I.Bissala (UGTC): «Si Bolloré s'en va, ce ne sera pas la mort de l'Afrique»

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Isaac Bissala préside l'UGTC, l'Union générale des travailleurs du Cameroun. (Photo: Le Bled Parle)
RFI | 1er mai 2018

I.Bissala (UGTC): «Si Bolloré s'en va, ce ne sera pas la mort de l'Afrique»

Par Christophe Boisbouvier

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Depuis sa mise en examen par la justice française, l'homme d'affaires Vincent Bolloré envisage de retirer ses capitaux d'Afrique, ce qui pourrait mettre 30 000 personnes au chômage. En ce 1er mai 2018, comment réagissent les syndicats africains ? Isaac Bissala préside l'UGTC, l'Union générale des travailleurs du Cameroun. En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de RFI.

Rfi : Isaac Bissala, quelle est votre priorité ce 1er mai ?

Isaac Bissala : Comme tous les syndicalistes du monde, c’est la revendication des travailleurs. Le 1er mai, c’est l’occasion pour nous, les syndicalistes, de pouvoir entendre nos voix.

Oui, mais vous dites cela tous les ans. Quelle est la priorité cette année 2018 ?

On dit cela tous les ans… Mais vous savez, pour les syndicalistes, c’est un éternel recommencement. Tant que les revendications ne sont pas satisfaites, on revient sur les mêmes revendications. En Afrique, c’est un éternel recommencement.

Et quelle est votre principale revendication cette année 2018 ?

C’est d’abord l’application des droits des travailleurs en ce qui concerne les conventions collectives, la Sécurité sociale, en ce qui concerne le chômage des jeunes, en ce qui concerne la lenteur judiciaire.

Vous parlez des conventions collectives. Quel est le problème pour les salariés ?

Nous avons pratiquement près de 70 conventions collectives au Cameroun. Cela veut dire qu’il y a au moins dans cinq secteurs d’activité où les conventions collectives ne sont pas convenablement appliquées. Nous savons aujourd’hui que tout le monde est en train de pleurer en ce qui concerne la baisse des matières premières au marché mondial. Depuis un certain temps, les entreprises disent qu’elles souffrent, parce qu’elles n’arrivent pas à joindre les deux bouts et elles n’arrivent pas à appliquer les conventions collectives convenablement.

Cela veut dire que les salariés ne sont pas payés à la hauteur de ce qui a été promis ?

Oui. Affirmatif. Lorsque qu’une convention collective n’est pas appliquée, cela veut dire que le patron paie à sa guise. Par exemple, dans la foresterie, des fois dans l’agriculture et dans le transport aussi.

Donc, un patron peut varier le salaire d’un mois à l’autre ? Il peut baisser le salaire sans explication, de façon arbitraire ?

Oui. Sous prétexte que la situation financière n’est pas bonne.

Alors, comment éviter ces baisses brutales de salaire d’un mois sur l’autre ?

Le problème, c’est qu’il appartient au gouvernement de faire appliquer les lois. C’est la mission régalienne de l’Etat. Et vous savez aujourd’hui que les entreprises vont dire au gouvernement qu’elles ne peuvent pas faire autrement. Sinon, elles vont fermer. Donc, on laisse faire.

Vous parlez aussi de la Sécurité sociale. Quel est le vrai problème ?

Ce que nous rencontrons au Cameroun c’est que, de plus en plus, les travailleurs du secteur formel ne sont pas tous déclarés à l’organisme de Sécurité sociale.

Voilà dix ans que vous présidez l’UGTC, l’Union Générale des Travailleurs du Cameroun. Est-ce que la situation des travailleurs s’améliore ou se détériore ?

Par secteurs d’activité. Je vous dirais qu’aujourd’hui nous n’avons que 10 % des problèmes dans le secteur bancaire.

Ça, c’est votre secteur d’origine ? Ça va mieux dans la banque ?

Oui.

Et alors, en dehors du secteur bancaire, est-ce que ça va mieux ou est-ce que ça va moins bien ?

Ça va moins bien.

Et vous pensez à quel secteur en particulier ?

Par exemple, le secteur de l’agroalimentaire. Je veux parler aussi des sociétés forestières, des secteurs comme l’électricité, l’énergie. Des secteurs comme ceux-là se portent très mal.

Vous dénoncez aussi le chômage. Est-ce que les jeunes sont particulièrement frappés ? Est-ce qu’un certain nombre essaient de migrer vers l’Europe ?

Effectivement. Vous n’avez qu’à venir voir au niveau des centres d’immigration de la police, là où on établit les passeports. Vous allez voir, effectivement, que de plus en plus de jeunes se retrouvent dans ce centre pour avoir des passeports et partir.

Parce qu’il n’y a pas de travail ?

Il n’y a pas de travail. Les offres d’emploi, c’est de moins en moins.

Dans tous les secteurs ou dans certains secteurs en particulier ?

Nous avons, par exemple, le secteur du bâtiment. Avec la CAN, on est en train de construire les stades et il y a certains jeunes qui peuvent trouver du travail au niveau de ces chantiers.

Grâce à la CAN 2019, l’année prochaine ?

Voilà, 2019. Vous avez aussi le problème des routes. Même si ce sont des Chinois, on arrive quand même à embaucher certains jeunes dans ces sociétés chinoises. Donc voilà. C’est seulement les bâtiments, les travaux publics, - aujourd’hui -, où on peut recruter. Ailleurs, c’est de moins en moins. Et puis la majorité, c’est l’Etat qui absorbe grâce aux concours administratifs, mais dans le secteur privé, c’est de moins en moins.

Vous parlez du secteur privé. La semaine dernière, l’homme d’affaires français Vincent Bolloré a été mis en examen par la justice française pour corruption dans l’attribution de concessions portuaires en Afrique. Qu’est-ce que vous pensez de cette affaire ?

Ce n’est pas nouveau, çà. C’est connu de tout le monde. Aujourd’hui, la justice française s’en occupe. Mais nous savons tous ce que Bolloré est pour les chefs d’Etat africains. On nous a toujours répondu en disant : ‘’Oui, mais il vient créer des emplois, ceci, cela...’’ Mais ce qu’on sait, c’est qu’il ne respecte pas les canaux d’attribution des marchés, il passe avant. Ce n’est pas nouveau.

Dans votre pays - le Cameroun -, le groupe Bolloré est présent dans le terminal à conteneurs du port de Douala, mais aussi dans le transport ferroviaire, via la Société Camrail, ou bien dans l’exploitation du palmier à huile via les sociétés Socapalm et Socfin. Est-ce que le groupe Bolloré n’a tout de même pas le mérite d’apporter des capitaux dans votre pays ?

Non. L’UGTC est contre les investissements directs étrangers. Dans les pays africains nous sommes pour les nouvelles formes d’investissements. Cela veut dire que tous les capitaux étrangers doivent venir se fixer sur les entreprises créées par les nationaux pour que l’argent et le bénéfice soient réinvestis dans le pays. Nous ne sommes pas contre, totalement, des capitaux étrangers. Mais le problème de tout donner aux capitaux étrangers, qui renvoient les bénéfices dans leurs pays, et qui laissent sur le carreau des chômeurs ici… Non, nous ne sommes pas d’accord.

Vous parlez de Socapalm, vous parlez de Camrail. Je vous dirais qu’au niveau de la Socapalm, tout le monde le sait aussi, c’est le lieu où on trouve de plus en plus de la précarité d’emploi. Donc, nous ne sommes pas contre les capitaux étrangers, mais on ne doit pas faire en sorte que les étrangers viennent, occupent les premières places dans les entreprises et que les nationaux soient là pour s’occuper de la sous-traitance. C’est le lieu où l’on rencontre de plus en plus de la précarité d’emploi. Et là-bas même, dans ces plantations il est interdit aux travailleurs de revendiquer. Si vous revendiquez, on vous met dehors.

Dans une tribune publiée ce dimanche dans la presse française, Vincent Bolloré affirme qu’il fait vivre quelque 30000 familles en Afrique et qu’il pense se désengager du continent, si la chasse aux sorcières continue contre lui.

Je ne crois pas que, si Monsieur Bolloré s’en va, ce sera la mort de l’Afrique. Nous savons que nous avons chez nous les nouveaux hommes d’affaires africains. Et je ne pense pas que, s’il s’en va, tout va mourir. Non. Au lieu de faire ces déclarations, il doit plutôt voir ce qui pourrait être fait pour améliorer le niveau de vie des travailleurs dans ces sociétés. Vous savez que Camrail est poursuivi par l’Organisation internationale du travail pour violation de la liberté syndicale. Vous savez qu’un autre syndicat ne peut pas se créer à Camrail. Il n’y a que les syndicats ‘’maison’’. Donc, s’il y a un autre groupe de travailleurs qui a un autre syndicat au niveau de Camrail, ces personnes seront licenciées.

Donc, l’UGTC n’est pas représentée à Camrail ?

On a licencié pratiquement tous ceux qui ont tenté de s’affilier à ce syndicat. Et c’est ce syndicat qui avait dénoncé il y a cinq ans la vétusté de manettes de frein.

La vétusté des manettes de frein, c’était quelques années avant la catastrophe ferroviaire d’Eséka en 2016 ?

Oui. C’était le Syndicat Professionnel des Conducteurs de Trains. Ce syndicat n’existe plus jusqu’à ces jours-ci.

Isaac Bissala, dans votre bureau de Yaoundé, il y a une photo géante de Lula da Silva, l’ancien syndicaliste qui est devenu le président du Brésil. Est-ce que, comme Lula, vous êtes tenté par la politique ?

Je vous dirais d’abord que tout syndicaliste finit toujours par la politique. Je ne sais pas pour le moment, le temps me le dira. Mais qui sait ? Peut-être quand je vais prendre ma retraite, d’ici quelque temps, finalement, je vais finir dans la politique.

Et pour cette élection présidentielle qui va arriver au mois d’octobre prochain, vous allez lancer un mot d’ordre politique au nom de l’UGTC ?

Non, pour le moment nous n’en sommes pas encore à ce niveau-là. Mais ce que vous devez savoir, l’UGTC est l’un des syndicats qui reconnaît la création du mouvement politique l’UPC de 1948. Si l’UPC est candidat à la fin de l’année, l’UGTC verra ce qu’il pourra apporter.

Et aujourd’hui vous vous sentez plus proche du pouvoir ou de l’opposition ?

Je suis de la gauche. Je mets la couleur rouge comme la CGT. Je suis un homme de gauche, moi.
  •   RFI
  • 01 May 2018
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