AFP | 09 décembre 2016
Le prix Africa Check décerné à un journaliste ivoirien
Les populations sont divisées. Certaines sont favorables au projet d'autres estiment que l'Etat n'avait aucun droit sur ces terres, a constaté l'AFP qui s'est rendue sur place avec le journaliste.
Fruit de "huit mois d'enquête de terrain" selon son auteur, l'article d'Anderson Diédri, publié en février 2016 par le site Eburnie Today, s'intitule +L'Etat ivoirien spolie 11.000 hectares de terres à Famienkro+.
Anderson, 30 ans, est journaliste depuis six ans au quotidien ivoirien le Courrier, mais travaille également à Eburnie Today.
Avec le Camerounais Arison Tamfu - dont l'enquête met en doute la réalité de la distribution gratuite d'ordinateurs aux étudiants de son pays - Anderson Diédri est un des deux lauréats de la 3e édition du prix Africa Check, sélectionnés parmi 130 candidats de 22 pays.
Il est le premier francophone en Afrique à remporter ce prix, doté de 2.000 dollars. "Nos lauréats montrent pourquoi il est si important que les journalistes ne se contentent pas de rapporter les déclarations de personnalités publiques, mais qu'ils les examinent de façon critique, et qu'ils mettent au jour celles qui sont erronées", explique Peter Cunliffe-Jones, directeur de Africa Check, une organisation créée en 2012 par la Fondation AFP.
"Je me suis spécialisé depuis quatre années sur les questions environnementales donc tout ce qui concerne les questions de foresterie et gouvernance foncière", raconte d'une voix passionnée Anderson Diédri à l'AFP.
En janvier, une de ses connaissances lui parle de Famienkro. Anderson s'y rend et commence ses investigations.
Tout est parti de la cession en 2011 par le gouvernement de 11.000 ha de terres des villages de Famienkro, Kofessou et Timbo à la Compagnie hévéicole de Prikro (CHP), filiale du groupe belge Siat (Société d'investissement pour l'agriculture tropicale).
- Deux camps -
A Famienkro, deux camps opposés cohabitent. Les partisans du non menés par le roi Nanan Akou Moro II, 67 ans, et le camp du oui, conduit par le chef du village Issouf Bakary qui n'a pas souhaité se prononcer devant l'AFP.
"Ils nous ont battus, ils ont tué deux d'entre nous. Ils m'ont mis en prison, et ils ont affirmé que la terre ne nous appartient pas et qu'elle est à eux. Même s'ils me tranchent la gorge, jamais je ne vais soutenir ce projet", jure le roi, soutenu par ses proches.
Assis sur une natte au pied du roi, Bakari Seydou ne décolère pas. "J'ai dit +si vous avez acquis la terre, faites-nous voir les documents qui l'attestent. Ils ont été incapables de nous montrer les documents+", lâche le vieil homme de 90 ans qui dit avoir passé sept mois en prison avec son fils.
Sur la base de la documentation consultée lors de son enquête, le journaliste Anderson Diédri affirme que "l'Etat n'a pas purgé les droits coutumiers alors que c'est la purge des droits coutumiers qui pouvait lui permettre de s'approprier définitivement les terres".
"Il s'agit bel et bien d'une spoliation. L'Etat a pris les terres des populations, des terres qui ne lui appartenaient pas pour les attribuer à la Compagnie CHC", dit-il.
"Ils ne nous ont pas demandé la terre, ils ne l'ont pas achetée non plus. Ils sont venus avec leurs machines et ont commencé à détruire nos plantations", déplore un autre notable, vêtu d'une grande tunique bleue.
La CHP n'a pas souhaité répondre à l'AFP: "compte tenu du contexte actuel, nous sommes malheureusement tenus de nous astreindre à une certaine réserve".
Les plantations de la CHP ont aussi divisé le village voisin de Kofessou. La culture de l'hévea "appauvrit la terre, amène la famine. L'installation par la manière forte de la CHC ne nous plaît pas", déclare Okassa Siriki, un jeune qui est passé deux fois par la prison dans le cadre de cette affaire.
Les chef locaux adhèrent eux totalement au projet. "On va avoir au moins 5.000 ha de plantations villageoises", assure Lamine Bakari, notable, qui précise que la CHP a aussi promis de réhabiliter l'école et le centre de santé ainsi que d'amener de l'eau potable au village.