qui ne sera pas facile à faire passer. (VN)

Un énorme potentiel de terres à cultiver au niveau mondialAlors que de plus en plus d’investisseurs privés cherchent à acquérir des terres, Laurence Roudart, professeur à AgroParisTech, a expliqué le 18 juin, lors d’un colloque organisé à Paris par le Centre d’analyse stratégique, qu’il était possible de doubler la surface agricole cultivée au niveau mondial… sans même détruire de forêts.

«Il reste beaucoup plus de terres à mettre en culture que de terres déjà cultivées ». Enseignante à AgroParisTech, Laurence Roudart a trituré plusieurs bases de données, que ce soient celles de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) et de l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis), de SAGE (Center for sustainability and the global environment), ou du GTAP (Global trade analysis project). Et le résultat est le même dans tous les cas. « Environ un tiers des 14 milliards d’hectares de terres émergées sont cultivables, a-t-elle expliqué lors du colloque sur les défis de l’agriculture mondialisée organisé à Paris par le Centre d’analyse stratégique le 18 juin.

Or nous n’en avons mis en culture que 40 % ». Selon les chiffres de l’IIASA et de la FAO, 2,6 milliards d’hectares pourraient donc venir s’ajouter au 1,6 milliard déjà valorisés. Souvent accusées, les infrastructures, qui ne représentent finalement que 0,6 % des terres émergées, constitueraient donc une menace limitée pour l’espace agricole.

Un problème économique, pas une ingratitude de la nature

Ces terres à cultiver se trouvent en Afrique subsaharienne, notamment, où 15 à 20 % seulement des terres cultivables sont déjà cultivées, mais aussi en Amérique du Nord, en Russie ou en Amérique latine. Comment les surfaces cultivées peuvent-elles progresser ? C’est la question que se sont posé Laurence Roudart et Marcel Mazoyer, chercheur à AgroParisTech. Les deux scientifiques ont envisagé trois scénarios. Dans le premier, les nouvelles terres mises en culture n’empiètent ni sur la forêt ni sur les terres qualifiées de « peu convenables » pour l’agriculture. Les surfaces augmenteraient alors de 70 %. Dans le second, « nous pourrions doubler les superficies cultivées sans empiéter sur les forêts », a indiqué Laurence Roudart. Ce scénario repose sur l’exploitation des terres à faible potentiel. Et si un quart des forêts mondiales était mis en cultures, comme le propose le troisième scénario, les surfaces cultivées seraient multipliées par 2,6. Pour Laurence Roudart, les crises alimentaires résultent donc davantage d’ « un problème économique et social que d’une ingratitude de la nature »

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